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Thèse de sciences du langage, Université de Paris III – Sorbonne Nouvelle
Étude des verbalisations métalinguistiques d’apprenants coréens sur l’imparfait et le passé composé en français
Introduction Chap. 1 Chap. 2 Chap. 3 Chap. 4 Chap. 5 Chap. 6 Chap. 7 Conclusion
Résumé Biblio Corpus Index 1 Index 2 Annexe 1 : Exercice Annexe 2 : Conventions


Chapitre 6. Les types de caractéristiques aspecto-temporelles verbalisées

Trois points d’observations sont abordés dans la présentation des verbalisations[170] de chacune des catégories. D’abord, nous observerons leur contenu, correspondant à la conceptualisation des informatrices à propos du passé composé et de l’imparfait. Nous relèverons ensuite les moyens linguistiques employés pour faire référence à la catégorie. Enfin, nous tenterons de mesurer le degré d’opérationnalité des notions qui indique le degré de son acquisition. Pour le déterminer, nous nous appuierons sur : a) la rapidité d’accès à la notion au cours de l’interaction, indiquant la disponibilité ; b) le degré de précision des verbalisations, indiquant le degré explicite ; et c) la systématicité de sa référence, indiquant le degré abstrait de l’analyse. Nous observerons aussi le contexte interactif de la verbalisation en nous concentrant sur les intentions de communication des protagonistes.

Les notions aspecto-temporelles verbalisées seront présentées dans l’ordre décroissant des références attestées chez les informatrices pour les deux temps verbaux et sur les deux entretiens. Nous allons ainsi examiner la référence aux caractéristiques aspecto-temporelles dans l’ordre suivant : a) moment de la situation selon la position du moment repère ; b) type de chevauchement entre intervalles ; c) rôle narrativo-discursif local ; d) bornage de l’intervalle ; e) rôle macro-discursif ; f) ordre entre le moment repère et le moment de la situation ; g) nombre d’occurrence d’un procès ; h) type de procès du verbe et i) localisation d’un procès sur l’axe du temps par rapport au moment de locution. Nous observerons ensuite la référence à la notion de durée et aux diverses valeurs que nos apprenantes attribuent aux procès au passé composé et à l’imparfait.

Pour la lecture des extraits de corpus, nous présentons ci- dessous deux tableaux recensant les signes utilisés dans la transcription du corpus, ainsi que le texte de l’exercice à trous (ils sont également reproduits en fin de thèse sur un dépliant pour être disponibles pendant la lecture) :

 

Signes utilisés dans la transcription du corpus

1) Signes communs aux premiers et seconds entretiens :

- +, ++, +++ (croix à nombre variable) : Pauses (Le nombre des croix correspond à la longueur de la pause).

- abc... (trois points suivant un mot) : Allongement

- <abc (segments précédées d’un signe inférieur) : Début de segments chevauchés dans les interventions des deux protagonistes

- /abc/ (mots entre deux barres obliques) : Transcription phonétique approximative

- abcdef (mots en italique) : Emploi autonymique d’un mot ou citation d’une phrase de l’exercice

- A B C (lettres en majuscules séparées) : Epellation.

- ABC (mots en majuscule) : Mots ou parties de mot prononcés avec intensité

- XXX : Segments inaudibles, indéchiffrables

- abc/ (une barre oblique suivant immédiatement un mot ou une partie de mot) : Auto-interruption

- abc\ (une barre oblique inversé suivant immédiatement un mot ou une partie de mot) : Hétéro-interruption

- abc-d (trait d’union à l’intérieur d’un mot) : Séparation de syllabe marquée

2) Signes utilisés dans les premiers entretiens qui se sont déroulés en français :

 - *abcd* (mots entre deux étoiles) : Mots coréens ou étrangers

3) Signes utilisés pour les seconds entretiens qui se sont déroulés en coréen :

- abcdef (mots en italiques) : Emploi autonymique d’un mot ou d’une phrase coréenne

- abcdef (mots en italiques mis en gras) : Emploi autonymique d’un mot français ou citation d’une phrase française de l’exercice

- abcdef (mots en gras) : mots ou phrases dites en français sans fonction de citation.

- [abcd] (segments entre crochets) : morphèmes ou expressions coréens utilisés

 

Exercice à trous

1. Je (1-1 dormir) quand mon fils me (1-2 téléphoner) d’Australie hier soir.

2. Dimanche dernier, j’ai rencontré Paul qui (2-1 partir) pour Chamonix. Il (2-2 avoir) beaucoup de bagages et ses skis sur l’épaule. Alors, je l’(2-3 accompagner) à la gare. Il y (2-4 avoir) énormément de monde dans le train et il (2-5 ne pas pouvoir) trouver de place assise.

3. Quand il (3-1 ouvrir) la porte, elle lui (3-2 sourire) et lui (3-3 dire) : « je t’(3-4 attendre) ! »

4. Mes amis norvégiens (4-1 vouloir) depuis longtemps visiter la Bretagne. Ils y (4-2 partir) enfin la semaine dernière. Mais quand ils (4-3 arriver) à Rennes, il (4-4 pleuvoir) et il (4-5 pleuvoir) pendant tout leur voyage.

5. Paul (5-1 avoir) vingt ans quand il (5-2 avoir) son accident de montagne. Il (5-3 rester) huit mois à l’hôpital. Quand il en (5-4 sortir), il (5-5 être) très faible et très maigre : on (5-6 ne pas le reconnaître).

6. Hier, un accident (6-1 se produire) au carrefour de la rue Caillaux et de l’avenue d’Italie. Il (6-2 pleuvoir). Un enfant d’une dizaine d’années (6-3 faire) du skateboard sur le trottoir de la rue Caillaux. Quand il (6-4 arriver) au carrefour, il (6-5 ne pas pouvoir ralentir) et (6-6 tomber) sur l’avenue d’Italie juste au moment où une voiture (6-7 arriver). Elle l’(6-8 heurter) violemment. Il n’y (6-9 avoir) qu’une seule personne à cet endroit là. Ce passant (6-10 courir) dans la cabine téléphonique d’à côté pour appeler Police Secours. Pendant qu’il (6-11 téléphoner), la voiture (6-12 filer). L’enfant (6-13 se retrouver) tout seul, il (6-14 avoir peur) et (6-15 réussir) à partir lui aussi ; pourtant il (6-16 avoir mal) sûrement ! Quand l’homme (6-17 ressortir) de la cabine, il n’y (6-18 avoir) plus personne ! Quand la police (6-19 arriver) c’est lui qu’elle (6-20 emmener) au commissariat.


1. Moment de la situation selon la position du moment repère

Le moment de la situation correspondant au procès dont on parle, est vu différemment selon la position du moment repère, entraînant une différence de l’aspect et de moyens linguistiques à employer.

1.1. Le moment de la situation situé avant le moment repère : aspect perfect et passé composé

Quand un procès est situé avant le moment repère, il est vu, à partir de ce dernier, comme un procès terminé : il donne lieu à l’aspect perfect[171]. Nous rappelons que dans l’aspect perfect, le moment repère se situe après le moment de la situation avec ou sans contact entre eux et sans que la distance qui les sépare ne soit précisée.

1.1.1. Les verbalisations en entretien

L’aspect perfect relevant d’une vision rétrospective est souvent à la base du choix du passé composé chez nos apprenantes. Kim a abondamment recours à cette caractéristique aspectuelle, aussi bien dans le premier entretien que dans le second. Kang y fait référence moins que Kim, mais plus souvent que Lee et elle la verbalise davantage dans le premier entretien que dans le second. Lee qui attribue cette valeur au passé composé, comme les deux autres informatrices, la verbalise une seule fois dans un commentaire général après l’exercice. Prenons quelques exemples :

 

(Extrait 1) 6-1 Hier un accident s’est produit au carrefour[172] (Kang I, fr.)

1  E : Bon donc ça c’est le... passé composé

2  K : Hm (...)

3  E : Donc si on se dit là tu as dit s’est produit mais est-ce qu’on peut dire ++ se produisait ou quelque chose <comme ça ?

4  K : <Se produisait on dit comme ça il...

5  E : Hier un accident se produisait

6  K : Hier y a plusieurs accidents on... peut imaginer comme ça

7  E : Ah si on dit euh... un accident <se produisait ?

8  K : <Si on /metr/ le passé composé c’est…

9  E : C’est assez... juste un seul accident <c’est ça ?

10 K : <C’est/ ou bien hm... s... temporellement qui... c’est un accident qui est déjà /fet/[173]

11 E : Un accident qui est déjà fait mais si on dit un accident se produisait c’est-à-dire soit il y a plusieurs accidents + ce jours-là + soit (...)

 

Après la lecture du sixième récit en entier par Kang en effectuant le choix du temps verbal pour les verbes entre parenthèse, l’enquêtrice revient au premier verbe se produire pour poser des questions (1). Son intervention n’est pas une vraie question mais un simple constat sur le choix du passé composé de Kang. Mais elle n’entraîne pas une réponse élaborée de la part de Kang, si ce n’est une approbation (2). L’enquêtrice passe au verbe suivant et ensuite revient sur le premier, en demandant cette fois l’acceptabilité de la forme alternative (3) et c’est là qu’en 10, Kang, face à la nécessité de distinguer les emplois des deux temps, donne une première explication de l’emploi du passé composé : quelque chose de déjà fait.

Kim exprime de la même manière que Kang le fait accompli du procès :

 

(Extrait 2) 4-2 Ils y sont partis enfin la semaine dernière (Kim I, fr.)

1 E : Ils y sont partis <enfin (K : <oui) la semaine dernière (K : hm) là + (K : oui) c’est <une action (K : <c’est facile) passé composé (K : oui <parce que) <mais quand ils sont hm-hm (K : oui) + oui parce que ?

2 K : L’action de partir est (E : oui) + terminée (E : oui) déjà (E : hm-hm) oui c’est pour ça passé composé + <à mon avis

3 E : <Mais là le fait de vouloir partir c’est... (K : hm...) enfin dans cette histoire c’est.... terminé parce que... ils sont finalement partis + mais...

4 K : Oui oui oui dans tous les occasions il y a ah... il y a + quelque cho/l’autre chose à voir + oui c’est depuis et enfin + <oui c’est

5 E : <Ah... d’accord enfin ça mar<que...

6 K : <Marque termination (E : hm...) (rire)

7 E : Hm... donc quand c’est (K : (rire)) terminé passé... (K : <oui) <euh composé

 

On note en 4-6 que Kim s’appuie aussi sur des adverbes qu’elle interprète comme allant dans le même sens que la valeur perfect qu’elle saisit.

Contrairement à Kang et Kim, Lee ne formule pas la valeur perfect durant l’exercice et on en observe une seule occurrence dans le second entretien, après l’exercice où elle l’exprime de façon similaire aux autres :

 

(Extrait 3) Commentaire général après l’exercice (Lee II, cor.)

1 L : Les emplois fondamentaux (E : hm) qu’on dit généralement, le passé composé, c’est quelque chose qui a fini [kkûtna-at-ô] (E : hm) et (E : donc <avec le présent) <c’est-à-dire elle est partie, ici elle est partie et elle n’est pas là <maintenant.

2 E : <Elle n’est pas là. Hm

3 L : On dit comme ça (E : hm)

 

Par la vision rétrospective et par le fait que le moment repère placé après le moment de la situation inclut souvent le moment de locution, l’aspect perfect se confond avec le temps passé qui, lui, relève de la relation entre le moment de la situation et le moment de locution situé en second. Ce rapprochement s’observe également dans les verbalisations de nos apprenantes, dans lesquelles la référence à l’aspect perfect s’accompagne quelque fois de la référence temporelle au passé :

 

(Extrait 4) 2-3 Alors, je l’ai accompagné à la gare (Kang II, cor.)

1 K : Il avait beaucoup de bagages (E : hm) On explique la situation, sa situation (E : hm) ses skis sur l’épaule (E : hm) alors je l’ai accompagné (E : hm) à la gare.

2 E : Hm. C’est le passé composé ?

3 K : Parce que l’action n’est pas une action en déroulement. (E : hm) Il l’a accompagné, ils sont descendus à la gare, c’est déjà fini dans le passé [kkûtna-n-jôkô-nikka].

 

En 3, la valeur perfect est présentée d’abord par la négation de la valeur imperfective, suivie de la confirmation de la valeur perfect du procès (c’est déjà fini) dont l’accomplissement est localisé dans le passé (dans le passé). Une désignation distincte des deux valeurs aspectuelle et temporelle est également observée dans un commentaire général avant l’exercice : « le passé composé est utilisé pour un événement qui a eu lieu dans le passé et qui est fini ».

Malgré la formulation distincte, on ne saurait dire que Kang distingue les deux valeurs réellement. Mais la non-distinction des deux valeurs s’observe de façon plus claire chez Kim :

 

(Extrait 5) 6-1 Hier un accident s’est produit au carrefour (Kim I, fr.)

1 K : (...) Hier un accident s’est produit au carrefour de la rue Caillaux de la rue Caillou et l’avenue d’Italie (E : hm) ++ <c’est clair

2 E : <Bon (K : oui) s’est produit parce que c’est... + (K : produit) <au... passé composé (K : <hier oui) c’est parce que... (K : oui) c’est passé + c’est <ça ?

3 K : Passé oui passé oui ++ déjà passé

4 E : Hm-hm ah oui mais il pleuvait c’est aussi <passé hein donc... (K : <ça aussi passé (rire)) donc... <il faut... (K : <(rire)) une autre explication

 

L’enquêtrice anticipe et propose en 2 la valeur qui semble temporelle du passé composé (car sa formulation erronée nous laisse un doute), et Kim l’accepte en 3 en reprenant l’expression de l’enquêtrice, sans qu’on sache laquelle des deux valeurs elle attribue. Mais en ajoutant l’adverbe déjà, elle marque la valeur perfect. La vision temporelle de l’enquêtrice se confirme en 4, lorsqu’elle considère les deux formes verbales du procès se produire (le passé composé et l’imparfait) comme localisées dans le passé. Kim, en suivant la lecture temporelle de l’enquêtrice et en reprenant encore son expression, manifeste son accord (le fait qu’elle dit hier en 2 en est peut être le signe) et aussi, par son rire, sa conscience de l’insuffisance de cette analyse dans la distinction de l’emploi des deux temps.

1.1.2. Les formulations de l’aspect perfect

La référence à l’aspect perfect chez Kang et Kim lors du premier entretien se fait la plupart du temps par la structure avec le présentatif c’est (‘N + c’est + (déjà) + participe passé’) avec une valeur anaphorique. L’adverbe déjà qui y est employé sert, selon Klein (1995)[174], à mettre en valeur un intervalle temporel particulier par contraste. Kang emploie le verbe finir (« l’action d’attendre c’est fini » pour 3-4 et elle lui a dit : je t’ai attendu[175]), faire (« c’est un accident qui est déjà fait » pour 6-1 hier un accident s’est produit au carrefour), passer (« blessure c’est déjà passé » pour 6-16 il a eu mal sûrement).

Kim qui emploie également la même structure utilise, lors du premier entretien, outre les verbes finir (« et l’action finie » pour 6-20 et c’est lui qu’elle a emmené au Commissariat, Kim a) et passer (« déjà passé » dans 6-1 hier un accident s’est produit au carrefour...) comme Kang, le verbe terminer qu’elle emploie plus souvent que les autres :

- « accident, c’est une action terminée » pour 5-2 quand il a eu son accident de montagne ;

- « c’est déjà le temps terminé » pour 4-5 et il a plu pendant tout leur voyage

On note également chez Kim (I) une autre structure ‘N + être + (déjà) + terminé’ :

- « parce que l’action de partir est terminée déjà » pour 4-2 ils y sont partis enfin la semaine dernière

- « son hospitalité [hospitalisation] est terminée » pour 5-3 il est resté huit mois à l’hôpital.

Il lui arrive également de s’exprimer simplement par nom avec participe passé adjectival, « action terminée » (pour 5-6 on ne l’a pas reconnu, 3-2 quand il a ouvert la porte, elle lui a souri).

Dans l’aspect perfect, le moment repère se situe après le moment de la situation et ce dont on parle par rapport au moment repère, c’est l’état où le moment de la situation terminé, n’ayant plus cours. Le contraste d’état ainsi créé est exprimé par Kang et Kim par la négation (ne-plus) du procès et le moment repère quelquefois verbalisé est exprimé par maintenant employé également par l’enquêtrice. Cette structure peut s’employer conjointement à la structure principale du perfect, ‘c’est + p.p. (fini, terminé)’. Cette formulation s’observe chez Kim et Kang. Cette dernière l’emploie le plus souvent, notamment lors du second entretien, et exclusivement avec les verbes transitionnels (partir, ressortir) :

- « Maintenant, il n’a plus plu. Le /pleuvwar/ est terminé maintenant » pour 4-5 il a plu pendant tout leur voyage (Kim I, fr.) ;

- « c’est fini, je ne t’attends plus » pour 3-4 et elle lui a dit : je t’ai attendu (Kim I, fr.);

- « blessure c’est déjà passé, maintenant il n’a plus mal » pour 6-16 il a eu mal sûrement (Kang I, fr.)

- « il est parti, il n’est plus là » pour 6-15 il a réussi à partir lui aussi (Kang I, fr.)

- « La personne sort, c’est-à-dire, elle sort de la cabine, et la cabine est vide maintenant[176] » pour 6-17 quand l’homme est ressorti de la cabine il n’y avait plus personne (Kang II, cor.).

On observe que l’expression du perfect avec les verbes transitionnels s’accompagne de celle du résultat immédiat du procès. La mention du résultat du procès n’est pas toujours cohérente dans la suite du récit : dans le cas de 6-17 quand l’homme est ressorti de la cabine il n’y avait plus personne, le fait que la cabine soit vide après le départ de l’homme (Kang b) n’est pas pertinent dans la suite du récit qui raconte la fuite de la voiture pendant sa communication téléphonique.

Les moyens linguistiques employés lors du second entretien étant une traduction du coréen, nous resterons prudente quant aux structures qui, selon la traduction, peuvent être assez proche de celle de la langue d’origine autant qu’en être éloignées. On observe que Kang (cf. extrait 4) et Kim emploient une autre façon de se référer à la valeur perfect par la négation de l’aspect imperfectif, qui peut s’accompagner en outre de l’expression utilisée jusqu’alors pour l’aspect perfect.

 

(Extrait 6) 6-20 Quand la police est arrivée, c’est lui qu’elle a emmené (Kim II, cor.)

K : Ensuite la police (E : hm) est arrivée, elle est arrivée. (E : hm) Quand elle est arrivée et + comme il n’y avait personne, elle a emmené l’homme, le passant au commissariat. Elle [la police] n’était pas en train de l’emmener [teryôka-ko it-nû-n] mais elle l’a emmené [teryôka-ôt-ta].

 

L’opposition entre l’imperfectif et le perfect que verbalise Kim est marquée également en coréen dans lequel elle les exprime respectivement par -ko it et -ôt. Ce nouveau procédé qui peut être lié à l’organisation discursive de cette langue, montre la disponibilité des deux notions aspectuelles.

Du point de vue du lexique, les termes « temps ou action terminée, finie » utilisés par Kim lors du premier entretien s’observent toujours dans le second mais on y voit apparaître l’emploi du terme grammatical plus spécialisé, accompli ([wallyo] en coréen), pour un état ou une action :

- « sortir de l’hôpital, c’est une action accomplie, donc passé composé » pour 5-4 quand il en est sorti [de l’hôpital];

- « ils sont partis. Donc c’est accompli, sûr et certain. Donc le passé composé » pour 4-2 ils y sont partis enfin la semaine dernière.

Les seconds entretiens s’étant déroulés en coréen, on peut effectivement s’attendre comme ici à ce que nos apprenantes emploient des termes métalinguistiques plus spécialisés ou plus savants, qui sont utilisés dans les grammaires de langues étrangères (pour l’anglais, le français et autres). Nous pensons que si le premier entretien s’était déroulé en coréen, Kim aurait pu également employer ce terme.

Les expressions employées en français lors du premier entretien sont de trois types selon ce qu’elles expriment : la clôture de la borne droite (fini, terminé, passé…), le changement d’état (ne-plus) et la forme composite exprimant la borne droite et le changement ou le résultat. Lors du second entretien qui s’est déroulé en coréen, outre ces trois types d’expressions, on observe également la négation de l’imperfectif.

Le tableau suivant résume le recours à la notion du perfect chez nos apprenantes ainsi que des informations sur les formes linguistiques utilisées et sur le moment de la verbalisation. L’ordre de présentation des apprenantes correspond à l’ordre du nombre des verbalisations attestées chez elles :

 

Aspect perfect et passé composé

premier entretien

second entretien

Kim

« action terminée/finie »

N + (déjà) + « terminé »

c’est + (déjà) + (N) + « terminé/fini »

N + c’est + N + « terminé »

--------------------

N + ne V plus

Kim

« action accomplie »

--------------------

[ne V plus]

[V passé] + [état résultant : ne V plus + circonstanciel]

--------------------

négation de l’imperfectif

Kang

c’est + N relative + « déjà fait »

N + c’est + (déjà) + « passé/fini »

« événement qui est fini » (avant l’exercice)

--------------------

N + ne V plus

[V passé] + [état résultant : ne V plus + circonstanciel]

Kang

« les actions finissent » (après l’exercice)

--------------------

[V passé] + [état résultant : ne V plus + circonstanciel]

--------------------

négation de l’imperfectif + « fini dans le passé »

Lee

[V passé] + [état résultant : ne V plus]

Lee

« c’est quelque chose qui est fini » (après l’exercice)

[Tableau 12 : Formulations de l’aspect perfect]

 

1.1.3. Opérationnalité de la notion perfect

L’aspect perfect est une caractéristique aspectuelle dont nos apprenantes disposent déjà en langue maternelle et elles la verbalisent sans difficulté en français dès le premier entretien. Dans la plupart des cas, cette notion est verbalisée spontanément, ce qui montre sa facilité d’accès. Il arrive néanmoins quelques fois que la verbalisation du perfect soit une reprise de la parole de l’enquêtrice qui anticipe parfois intempestivement la réflexion des apprenantes :

 

(Extrait 7) 6-16 pourtant il a eu mal sûrement ! (Kang I, fr.)

1 E : (...) Si on dit pourtant il a eu mal sûrement + c’est-à-dire c’est + <XXX (K : <c’est-à-dire) un peu un moment (...)

2 K : <XXX <XXX passé (E : <blessure) oui blessure c’est déjà passé

3 E : Quand ça ? <quand on dit euh... (K : <hier oui) il avait mal ? (E : hm) il avait mal ? ou il a <eu mal ?

4 K : <Ah il a eu mal

5 E : Il a eu mal donc maintenant <il n’a plus mal ?

6 K : <Maintenant il n’a il n’a plus mal il n’a plus mal

7 E : Mais quand on dit il avait mal c’est-à-dire même maintenant ?

8 K : On ne sait pas mais <peut-être

 

L’enquêtrice demande à Kang de réfléchir sur l’emploi de l’autre forme verbale en 1 et propose une explication en terme de durée. Et Kang répond en 2 avec une valeur perfect en intégrant le mot qui lui manquait et qui est proposé par l’enquêtrice. Celle-ci paraphrase cette réponse en 5 en marquant le contraste d’état saisi au moment repère. En 6, Kang reprend la phrase entière de l’enquêtrice en guise d’approbation.

La capacité à verbaliser la notion dans une formulation claire et réitérée dans des contextes adéquats nous conduit à considérer qu’elle est opérationnelle chez nos apprenantes.

1.2. Le moment de la situation situé immédiatement avant le moment repère qui inclut le moment de locution : aspect perfect résultatif et passé composé

Dans l’aspect perfect résultatif, aspect particulier du perfect, les deux moments sont en contact, car le moment repère suit immédiatement le moment de la situation. De plus, il inclut le moment de locution : le résultat du procès qui s’est produit est tangible au moment de locution.

1.2.1. Les verbalisations en entretien

Les références à cette caractéristique aspectuelle sont attestées chez Kang et Lee. Elles sont peu nombreuses par rapport aux références au perfect, et les verbes concernés sont des verbes transitionnels. Lee (II) la verbalise dans l’extrait 3 que nous avons vu plus haut, où d’ailleurs on ne saurait dire qu’elle distingue le perfectif résultatif du perfectif non résultatif : « le passé composé, c’est quelque chose qui est fini. C’est-à-dire, elle est partie, ici elle est partie [ka-pôri-ko] et elle n’est pas là maintenant [jikûm ôps-ô]. On dit comme ça ». Dans « quelque chose qui est fini », Lee mentionne aussi, outre le procès lui-même (elle est partie), le résultat du procès partir (elle n’est pas là) qui est valable au moment de locution (elle n’est pas là maintenant).

La saisie de l’aspect perfect résultatif chez Kang (I) est ambiguë dans son commentaire en coréen avant l’exercice lors du premier entretien :

 

(Extrait 8) Commentaire avant l’exercice (Kang I, cor.)

1 E : Quand est-ce qu’on emploie l’imparfait et le passé composé selon ce que vous avez appris dans la classe ?

2 K : Aujourd’hui je n’ai vraiment pas la tête claire ++ le passé composé est utilisé pour un événement qui a eu lieu dans le passé et qui est fini, qui a eu lieu à un moment donné et qui est fini, l’état de cette situation et l’imparfait, c’est pour dire quelque chose qui se passait à un point de passé ou quelque chose d’habituel dans le passé ++ oui etc.

 

A la question que pose l’enquêtrice en guise d’introduction à la tâche qu’elles allaient entreprendre ensemble, Kang verbalise ce dont elle se souvient des emplois des deux temps appris en classe. Outre la valeur perfect (qui est fini) et la valeur temporelle (un événement qui a eu lieu dans le passé), elle verbalise que le passé composé peut indiquer également l’état d’un événement fini. Mais elle ne précise pas à quel moment (moment repère) est perçu l’état de cet « événement fini ». Or c’est la localisation du moment repère qui différencie, dans plusieurs configurations de l’aspect perfect, l’aspect perfect résultatif du non résultatif : quand le moment repère n’inclut pas le moment de locution, comme c’est le cas des récits de notre exercice à trous, il ne s’agit plus de l’aspect perfect résultatif, mais du perfect non résultatif, dans lequel, d’une part, on n’établit pas de contact entre le moment repère et le moment de la situation et où d’autre part, ce dernier est antérieur au moment de locution. Dans le contexte de non-contact, le fait qu’« elle n’est pas là » (l’état de l’événement fini) serait une simple précision du contraste d’états, et ce résultat n’a pas forcément d’incidence sur le moment de locution. En effet, comme le dit Klein (1995), selon le type de procès du verbe, le résultat du procès fini peut inclure le moment de locution s’il dure jusque là, ou peut ne pas l’inclure, s’il s’est accompli. Ainsi, quand on dit The lion was dead, à moins de supposer la résurrection, le moment de la situation (the lion’s being dead) inclut le moment de locution et toute la durée qui suit. Par contre, dans The door was open, le moment de la situation (the door’s being open) peut inclure le moment de locution si la porte est toujours ouverte, ou ne pas l’inclure si la porte est fermée depuis.

1.2.2. Les formulations de l’aspect perfect résultatif

L’aspect perfect résultatif est verbalisé par Kang et Lee dans des commentaires généraux. Les formulations employées contiennent la mention d’un procès terminé et l’état résultant :

 

Perfect résultatif et passé composé

Premier entretien

Second entretien

Kang

« état de la situation » d’un événement passé et fini (avant l’exercice)

Lee

[V passé] + [ne V plus + circonstanciel]

([ka-pôri-ko jikûm ôps-ô])

[Tableau 13 : Formulations de l’aspect perfect résultatif]

1.2.3. Opérationnalité

Dans les récits de l’exercice à trous, aucun procès ne relève de l’aspect perfect résultatif. C’est pourquoi la référence à cette valeur ne s’observe que dans les commentaires d’informatrices sur l’emploi général du passé composé. Nous avons remarqué que le schéma de formulation de cet aspect (procès passé + état résultant) est néanmoins souvent employé par Kim et Kang pour se référer à l’aspect perfect, notamment pour les procès transitionnels.

 

1.3. L’inclusion du moment repère dans le moment de la situation : aspect imperfectif et imparfait

Quand le moment repère est placé entre les deux bornes du moment de la situation, celui-ci est vu en déroulement.

1.3.1. Les verbalisations en entretien

Toutes nos apprenantes repèrent et verbalisent l’aspect imperfectif dans les deux entretiens. Lee et Kim y font référence plus souvent que Kang en particulier lors du second entretien. Kang l’emploie d’une façon similaire dans les deux entretiens, et le formule également dans son commentaire avant l’exercice proprement dit.

L’aspect imperfectif décrit comme « quelque chose qui se passe à un point de passé » comme le dit Kang (I) est saisi avec une certaine facilité lorsque le moment de la situation est exprimé par un verbe d’état ou d’activité et que l’apprenante n’est pas confrontée à un problème de compréhension de la situation, concernant le rapport entre le moment repère et le moment de la situation :

 

(Extrait 9) 1-1 Je dormais quand mon fils m’a téléphoné d’Australie hier soir (Kang II, cor.) 

1 K : Hm. Je dormais (E : hm) A I S (E : hm) quand mon fils m’a téléphoné d’Australie hier soir

2 E : Là, pourquoi tu as choisi dormais et téléphoné, tu peux\

3 K : C’est le même cas dont j’ai parlé tout à l’heure. <XX (E : <que tout à l’heure hm) Oui. J’étais en train de dormir et tout d’un coup, le téléphone a sonné.

 

La relation entre le moment repère exprimé par une proposition subordonnée (quand mon fils...) et le moment de la situation (je dormais) saisi au milieu de son déroulement est parfaitement claire pour Kang.

 

(Extrait 10) 6-2 Hier un accident s’est produit au carrefour (...) Il pleuvait.

 6-3 Un enfant d’une dizaine d’années faisait du skateboard sur le trottoir de la rue Caillaux (Kim II, cor.)

1 E : Alors un accident s’est produit, ça c’est

2 K : Il a eu lieu complètement maintenant. (E : hm) Donc (E : il a eu lieu hier.) Oui, hier à un moment, il y a eu un accident et c’est pour ça que c’est au passé composé. Et au moment de l’accident, il était en train de pleuvoir depuis un certain temps [pi-nûn kesok o-ko it-ôsô]. C’est un état continu, donc l’imparfait. Ensuite, cet un enfant était en train de faire du skateboard sur le trottoir [tha-ko it-ôt-ôyo]. (E : hm) Il s’amusait à faire du skateboard dans une situation où il pleuvait [nol-ko it-ôt-ôyo]. (E : hm) C’est pour ça que j’ai mis l’imparfait. (E : hm)

 

Kim refait le récit et montre sa compréhension du déroulement du moment de la situation par rapport au moment repère.

Mais lorsque le verbe est transitionnel, la saisie du procès en déroulement semble difficile en particulier lors du premier entretien et ce, pour toutes les apprenantes. L’exemple de Lee (I) montre la double difficulté de ne pas arriver à concevoir le verbe partir dans son déroulement et son incompréhension de la situation :

 

 

(Extrait 11) 2-1 Dimanche dernier j’ai rencontré Paul qui partait pour Chamonix (Lee I, fr.)

1  E : ++ Alors donc dimanche dernier donc... + hm j’ai rencontré Paul qui était parti, était parti c’est quel temps ?

2  L : Plus-que-parfait non ?

3  E : Plus-que-parfait + n’est-ce pas ? <Parce que là (L : <hm) était c’est au... à l’imparfait plus participe passé, c’est plus-que-parfait. + Qui était parti pour Chamonix il avait + beaucoup de bagages et ses ski sur l’épaule c’est-à-dire quand je l’ai rencontré Paul (L : oui) et + il allait partir <parce qu’il avait.. (L : <hm) il a beaucoup de bagages ++ là + ça c’est imparfait non ? <Il avait (L : <hm) beaucoup de bagages +

4  L : Oui et... j’ai rencontré qui... (E : et là ) qui partirait ?

5  E : Qui partirait ? partirait ? C’est-à-dire comment ? Euh tu peux noter là ?

6  L : Qui était en train de partir (rire) (E : oui) qui... partirait +

7  E : Partirait ? euh... futur ? ou...

8  L : Futur dans le passé.

9  E : Ah comment on écrit futur dans le passé [= comment on écrit partirait]?

10 L : C’est conditionnel (E : hm-hm) partirait. (E : hm) + Je ne sais pas (E : hm) ah... c’est/ c’est pas... c’est pas juste ça [était parti].

11 E : Pour/ plus-que-parfait c’est pas bon ?

12 L : C’est pas bon parce que... <en ce moment (E : <hm) elle n’a/ elle/ elle n’est pas encore partie (E : ah... hm-hm don-c...) hm<...

13 E : <Qu’est-ce qu’il faut mettre ?

14 L : J’ai rencontré Paul qui... qui était en train de partir eh/ qui prépare + qui préparait ++ de partir pour Chamonix (E : hm-<hm) <Il avait beaucoup de bagages et ses skis sur l’épaule (E : hm-hm) C’est en train de... partir en train de venir + oui +

15 E : Ah bon ?

16 L : Je ne sais pas.

17 E : Mais... regardons il faut mettre le (rire) verbe partir là (L : partir ?) hm ++ (L : <XXX) <J’ai rencontré Paul qui ? +

18 L : Sauf ça <hm.. (E : <hm) avec... cette ce/ ces phrases (E : hm) dans le contexte je crois <que... (E : <que il est en train de...) on on peut pas... (E : savoir ?) savoir il était en train de venir <ou de.. partir (E : <ou hm)

19 E : Oui ça on ne sait pas donc/ mais + là il faut mettre le verbe partir (L : hm) Donc.. c’est clair il est il revient pas mais il part là maintenant

20 L : Partirait ?

21 E : Hm partirait ? comme ça ?

22 L : Bizarre + par..+ partait ?

23 E : Partait ? Parce que quand tu as mis préparait de partir tout à l’heure (L : hm) tu as mis à l’imparfait <parce que (L : <partait hm) tu te souviens ? (L : hm) Juste tout à l’heure euh j’ai rencontré Paul qui préparait de partir tu as dit <ça. (L : <hm) Donc... toi tu as dit <à l’imparfait

24 L : <C’est pas était parti c’est parti... ah/ partait

25 E : Partait (L : oui) à l’imparfait (L : oui) hm-hm. D’accord. Donc ça veut dire quoi ? Ici l’imparfait c’est qu’il est pas encore parti ?

26 L : C’est pas <encore parti

27 E : <Et il est...

28 L : Je pensais que c’est le fait.. de passer (E : oui) avant (E : hm) mais maintenant je.. ne pense pas comme ça ++ C’est euh..

29 E : C’est-à-dire tu as pensé qu’il était.. déjà parti ? + <c’est-à-dire...

30 L : <Non en train de partir

31 E : Ah en train de partir

32 L : Oui c’est comme ça partait

33 E : Partait donc à l’imparfait. (L : hm)

 

En 1, l’enquêtrice demande à Lee de confirmer la forme verbale qu’elle venait de choisir pour partir, et en 3 elle passe au verbe suivant avoir beaucoup de bagage. Sans être sollicitée, Lee choisit une autre forme verbale qui marque la postériorité par rapport au moment repère. Pendant que l’enquêtrice demande encore une confirmation entre 4-10, Lee corrige en 10 son premier choix, le plus-que-parfait, en s’apercevant qu’il ne s’agit pas d’un procès antérieur. Elle s’approche de l’idée de déroulement en niant le perfect en 12. En plus, l’adverbe encore qu’elle utilise signifie que la borne droite du procès n’est pas encore franchie. Et elle reformule la phrase en français et en périphrase ‘était en train de partir’, suivie d’une autre tentative avec le verbe préparer mis d’abord au présent mais immédiatement après à l’imparfait sans grande difficulté. Et en 14, elle manifeste son doute sur la circonstance de la rencontre, lequel était sans doute à l’origine de son premier choix du plus-que-parfait. Ce doute se confirme à 18 et l’enquêtrice, pour que Lee garde le verbe partir, en arrive à donner la réponse au doute de Lee (19). Ainsi, en 20, Lee revient à la forme proposée en 4, partirait et, elle la trouve d’elle-même « bizarre » et propose partait en 22, sans en être sûre de son exactitude pour autant. En 24, Lee semble sûre de son nouveau choix et l’enquêtrice, en demandant ce qu’il signifie en 25, propose ou anticipe la valeur aspectuelle que Lee lui attribuerait.

Dans la formule de l’enquêtrice, « il n’est pas encore parti » que Lee avait déjà utilisée spontanément en 12, l’adverbe encore est significatif. Selon le cas, encore peut signifier que le procès n’est pas entamé. C’est, par exemple, la situation où Paul serait à la maison encore et qu’on lui dit : « tu n’es pas encore parti ? ». Dans un autre contexte, il peut signifier que le procès est entamé (la borne gauche est marquée) mais n’est pas terminé, en focalisant sur le non-franchissement de la borne droite du procès et en portant ainsi une valeur d’imperfectif. La lecture de l’enquêtrice est la seconde, et Lee qui semblait déjà l’avoir trouvé en 12 l’approuve avec certitude cette fois-ci en 26 en reprenant l’expression de l’enquêtrice. Lee témoigne en 28 du changement au cours de l’interaction de sa compréhension du contexte de la rencontre et donne en 30 la formulation directe de l’aspect imperfectif qu’elle avait tentée tout au début de la séquence (6) sans conviction comme le montre son rire.

Qu’est-ce qui fait que Lee saisit le procès partir de façon préférentielle comme antérieur ou postérieur au moment repère (la rencontre) ? On ne saurait dire ici si c’est la sémantique du verbe transitionnel vu, le plus souvent, comme une action qui finit aussitôt commencée qui en est responsable ou si c’est la difficulté de compréhension du récit.

 

1.3.2. Les formulations de l’aspect imperfectif

Plusieurs moyens linguistiques sont utilisés pour exprimer l’aspect imperfectif et ils sont employés lors des deux entretiens. Le plus fréquemment utilisé est le moyen périphrastique ‘être en train de + V’ en français et lors du premier entretien et ‘-ko it’ en coréen lors du second entretien :

- « ah... oui + en train de + partir ? ça veut dire ? (E : hm-<hm) <partait ? qui était en train de partir pour Chamonix ? » pour 2-1 j’ai rencontré Paul qui partait pour Chamonix (Kim I, fr.)

- « elle était en train de sourire parce qu’elle s’y attendait [miso-rûl jit-ko it-ôt-ta] » pour 3-2 quand il a ouvert la porte, elle lui a souriait (Lee II, cor.)

- « j’étais en train de t’attendre [kitari-ko it-ôt-ta] » pour 3-4 et lui a dit : je t’attendais (Kim II, cor.)

- « il était en train de [tha-ko it-tô-n] » pour 6-3 il faisait du skateboard sur le trottoir (Kang II, cor.)

La structure ‘être en train de + V’ peut également s’accompagner de l’adverbe toujours qui renforce la continuité d’un procès entamé :

 

(Extrait 12) 6-7 Quand il est arrivé au carrefour, il n’a pas pu ralentir et est tombé juste au moment où la voiture arrivait (Lee I, fr.)

1 L : Hm euh quand on arrivait au carrefour il n’a pas pu ralentir et tombé et est tombé (E : <est tombé) <sur l’avenue d’Italie <juste (E : <hm-hm) au moment (E : hm) où une voiture arrivait + (E : <arrivait) <arrivait. (E : hm) Parce que euh... au bout de compte euh... + selon moi (E : hm) je/ c’est c’est... le garçon.. euh... +++ le garçon avait a/ aperçu (E : hm) que la voiture hm... s’est p/ hm la voiture s’est approchée + de lui. (E : hm-hm) Mais elle ne pouvait/ ah/ il ne pouvait pas... se t/ il ne pouvait pas se tenir (E : hm-hm) se taire se/

2 E : Se taire ? se <taire c’est\

3 L : <Se tenir (E : se tenir ?) il ne pouvait pas s’arrêter. (E : hm-hm) +++ Oui (E : hm-hm) + parce que euh... la voiture était toujours en train de...

4 E : D’avancer ?

5 L : Euh d’avancer. (E : hm-hm)

 

Pour le verbe arriver, Lee n’est pas sûre de la forme adéquate et hésite dès le début entre passé composé et imparfait. Elle choisit d’abord le passé composé en hésitant, ensuite l’imparfait lui semble convenir et elle explique ici pourquoi. On constate en 1 sa bonne compréhension de la situation et après une petite parenthèse métalinguistique sur le verbe se tenir entre 2-3, Lee emploie en 3 l’expression ‘toujours en train de’ pour laquelle l’enquêtrice vient à son aide en 4 pour le verbe qu’elle semblait chercher et qu’elle intègre en 5.

 

Le second moyen, le non-perfect s’observe chez les trois apprenantes :

 

(Extrait 13) 6-7 Quand il est arrivé au carrefour, il n’a pas pu ralentir et est tombé juste au moment où une voiture arrivait (Kim I, fr.)

1 E : Alors tu as mis au passé composé parce que +++ au moment où une voiture est arrivée

2 K : (soupir) +++ Peut-être euh... j’ai pas j’ai pas bien... remarqué (E : hm) oui +

3 E : Alors quand on utilise l’expres<sion (K : <au moment où) au moment où est-ce que on on utilise un peu systématiquement (Y : -ment <imparfait) <imparfait ? il a expliqué comme ça ?

4 K : Oui oui

5 E : + Ah bon ? hm hm hm

6 K : Il a il a raison au moment <où (E : <au moment où) c’est pas... ++ c’est pas fini (E : <ouais) <au moment où <c’est un peu... (E : <ouais) le sens de la durée (E : hm-hm)

 

L’enquêtrice rappelle en 1 le choix du passé composé de Kim lors du passage du test dans sa classe de français. Kim reconnaît en 2 son erreur et l’enquêtrice demande en 3 la mise en relation entre la conjonction temporelle au moment où et l’emploi de l’imparfait qu’aurait fait son professeur. Celle-ci le confirme et donne en 6 une justification en formulant le non perfect. Notons qu’elle perçoit la notion de durée comme son synonyme.

Le non-perfect peut s’accompagner de l’adverbe encore qui rapproche plutôt la formulation de l’imperfectif que d’un simple non-perfect :

- « quand je l’ai rencontré il est pas encore parti », « il est déjà parti de chez lui mais pour Chamonix il n’est pas encore parti » pour 2-1 j’ai rencontré Paul qui partait pour Chamonix (Kang I, fr.)

Le non-perfect peut être également intégré dans une paraphrase avec un autre verbe :

- « ça veut dire euh une voiture ++++ n’a pas encore arrêté, arrêté, arrivé » pour 6-7 est tombé juste au moment où une voiture arrivait (Kim I, fr.)

 

Les paraphrases sont un autre moyen linguistique et elles s’observent davantage lors du second entretien :

 

(Extrait 14) 6-4 Quand il arrivait au carrefour, il n’a pas pu ralentir et (...) (Lee II, cor.)

1 E : Ça , tu l’as fait à l’imparfait (L : hm) quand il arrivait +

2 L : Même quand il est arrivé au carrefour, continuellement ++ j’ai l’impression que ça continue [yônsokjôki-n nûkkim]. +++ Ce n’est pas qu’il voulait seulement arriver au carrefour (E : hm), mais il continuait à en faire [kesok ha-ko it-nûn jungi-nte] et quand on parle d’un événement non prévu qui a lieu à ce moment là, je pense qu’on utiliserait l’imparfait. + Hm ++

 

Lee emploie le verbe continuer pour marquer un procès commencé et qui est toujours en déroulement.

 

(Extrait 15) 2-1 Dimanche dernier, j’ai rencontré Paul qui partait pour Chamonix (Kim II, cor.)

1 E : Hm ensuite

2 K : Dimanche dernier j’ai rencontré Paul (E : hm) ah… + partir pour Chamonix (E : hm) ++ Ah là/ oui ici, je pense qu’il faut dire simplement/ + par-tait.

3 E : Oui pourquoi ?

4 K : Parce que ils se sont rencontrés. (E : hm) + Ici hm j’ai rencon/ juste au moment + de la rencontre (E : hm) ce Paul était sur le chemin de la gare [kitcha-rûl tha-rô ka-nûn junggane manna-at-ta] (E : hm) avec son sac a dos pour aller à Chamonix. (E : hm) + C’est là qu’ils se sont rencontrés. +++++ Oui. ++ Donc Paul qui par/ à ce moment là, là aussi on ne peut pas penser autrement qu’une action en cours.

 

La glose tout à fait adéquate à la situation en 4 montre que Kim saisit bien l’aspect imperfectif. On notera également quelques mots significatifs comme déroulement ou action en cours, continuellement, état, dans les paraphrases observées lors du second entretien :

- « c’était en déroulement [jinhengjungi-ôt-ko] » , « l’état où on dort continuellement [kesok dormir-han kû sangthe] » pour 1-1 je dormais quand mon fils m’a téléphoné (Kim II, cor.);

- « on ne peut pas penser autrement qu’une action en déroulement [jinheng] » pour 2-1 j’ai rencontré Paul qui partait pour Chamonix (Kim II, cor.) ;

- « c’est l’état où il était en train de pleuvoir [pi-ka o-ko it-ôt] » pour 4-4 quand ils sont arrivés à Rennes, il pleuvait (Kim II, cor.) ;

« c’est l’état où la porte s’ouvre graduellement [mun-i yôl-i-ô-ji-ko it-nû-n sangthe] » pour 3-1 quand il ouvrait la porte, elle lui a souri(...) (Lee II, cor.) 

 

En résumé, trois types de formulations sont observés : le moyen imperfectif direct (être en train de ou –ko it-ôt), la négation du perfect (ex. pas fini) et la paraphrase qui souligne la continuité du procès entamé. Ce dernier moyen est davantage utilisé en second entretien.

Le tableau suivant récapitule l’ordre des apprenantes chez qui on observe le plus de cas de verbalisation de l’aspect imperfectif et les moyens linguistiques employés pour l’exprimer :

 

Aspect imperfectif et imparfait

Premier entretien

Second entretien

Kang

- non perfect + « encore »

- ‘en train de V’

- paraphrases (« état continu »)

Lee

 

-‘en train de V’ [-ko it]

- paraphrases (« continuer », « continuer à V », « état où V-ko it »)

Kim

- ‘en train de V’

- non perfect ; non perfect + paraphrase

- paraphrase (« le sens de durée »)

Kim

- ‘en train de V’ [-ko it] ; « état » + ‘en train de V [-ko it]’

- paraphrases (« sur le chemin [-nûn junggane] », « déroulement » « en cours » [jinheng],

« état [sangthe]+ V + continuellement [kesok] »)

- non perfect

Lee

- ‘(toujours) en train de V’

- non perfect + « encore »

Kang

- ‘en train de V’ [-ko it] ; « état » + ‘en train de V [-ko it]’

[Tableau 14 : Formulations de l’aspect imperfectif]

1.3.3. Opérationnalité de la notion de l’imperfectif

Nous avons vu que l’aspect imperfectif est bien saisi dans la plupart des cas quand il est véhiculé par un verbe d’état ou d’activité. Dans ces cas, la référence au déroulement du procès est verbalisée par les apprenantes le plus souvent spontanément, sauf quelques cas de reprises de l’expression de l’enquêtrice (cf. extrait 11) comme dans le cas suivant :

 

(Extrait 16) 1-1 Je dormais quand mon fils m’a téléphoner hier soir (Kang I, fr.)

1 K : Je dormais quand mon fils (E : hm) m’a téléphoné d’Australie hier soir

2 E : Ah je dormais ça c’est tu as mis à l’imparfait hein ? (K : hm) c’est ça ? et là au passé composé bon pourquoi ? parce que dormais comme tu as expliqué tout à l’heure c’est le.. dans le passé c’est quelque chose qui.. c’est un état ?

3 K : Oui

4 E : C’est ça ? +++

5 K : C’est un état continu (E : hm continu hm-hm)

 

L’enquêtrice essaie de savoir à quel emploi de l’imparfait correspond le cas de dormais parmi ceux que Kang venait de verbaliser dans son commentaire général sur les emplois du passé composé et de l’imparfait (cf. extrait 8). L’enquêtrice propose la notion d’état (2) qu’approuve Kang sans conviction (3). Elle demande confirmation en 4 et Kang y apporte en 5 une modification pour proposer une notion un peu plus spécifique.

Quand il s’agit d’un verbe transitionnel, notamment lors du premier entretien dans l’exemple de Lee, la référence au déroulement d’un procès pour partir n’était pas facile d’accès. Une longue interaction était nécessaire pour que Lee conçoive le procès partir en déroulement et qu’elle trouve la forme verbale adéquate. On constate une nette amélioration d’accès pour ce type de verbe lors du second entretien pour les trois apprenantes.

Du point de vue de la précision des termes, l’ambiguïté des termes employés lors du premier entretien, état ou durée, semble se dissiper lors du second entretien au profit des expressions marquant davantage le déroulement de procès. L’opérationnalité de la notion d’imperfectif qui était ainsi limitée aux verbes d’état et d’activité s’étend plus tard aux verbes transitionnels.

1.4. Remarques générales sur les visions du moment de la situation selon la localisation du moment repère

Parmi ces trois visions du moment de la situation vu du moment repère (aspects perfect, perfect résultatif, imperfectif), l’aspect perfect semble le plus facile à saisir, confondu souvent avec le temps passé. La conception d’un procès en déroulement (aspect imperfectif) pour un procès transitionnel semble cognitivement difficile et la difficulté se manifeste par les verbalisations. Deux étapes sont observées : le procès est vu d’abord comme compact (comme un procès vu en entier), et il est vu soit comme ayant lieu (antériorité), soit comme celui qui va avoir lieu (postériorité). Ce n’est qu’après qu’il est vu dans une vision partielle, saisie entre deux bornes. Cette seconde étape comporte elle-même des sous-étapes dans la verbalisation : la saisie partielle du procès est exprimée d’abord par les moyens indirects de l’aspect perfect comme « pas fini » avec l’attention portée sur la borne droite et « pas encore fini » et par la suite, par l’expression plus directe, suivie finalement d’« être en train de », qui tiennent compte du franchissement de la borne gauche.

Le perfect résultatif, cas particulier de l’aspect perfect, s’observe relativement peu par rapport aux deux autres aspects. Mais sa formulation presque canonique (procès au passé + mention du résultat) est employée par les apprenantes pour la valeur perfect et ce, exclusivement pour les procès transitionnels. Sensibles au changement d’état porté par la sémantique des verbes transitionnels, nos apprenantes emploient sans s’en apercevoir la formulation du perfect résultatif pour les procès dont la mention du résultat immédiat n’a pas de pertinence discursive pour la suite du récit.

2. Type de chevauchement

La notion de chevauchement découle d’une vision spatiale des rapports entre deux intervalles en relation, moment de la situation et moment repère. Elle concerne seulement les intervalles occupés par des procès distincts, et qui ont des contacts par chevauchement. Ceux qui n’ont pas de contact entre eux sont considérés du point de vue de l’ordre temporel, notamment en terme d’antériorité et de postériorité. Deux grandes catégories de chevauchement sont possibles : les chevauchements partiels et totaux.

2.1. Chevauchement partiel : inclusion

Le chevauchement partiel exprimé en français concerne la relation d’inclusion : le moment de la situation peut être inclus dans le moment repère (aspect perfectif) ou l’inclure (aspect imperfectif). L’aspect imperfectif (Je dormais quand il m’a téléphoné) qui s’oppose aussi à l’aspect perfect du point de vue de la localisation du moment repère s’oppose, du point de vue du rapport d’inclusion, à l’aspect perfectif (Pendant qu’il téléphonait, la voiture a filé). Dans une perspective de chevauchement, on ne focalise pas l’attention sur une portion du procès comme dans l’aspect imperfectif, mais sur l’intervalle en entier du moment de la situation en relation avec l’intervalle du moment repère. Prenons la phrase Dimanche dernier, j’ai rencontré Paul qui partait pour Chamonix. Dans cette phrase, le procès rencontrer est inclus dans le procès partir. L’intervalle incluant peut se diviser en trois parties comme suit :

               

a

b

            c

 

-------------- partir

-----[------]--- rencontrer

----------------

partir

(---- : procès incluant, partir ; [  ] : procès inclus, rencontrer ; a, b, c : trois parties du procès incluant)

 

Ainsi, cette perspective permet de prendre en compte non seulement la portion en chevauchement (portion b ci-dessus), mais aussi les autres parties sans chevauchement (a et c). C’est ce qui permet de dire que, temporellement, le procès incluant commence avant, et finit en même temps ou après le procès inclus.

2.1.1. Les verbalisations en entretien

La saisie du chevauchement partiel d’inclusion apparaît chez toutes nos apprenantes dès le premier entretien, mais elles verbalisent davantage le procès incluant, aussi bien lors du premier que lors du second entretien. Parmi les trois parties de l’intervalle du procès incluant (a, b, c, dans le schéma ci-dessus), nos apprenantes verbalisent une ou deux des trois parties. Pour désigner ces trois parties du procès incluant, nous utiliserons les signes a, b, c.

2.1.1.1. Intervalle incluant : partie antérieure à la portion chevauchée

 

(Extrait 17) 2-2 Il avait beaucoup de bagages et ses skis sur l’épaule (Lee I, fr.)

1 E : (...) Bon après il...

2 L : Il avait <beaucoup de bagages et ses skis

3 E : <Il avait beaucoup de bagages et ses skis donc là il avait ça c’est état ? (L : oui) Hm c’est ça ? Donc pas de problème + Donc ++ on ne peut pas dire il a eu par exemple ? <passé composé

4 L : <Il a eu ++ c’est bizarre

5 E : Hm ? C’est bizarre ? Il a eu beaucoup de bagages et ses ski sur l’épaule mais... au niveau de la grammaire bon je pense <que... c’est (L : <pas de problème) pas de problème mais + <ça te paraît bizarre

6 L : <Mais.. il avait beaucoup de bagages euh... avant... avant de rencontrer (E : hm) + moi + <avant de rencontrer (E : <hm-hm hm-hm)

7 E : + Donc c’est un état ?

8 L : Hm

9 E : Pour toi bon

 

Lee choisit pour le verbe avoir l’imparfait en 2, et l’enquêtrice lui demande confirmation en 3 sur son hypothèse de ce qui fonde son choix. Lee l’approuve ou l’accepte et l’enquêtrice enchaîne, pour lui faire confirmer l’acceptabilité de l’emploi du passé composé. Lee donne son diagnostic (« bizarre ») et en 6, elle verbalise la partie antérieure de la portion chevauchée (a), le fait qu’il avait déjà ses bagages avant la rencontre qu’est le moment repère, pour confirmer son choix de l’imparfait.

2.1.1.2. Intervalle incluant : partie antérieure et partie chevauchée

On observe rarement à la fois une mention de la partie antérieure au moment repère (a) et d’une portion qui le chevauche (b). Seule Kim la formule une fois :

 

(Extrait 18) 4-4 Quand ils sont arrivés à Rennes, il pleuvait (Kim I, fr.)

1 E : (...) Mais quand ils sont arrivés à <Rennes (K : <Rennes) ils + <toi (K : <ils\) tu as mis à l’imparfait c’est ça ?

2 K : Oui impar<fait

3 E : <Après tu as tu as barré ? ou.. ++ il pleuvait

4 K : Non + au début j’ai/ oui (E : hm) c’est.. (E : hm) c’est <XXX

5 E : <Il est il pleuvait ça veut dire quoi il pleuvait ?

6 K : *il était en train de pleuvoir* la durée (E : hm-hm) oui

7 E : C’est seulement la durée ?

8 K : ++ Oui la durée (E : hm) avant et maintenant (E : hm) aussi (E : hm-hm d’accord) (...)

 

L’enquêtrice demande à Kim la valeur de l’imparfait que celle-ci a choisi pour pleuvoir (5) et Kim répond en 6 avec la notion de durée. A la demande de développement de l’enquêtrice (7), elle précise en 8 qu’il s’agit d’une durée qui couvre à la fois la partie antérieure à la portion chevauchée (a) et la partie chevauchée avec le moment repère (maintenant) (b).

2.1.1.3. Intervalle incluant : parties antérieure et postérieure

On peut dire que ces deux premières parties (a et b) sont en effet les plus évidentes de l’intervalle incluant dans la relation d’inclusion. Mais si le dépassement à gauche (a) et le chevauchement avec la partie centrale (b) sont certains, il n’en va pas de même en ce qui concerne la partie droite après le moment repère (c). Théoriquement, le moment de la situation peut finir en même temps que le moment repère comme le montre le schéma suivant :

 

a

b

            ---------[---------]

(------ : moment de la situation, [   ] : moment repère)

 

Le moment de la situation peut également dépasser le moment repère et peut continuer après celui-ci :

 

a

b

c

            ---------[-------]-------

 

Mais comme la fin simultanée des deux intervalles relève plutôt d’une coïncidence exceptionnelle[177], on a tendance à interpréter dans la plupart des cas l’intervalle incluant comme comprenant également, outre la partie antérieure (a), la partie postérieure à la portion chevauchée (c), comme le représente le second schéma ci-dessus. C’est ce que fait Kang, d’ailleurs en termes bien précis :

 

(Extrait 19) 6-2 Hier, un accident s’est produit au carrefour (...) Il pleuvait. (Kang I, fr.)

1 E : Bon hier un accident s’est produit au carrefour de la rue + Caillaux et de l’avenue d’Italie + bon donc ça c’est le... passé composé (K : hm) hm-hm il PLEUVAIT + t’as mis à l’imparfait + c’est-à-dire + si on compare le moment où l’accident s’est produit et le moment où il pleuvait c’est-à-dire qu’est-ce qui est + <avant ?

2 K : <Il pleuvait hier il pleuvait

3 E : Ah ++ il pleuvait <c’est-à-dire le fait de\

4 K : <Oui avant de/ avant...

5 E : Avant l’accident ?

6 K : Avant cet accident (E : hm...) il pleuvait <et après (E : <hm-hm) cet accident il pleuvait aussi (E : ah donc) après on... on ne sait pas exactement mais peut-être (rire)

7 E : Avant donc il pleuvait ?

8 K : Hm-hm (E : hm) +

 

L’enquêtrice propose déjà dans sa question en 1 une vision du chevauchement en mettant l’accent sur le début de l’intervalle incluant, en utilisant l’adverbe avant. C’est dans la réponse à cette question que Kang, en 4 et en 6, précise, avec les moyens adverbiaux suggérés par l’enquêtrice (avant et après), les parties antérieure (a) et postérieure du procès incluant pleuvoir (c) par rapport au moment repère, l’accident (b).

La prise en compte de la première (a) ou des deux parties, gauche (a) et droite (c), est également observée chez Lee et Kang dans leurs commentaires sur les emplois généraux des deux temps. Le chevauchement est décrit de façon schématique :

 

(Extrait 20) 2-3 Alors, je l’ai accompagné à la gare (Lee I, fr.)

1 E : (...) Alors je... <l’ai accompagné (L : <je l’ai accompagné) à la gare hm-hm alors je l’accompagnais à la gare (rire) par exemple à l’imparfait (rire) est-ce que c’est possible ? + alors je l’ai accompagné à la gare

2 M : C’est mieux comme ça <je l’ai accompagné

3 E : <Hm c’est mieux comme ça ? Pourquoi c’est mieux ?

4 L : Parce que… c’est le fait.. hm... le fait plutôt ponctuel +

5 E : Ah d’accord là donc ça c’est nouveau ça ponctuel + hm.

6 L : ++ <Mais…

7 E : <Donc est-ce que tu crois que il y a une relation entre action et ponctuel ?

8 L : Oui un peu. (E : hm) + Je crois que l’action coupe le durée des... le durée/ le certaine durée + (E : hm-hm) euh... + jusqu’à cette action il y avait quelque situation qui dure depuis euh certain temps et l’action ça coupe tic <comme ça. (E : <hm-hm hm-hm) Et après je sais pas mais... mais je... + normalement ce qui euh.. ah/ normalement je com/ je distingue... l’imparfait et passé compose (E : hm) comme ça. (E : hm)

 

L’enquêtrice questionne Lee sur l’acceptabilité de la forme qu’elle n’a pas choisie (1) et Lee confirme son choix du passé composé en guise de réponse (2). Sollicitée par l’enquêtrice (3), elle introduit une nouvelle notion « le fait ponctuel » (4), et à la demande d’un développement de l’enquêtrice, elle présente son schéma d’emploi du passé composé et de l’imparfait (8) : l’« action » véhiculée par le passé composé « coupe » la « durée » véhiculée par l’imparfait. Ce schéma pourrait être représenté par une des deux possibilités suivantes :

         ----------|---------      ou        ------------|    

(-------- : situation, | : action)

 

Kang emploie à peu près le même vocabulaire que Lee, ce qui est sans doute lié au fait qu’elles ont suivi un temps les mêmes cours de français avec le même enseignant.

 

(Extrait 21) Commentaire général avant l’exercice (Kang II, cor.)

1 E : Ah avant de le faire, quand est-ce qu’on utilise l’imparfait (K : hm), tu me diras comme ça te vient à l’esprit, et ensuite on fera l’exercice. Donc quand on utilise l’imparfait et le passé composé ? (K : +++) Tu peux le dire comme ça te vient à l’esprit.

2 K : L’imparfait, c’est (rire), euh pour les termes grammaticaux, ça aurait été mieux avant. Parce que maintenant (E : hm) je m’en souviens pas bien. Maintenant, je parle avec une intuition, et moins sur la base d’un système comme au début de l’apprentissage. (E : hm) ++ Euh +++ C’est ça oui euh l’imparfait/ pour parler simplement, l’imparfait marque un état qui était en train de se produire. (E : hm) Ou l’état lui-même. Et le passé composé, quand il y a eu une action, (E : hm) quand il y a eu un point, c’est-à-dire (E : hm) XX il y avait un état, (E : hm) par exemple, je dormais, j’étais fatigué, ou alors je regardais quelque chose, et des trucs comme ça. Et puis à ce moment là, des événements (E : hm) qui se sont produits (E : hm) en coupant [cette situation]. Bien sûr, ces événements prennent du temps depuis leur développement jusqu’à la fin (E : hm) mais par rapport au déroulement de l’imparfait, et à l’état de l’imparfait, (E : hm) euh… c’est relativement court et momentané (E : hm) XX

3 E : Tu penses comme ça ? (K :  (rire)) Tu penses à d’autres choses ?

4 K : Ah maintenant, je me rappelle plus de la grammaire. (rire)

 

Kang emploie en 2 le terme « état » et, plus loin, « déroulement » pour les procès mis à l’imparfait et les termes comme « événement », « action », « point » pour les procès marqués par le passé composé. La relation des deux types de procès qui se rencontrent est décrite comme celle de l’« événement qui coupe l’état » ou celle de longueur relative (« les événements sont relativement courts et momentanés par rapport à l’imparfait »). Comme chez Lee, les deux schémas ci-dessus semblent possibles.

2.1.1.4. Intervalle inclus

A la différence de nombreuses verbalisations du procès incluant, le procès inclus (b) fait rarement l’objet d’un commentaire indépendant :

 

(Extrait 22) 6-1 Hier un accident s’est produit au carrefour de (...) (Kim II, cor.)

1 E : Alors un accident s’est produit, ça c’est

2 K : Il a eu lieu complètement maintenant. (E : hm) Donc

3 E : Il a eu lieu hier

4 K : Oui, hier à un moment, il y a eu un accident et c’est pour ça que c’est au passé composé.

 

Kim donne spontanément une explication relevant de l’aspect perfect (« il a eu lieu complètement maintenant ») pour son choix du passé composé. L’enquêtrice glose en 3 l’énoncé de Kim en orientant la perspective aspectuelle perfect en une perspective temporelle par la reprise de l’adverbe temporel hier de la phrase. Kim réagit en 4 en intégrant le mot hier et en établissant le rapport d’inclusion du moment de la situation, l’accident, dans le moment repère, hier. Dans les autres cas, la mention du procès inclus (b) est toujours accompagnée de celle du procès qui l’inclut, ce qui nous semble en effet inévitable :

- « l’action coupe la durée » pour 2-3 Alors, je l’ai accompagné à la gare (Lee I, fr.) ;

- « J’étais en train de dormir [ja-ko it-ôt-nûnte] et tout d’un coup, le téléphone a sonné [bel-i ulli-ôt-ta] » pour 1-2 Je dormais quand mon fils m’a téléphoné d’Australie hier soir (Kang II, cor.) ;

- « pendant qu’il téléphonait [ha-ko-it-nûn tongan-e], la voiture s’est enfuie [tomangka-ât-sôyo] » pour 6-12 Pendant qu’il téléphonait, la voiture a filé (Kim II, cor.)

- « quand ils sont descendus du train, il pleuvait [pi-ka o-ko it-ôt] » pour 4-4 Quand ils sont arrivés à Rennes, il pleuvait (Kang II, cor.)

L’inclusion des procès filer et arriver dans téléphoner et pleuvoir se manifeste de façon implicite par la glose elle-même, qui n’est d’ailleurs pas très différente de la phrase de l’exercice.

2.1.2. Autres chevauchements partiels

Deux procès en relation, l’un au passé composé et l’autre à l’imparfait, ne sont pas toujours saisis comme ayant un rapport d’inclusion. On observe chez Kim un cas de saisie particulier de chevauchement partiel pour cette combinaison de temps verbaux :

 

(Extrait 23) 6-13, 14 L’enfant s’est retrouvé tout seul et il avait peur et il a réussi à partir lui aussi (Kim II, cor.)

K : L’enfant s’est retrouvé aussi, le moment court où il s’est regardé lui-même, c’est très court. Quand il a repris son esprit, il s’est rendu compte qu’il était seul et en même temps, il a pris peur. + Il continue à avoir peur. Parce que la peur ça continue toujours, donc (E : hm) je pense qu’il faut mettre avait <donc

 

Kim analyse de façon erronée que le procès se retrouver seul chevauche le début du procès avoir peur débutant au même moment mais qui se poursuit ensuite. Cette configuration de chevauchement partiel peut se présenter dans un schéma suivant :

            ------------

se retrouver seul

            [-+--+--+-]+++++++

avoir peur         ([ ] partie chevauchée)

 

La même configuration de chevauchement partiel est saisie également par Kang (II), mais dans une autre combinaison de temps, celle de passé composé - passé composé pour les procès téléphoner et filer :

 

(Extrait 24) 6-11, 12 Pendant qu’ il a téléphoné, la voiture a filé (Kang II, cor.)

1 E : Hm… ++ Pendant qu’il téléphonait, ça c’est l’im<parfait\

2 K : <Ça ça c’est le plus bizarre. (E : hm) Pendant pendant qu’il… (E : téléphonait) pendant qu’il a téléphoné, la voiture est (bas)

3 E : (...) Donc tu l’as dit [téléphonait] pour exprimer qu’il était <en train de (K : <Oui oui) mais maintenant, tu crois que pendant qu’il a téléphoné est aussi possible, c’est ça ?

4 K : (...) Je ne sais pas trop. Pendant qu’il a téléphoné, ça fait un peu bizarre aussi. (E : hm) Je pense que ça ne marche pas.

5 K : (...) Quand on dit pendant pen/ pendant qu’il a téléphoné, juste au moment où il téléphonait, (E : hm) la voiture s’est enfuie, donc euh (E : hm) euh je ne sais pas, euh c’est comme si juste au moment où la personne a… a pris le combiné, en pas plus d’une seconde, euh, (E : hm) la voiture s’est enfuie ou. (E : hm) Alors que cette personne a dû rester un moment à parler au téléphone. (E : hm)

 

Kang choisit d’abord l’imparfait pour téléphoner mais elle semble hésiter entre les deux formes verbales (2-4). En 5, elle exprime ce qu’elle comprend lors qu’on emploie le passé composé : il s’agit d’un chevauchement partiel entre la phase inchoative du procès téléphoner (la prise du combiné) et l’intervalle du procès s’enfuir. C’est le même schéma de chevauchement qu’on a observé chez Kim ci-dessus :

         ---------

s’enfuir

         [-+--+-]+++++++

téléphoner    ([  ] : partie chevauchée)

 

2.1.3. Les formulations du chevauchement partiel

Pour la mention des parties de l’intervalle incluant, comme on en a vu dans les exemples, on observe l’emploi d’adverbes temporels, avant, maintenant, et après que les apprenantes combinent selon la saisie de l’une ou de deux parties, comme avant et après (saisie des portions a et c), avant et maintenant (a et b):

 

(Extrait 25) 5-1 Paul avait vingt ans quand il a eu son accident de montagne (Kang II, cor.)

1 E : + O.K Bon. Paul avait vingt ans (K : hm) ça c’est, on ne peut pas dire Paul a eu vingt ans (rire) ?

2 K : Non

3 E : Ça ne marche pas ?

4 K : Non

5 E : Pourquoi ?

6 K : Quand l’événement, quand il a eu l’accident, il avait + vingt ans. (E : hm) Il n’a pas eu vingt ans juste au moment de l’accident. (E : hm hm) Avant l’accident, il avait vingt ans (E : hm) et après aussi, il avait vingt ans. (E : + O.K.) Au moment (E : hm) l’accident + est arrivé (E : hm) (quand) il a eu son accident de montagne. (E : hm)

 

L’explicitation des parties antérieure (a) et postérieure au moment repère (c) apparaît à la suite de la demande de considération de l’emploi du temps non choisi. Kang (II) a recours au même procédé pour 6-11 pendant qu’il téléphonait, la voiture a filé : « (...) cette personne a dû rester un moment à parler au téléphone. Avant que la voiture s’en aille, XXX cette personne devait être déjà en train de faire le numéro, et même après le départ de la voiture, elle a dû rester encore au téléphone ».

On remarque également l’emploi de l’adverbe toujours qu’on a vu dans l’extrait 12 chez Lee (« la voiture était toujours en train d’avancer »), qui fait référence à la portion chevauchée avec le moment repère (b), tout en la liant à la partie antérieure (a).

Outre l’adverbe, le circonstanciel temporel s’observe aussi pour la partie antérieure au moment repère (a) :

- « depuis quelque temps, il pleuvait » pour 4-4 quand ils sont arrivés à Rennes, il pleuvait (Lee I, fr.)

La désignation ambiguë des sous-parties de l’intervalle incluant qu’on a vu dans les extraits 20 et 21 s’observe aussi dans une autre expression employée par Lee :

 

(Extrait 26) 1-1 Je dormais quand mon fils m’a téléphoné hier soir (Lee II, cor.)

L : Comme ça, sans problème, l’événement de téléphone, le fait qu’il a téléphoné est un événement, (E : hm) hm. Ensuite, euh le fait de dormir est une situation + relativement de long terme (E : hm) par rapport à l’appel téléphonique ++

 

L’ambiguïté réside dans la non explicitation de la partie postérieure au moment repère (c).

Un autre moyen linguistique employé est la paraphrase qui consiste d’abord à redire à peu près la même chose, comme nous l’avons vu plus haut. En voici un autre exemple :

- « Mais pendant qu’il… cette situation est, la voiture s’est enfuie dans la situation où cette personne téléphone, n’est-ce pas. La voiture ce.. ce… quand cette voiture s’est enfuie le temps du téléphone, c’était pendant le temps que cette personne, ce passant téléphonait [jônwha-rûl ha-ko it-tô-n jungi-ôt-ta] » pour 6-11 pendant qu’il téléphonait, la voiture a filé (Kang II, cor.)

La paraphrase consiste aussi à imaginer le contexte dans lequel le moment de la situation peut être l’intervalle incluant qui commence avant le moment repère :

 

(Extrait 27) 3-2 Quand il a ouvert la porte, elle lui souriait et lui a dit (...) (Lee II, cor.)

1 E : Bon alors, quand il a ouvert et elle lui a/ elle lui souriait, quel est le sens ?

2 L : Hm... + quand il a ouvert la porte brusquement, (E : hm) cette femme ah/ cette femme s’attendait à le voir, et continuellement hm... comme ça un peu + dans une situation + d’attente ou de connaissance (E : hm) + elle maintenait la situation. ++

3 E : Quelle situation ?

4 L : Hm elle était en train de sourire (E : hm) parce qu’elle s’y attendait (E : hm) Hm <et en même temps

5 E : <Donc elle savait déjà qu’il viendrait et (L : Hm) elle était en train de sourire, c’est ça ? ++ <Alors quand\

6 L : <C’est peut-être différent à cause du verbe sourire ? +++

7 E : Donc si on le met à l’imparfait souriait (L : hm), c’est qu’elle est en état de sourire quand on a ouvert la porte

8 L : C’est-à-dire euh on ouvre la porte/ oui avant qu’on ouvre la porte, le bruit de quelqu’un qui court/ non <quelqu’un arrive en courant ou euh c’est-à-dire (E : <à partir de ce moment hm) Donc quand elle a dit quelque chose, elle a dit je t’attendais (E : hm hm).

 

Lee imagine une situation où le personnage féminin du récit qui attendait l’autre personnage masculin sourit déjà avant que celui-ci n’arrive et ouvre la porte, juste en l’entendant arriver. Par divers énoncés (2, 4, 8) tout au long de cette séquence, Lee verbalise et montre qu’elle saisit notamment la partie avant le chevauchement (a). On notera que cette construction des circonstances fictives est spontanée et n’est pas causée par la demande de l’enquêtrice, par exemple, de la considération de l’emploi de l’imparfait.

La circonstance fictive sert également à préciser les deux parties prises souvent en charge par les adverbes temporels (avant et après) :

 

(Extrait 28) 4-4 Quand ils sont arrivés à Rennes, il pleuvait (Kang II, cor.)

1 E : Celui d’avant, on ne peut pas dire quand ils sont arrivés il a plu ? (rire) + Est-il possible ou non d’avoir deux passé composé en même temps ?

2 K : Ah c’est possible. (E : hm) C’est possible. (E : hm) Mais dire quand ils sont arrivés, c’est un peu/ ça me semble difficile parce que (E : hm) ils sont descendus du train, juste à ce moment là (E : Hm. Il a plu comme ça ?) juste à ce moment de descente (E : hm) comment dire, le bon Dieu a mis des nuages noirs juste à cet endroit là (E : hm) il a plu tout d’un coup. (rire) Ce\

3 E : <Hm il a plu une seconde et ça a cessé ?

4 K : Je pense que ce serait comme ça. (E : hm…) La pluie, la pluie qui était tombée dans la région de Rennes, (E : hm) a pu déjà tomber avant que le train n’arrive, (E : hm) ou elle a pu continuer à tomber durant tout le trajet entre le train et l’hôtel. ++

5 E : Donc c’est possible quand même mais + il y a ces différences ?

6 K : Oui

7 E : O.K.

 

Par rapport au choix de l’imparfait de Kang, l’enquêtrice demande en 1 de considérer l’emploi du passé composé. Kang le trouve acceptable mais néanmoins difficilement envisageable, car, les deux procès arriver et pleuvoir mis au passé composé signifieraient une simultanéité (2). Ensuite elle verbalise en 4 la situation plus plausible qu’exprime l’imparfait, celle où la pluie peut tomber déjà avant que le train n’arrive (a) et où elle peut continuer à tomber après l’arrivée du train à la gare (c). L’aspect fiction intervient ici pour cette partie droite (c), exprimée par « le trajet entre le train et l’hôtel ». On notera en passant que Kang comprend le procès arriver à Rennes dans un sens temporellement très restreint comme le moment presque instantané de l’arrivée du train ou de descente du train.

Finalement, on relève quelques noms que nos apprenantes emploient pour désigner les intervalles incluant et inclus. Kim utilise lors du premier entretien durée pour l’incluant, Kang emploie lors du second entretien événement opposé à état ou déroulement. Lee emploie action opposé à état, durée ou situation (qui dure depuis un certain temps).

Le tableau suivant résume les moyens linguistiques utilisés pour exprimer la référence à différentes portions de l’intervalle incluant et autre type de chevauchement. Les signes a, b, c, désignent respectivement la partie antérieure au moment repère, la partie qui le chevauche (b), et celle qui lui est postérieure (c) :

 

Chevauchement partiel

 

Premier entretien

 

Second entretien

Lee

- adverbe : avant (a), toujours (b)

- circonstanciel : ‘depuis + N’ (a)

- nom (état, durée, situation dans « action qui coupe état, durée, situation ») (a ou a + c)

Kang

- adverbe : avant et après aussi (a + c)

- nom (état, déroulement dans « événement coupe état, déroulement ») (a ou a + c)

- autre type de chevauchement partiel : juste au moment où

Kim =[178]

- adverbe : avant et maintenant aussi (a + b)

- nom : durée (a + b)

Kim =

- paraphrase (b)

- autre type de chevauchement partiel : en même temps, continuer toujours

Kang =

- adverbe : avant et après aussi (a + c)

Lee =

- nom (situation long terme dans « événement vs. situation long terme ») (a ou a + c)

[Tableau 15 : Formulations du chevauchement partiel]

2.1.4. Opérationnalité du chevauchement partiel d’inclusion

La référence à la notion d’inclusion peut être à l’initiative spontanée de l’apprenante ou une réaction à une intervention anodine de l’enquêtrice, ou encore faire suite à une demande de développement de la part de l’enquêtrice. Mais dans beaucoup de cas, les apprenantes explicitent cette notion à la suite d’une demande de considération de la forme verbale non choisie ou en réponse à une question explicitement orientée sur le rapport d’inclusion.

L’opérationnalité de cette notion réside dans le repérage de la portion antérieure (a) de l’intervalle incluant, signifiant que ce procès a commencé avant le procès inclus. L’opérationnalité de la notion d’inclusion est partielle par manque de systématicité : son repérage par nos apprenantes varie selon les contextes. Dans des contextes où les facteurs facilitateurs interviennent, le rapport d’inclusion semble bien saisi par nos apprenantes au point qu’elles n’ont pas besoin de dire autre chose que la phrase elle-même. Nous relevons deux facteurs. Le premier facteur facilitateur nous semble les situations familières comme celle où on est réveillé par la sonnerie du téléphone (1-1, 2 Je dormais quand mon fils m’a téléphoné hier soir) ou celle où il pleut quand on arrive quelque part (4-3, 4 quand ils sont arrivés à Rennes, il pleuvait). Le second facteur facilitateur est le contraste dans les types de procès du verbe employés : lorsque le procès inclus est un verbe de type borné et transitionnel (téléphoner, arriver) et que le procès incluant est un verbe d’état ou d’activité (dormir, pleuvoir), la perception de l’inclusion, en particulier de la partie antérieure de l’intervalle incluant est cognitivement facilitée, sans attention particulière. La structure syntaxique de phrase complexe de type ‘quand..., je...’ participe à cette facilitation de saisie.

Le caractère opérationnel partiel se confirme par des erreurs observées dans des contextes non facilitateurs qui entraînent le repérage erroné des intervalles en relation.

 

2.2. Chevauchement total

Le chevauchement total correspond aux intervalles reliés (le moment de la situation et le moment repère) qui se chevauchent de bout en bout. Temporellement parlant, ce sont des procès qui commencent et qui finissent aux mêmes moments, ce qui suppose la clôture des deux bornes au moins de l’intervalle du moment repère.

2.2.1. Les verbalisations en entretien

La plupart des verbalisations du chevauchement total s’observent lors du second entretien. L’intervalle repère est souvent présenté par une proposition subordonnée. Le chevauchement total saisi par nos informatrices dans les phrases complexes relève de différentes compositions de temps verbaux.

2.2.1.1. Combinaison passé composé - passé composé

Ce premier type de combinaison est une configuration observée seulement chez Kang lors du second entretien :

 

 

 

(Extrait 29) 5-4, 5 Quand il en [de l’hôpital] est sorti, il a été très maigre et très faible (Kang II, cor.)

1 K : Quand il en est sorti (E : hm) Oui

2 E : Ici il n’y a que cette solution ?

3 K : Hm +

4 E : Il était très maigre et très faible ++ Là on ne peut pas dire il a été ?

5 K : Il a été il a été très faible, ça aussi c’est peut-être possible. XX (bas) Quand il en est sorti quand il en est (bas) il a été très momentanément (E : hm) A ce moment là il est très faible et très maigre

6 E : Quand on dit était, l’état a un peu + duré ?

7 K : Oui. Oui. C’est possib/ Le fait qu’il était malade l’a rendu faible et maigre, (E : hm) et il l’a transformé. Quand on dit il a été, juste le moment, le moment de la sortie de l’hôpital, il était comme ça. Si on dit ici il a été très faible et très maigre, + à un moment donné dans le passé, (E : hm) c’est une action qui est finie. C’est-à-dire, arrivé à la maison, c’était tout à fait (E : <guéri) <rétabli. (E : hm) Oui, comme ça.

 

Pour le procès être très maigre, Kang avait choisi l’imparfait. Mais en 4, l’enquêtrice demande de considérer l’emploi du passé composé. Elle le juge acceptable et donne en 5 une première valeur en terme de durée (momentanément). L’enquêtrice poursuit la discussion sur cette notion et demande la confirmation sur la valeur opposée de l’imparfait (6). En 7, elle fait le lien entre le moment repère (quand il est sorti de l’hôpital) et le moment de la situation (être maigre et faible) et verbalise le chevauchement total qui, en l’occurrence, est un chevauchement sur un intervalle borné, très court. La clôture de l’intervalle est confirmée par le changement d’état qui se produit après le moment repère, le fait qu’« il est rétabli arrivé à la maison ».

2.2.1.2. Combinaison imparfait - passé composé

La combinaison imparfait - passé composé s’observe plus souvent et ce, chez Kang et Kim. La saisie du chevauchement total dans les procès avec cette combinaison est erronée, car c’est le chevauchement partiel qu’elle exprime et c’est ce qui montre l’acquisition partielle de la notion d’inclusion.

 

(Extrait 30) 3-1, 2 Quand il a ouvert la porte, elle lui souriait et lui a dit : je t’attendais (Kang I, fr.)

1 E : Mais.. est-ce que là dans numéro trois est-ce que elle souriait AVANT que cette personne ouvre la porte ? ou <juste au moment (K : <non en même temps) au moment (K : ah.. au moment + hm) +++

2 E : <Juste au moment hein ? juste au moment (K : <et après et après elle disait) attention parce que moi je + je voudrais comparer ça le numéro un et trois donc là elle sourit en même temps au moment où <il ouvre mais là

3 K : <Oui c’est deux/ deux actions se passent <en même temps (E : <en même temps) <vraiment en même temps mais

4 E : <Alors XX hm dans le numéro un <il dort c’est-à-dire

5 K : <Ça aussi ça se passe en même temps mais (E : hm mais) le locuteur il est déjà (E : il dort déjà ?) oui il dort déjà

 

L’enquêtrice pose une question explicite sur l’inclusion, en particulier en terme de l’ordre des débuts des procès en relation qui en découle (1-2). Kang répond en se référant au chevauchement total. Ses verbalisations peuvent être ambiguës mais la saisie du chevauchement total se vérifie dans sa réponse (5) à la mise en relation proposée par l’enquêtrice (4) avec le premier énoncé de l’exercice (1-1, 2 Je dormais quand mon fils m’a téléphoné hier soir). Kang emploie pour l’inclusion et le chevauchement total la même expression d’ordre temporel « en même temps ». Mais pour l’inclusion dont relèvent les procès dormir et téléphoner, elle ajoute une particularité de la situation (« ça se passe en même temps mais il dort déjà »), alors que pour ouvrir la porte et sourire, elle ajoute l’adverbe vraiment pour signifier un chevauchement total (« en même temps, vraiment en même temps »). On notera que, malgré la mise en relation proposée par l’enquêtrice en 2 (« je voudrais comparer ça le numéro un et trois »), Kang n’est pas consciente que, pour la même combinaison de temps verbaux, elle détecte dans un cas, une relation d’inclusion, et dans l’autre, une relation de chevauchement total.

Le même phénomène s’observe chez Kim pour les procès sourire et dire dans le même énoncé :

 

(Extrait 31) 3-2, 3 Quand il a ouvert la porte, elle lui souriait et lui a dit : je t’attendais (Kim II, cor.)

1 E : Ce qui correspond à elle lui a souri, c’est elle lui souriait à l’imparfait ?

2 K : + Hm là en parlant, j’ai une autre idée qui me vient qui se superpose. (rire)

3 E : Hm hm dis-moi ces idées qui se <superposent.

4 K : <Donc souriait. (E : hm) ++ Oui d’abord pour moi, le verbe sourire ne finit pas en une seconde mais qui dure un peu. (E : hm) Je n’ai pas l’impression qu’elle ait ri juste une seconde et refermé sa bouche tout de suite après. (E : hm) Je pense qu’elle souriait [-ko it] un moment la bouche ouverte, donc l’imparfait. Et ensuite, elle lui a dit et ce qu’elle lui a dit, c’est (E : hm) + je t’attendais. Elle a dit ça, je t’attendais [kitari-ko it-ôt-ta] tout en continuant à sourire [kesok ut-û-myônsô]. (...) Je pense que elle a dit je t’attendais en souriant [kesok us-û-myônsô], elle était toujours en train de sourire [kesok ut-ko it-ôt-ûl kôt kat-e-yo]. (...) Ici l’état de sourire + le moment de sourire est continu donc on a mis à l’imparfait. (...) Le sourire n’a pas terminé tout de suite (rire) (E : hm) elle a souri un peu plus longtemps, je pense. (rire)

 

Kim choisit l’imparfait pour le verbe sourire et en 4 elle expose les différentes valeurs qu’elle saisit : outre le type de verbe d’activité, elle établit un chevauchement total entre sourire et dire je t’attendais, relation sans doute fortement liée à l’aspect lexical. Il nous semble qu’avec l’aspect lexical, c’est la réalité extralinguistique (le fait de dire quelque chose en souriant) qu’elle semble marquer linguistiquement par son choix de l’imparfait.

Le chevauchement se vérifie aussi dans la valeur captée par elle de l’emploi du passé composé que l’enquêtrice demande de considérer plus tard :

 

(Extrait 32) 3-2, 3 Quand il a ouvert la porte, elle lui a souri et lui a dit : je t’attendais (Kim II, cor.)

1 E : (...) et elle lui A SOURI par exemple regardons si avec le passé composé, <ça marche.

2 K : <Elle lui a souri oui

3 E : Quand il a ouvert la porte, elle lui A souri. (K : A <souri) <C’est possible déjà ? <ou pas ?

4 K : <Ça oui.

5 E : Hm <mais quelle est la différence ?

6 K : <Elle sourit juste une seconde.

7 E : C’est-à-dire que le sourire ne dure pas un moment ?

8 K : Non hm elle sourit une seconde ensuite elle revient à son expression du visage normal et elle a dit je <t’attendais [kitari-ôt-ta]. (E : <t’attendais [kitari-ko it-ôt-ta] hm) hm… + (E : il) Je vois que les deux sont possibles oui.

9 E : Dans ce cas, les deux sont <possibles ?

10 K : <Hm pour moi oui.

 

On voit que Kim distingue l’emploi de l’imparfait et du passé composé non seulement en terme de durée et de momentanéité, mais aussi en terme de chevauchement ou de non chevauchement (succession).

2.2.1.3. Combinaison imparfait - imparfait 

Le troisième type de combinaison est imparfait - imparfait. Il est attesté chez Lee :

 

(Extrait 33) 3-1, 2 Quand il ouvrait la porte, elle lui souriait et lui a dit : je t’attendais (Lee II, cor.).

1 E : Hm alors le reste… une autre possibilité, c’est quand il ouvrait la porte, elle lui souriait, les deux sont à l’imparfait

2 L : Je pense que c’est pas bon. (...)

3 E : Mais si on avait cette phrase, qu’est-ce que ça pourrait vouloir dire ? quand il ouvrait, elle lui souriait (...)

4 E : O.K. alors le fait d’ouvrir la porte et le fait qu’elle sourit, quel est le lien ?

5 L : Hm… ça aussi hm…

6 E : Il y a deux actions et comment elles

7 L : + Je pense que c’est simultané. (E : hm) Simultanément, dans une certaine durée  (E : hm), dans une durée <en même temps

 

Lee choisit l’imparfait pour ouvrir et le passé composé pour sourire. L’enquêtrice demande de considérer l’imparfait pour sourire (1, 3) en spécifiant la question (4, 6). Lee répond en 7 d’abord en terme de relation temporelle (simultané) mais précise sa réponse qui donne lieu à un chevauchement total, sans que le bornage droit ne soit explicite.

2.2.1.4. D’autres types de combinaison

Le chevauchement total est établi la plupart du temps entre deux intervalles en relation, mais il arrive que plusieurs intervalles soient pris en compte comme chez Kang lors du second entretien :

 

(Extrait 34) 6-7 Quand il est arrivé au carrefour, il n’a pas pu ralentir et est tombé juste au moment où une voiture arrivait (Kang II, cor.)

1 E : Sur l’avenue d’Italie juste au moment où une voiture arrivait. Ça , tu l’as mis à l’imparfait (K : oui) C’est aussi pour rendre plus vivant ?

2 K : + C’est-à-dire, la voiture n’était pas arrêtée, elle arrivait. (E : hm) Mais ce garçon qui faisait du skateboard jouait et n’a pas pu s’arrêter. Là, un point (E : hm) + De cette manière, il arrivait ici (E : hm) et ensuite il n’a pas pu s’arrêter, point. (E : hm) Il est tombé, point. (E : hm) Ensuite la voiture arrivait [kesok o-ko it-ôt-tô-n kô-ji] pendant ce temps où ces temps se déroulaient [sije-ka irôkhe jinhengtwe-ô-it-nûn saï]. (E : hm hm) +

3 E : Tiens, elle arrivait/ dans ce cas/ dans ce cas, alors où une voiture est arrivée, on peut pas le dire ?

4 K : ++ C’était un état où XX continuellement, donc (E : hm…) Oui.

 

Kang met en relation en 2 d’une part, les procès arriver au carrefour, pouvoir ralentir et tomber qui sont compris comme successifs, comme le montre le terme point, et d’autre part, le procès la voiture arriver. Cette relation relève de l’inclusion, le procès arriver incluant les trois précédents. On note qu’ici, l’incluant est aussi exprimé par l’imparfait (la voiture arrivait...).

2.2.2. Les formulations du chevauchement total

La formulation utilisée pour le chevauchement total se caractérise par la combinaison de deux types d’expression temporelle, l’un se référant à la simultanéité des procès, exprimée par les circonstanciels temporels (en même temps, à ce moment-là), l’adverbe (simultanément), l’équivalent du gérondif (suffixe verbal conjonctif en coréen) et l’autre se référant à deux bornes de l’intervalle en chevauchement, exprimées aussi par les circonstanciels temporels (juste le moment de la sortie de l’hôpital, pendant ce temps, dans une certaine durée).

 

Chevauchement total

 

Premier entretien

 

Second entretien

Kang

- circonstanciel temporel : « vraiment en même temps »

Lee=

- adverbe + circonstanciel temporel : « simultanément » + « dans une certaine durée » ([tongsi-e] + [ûnû kikan-tongan])

- circonstanciel temporel : « pendant une durée » [ôttôn kikan-tongan], « dans une période donnée, V » [ôttôn kikan tongan-e]

 

 

Kang =

- circonstanciel temporel : « à ce moment là », « juste le moment de N, V », « pendant ce temps, V » [-nûn saï]

 

 

Kim =

- suffixe verbal conjonctif : « V + tout en V » [-myônsô]

[Tableau 16 : Formulations du chevauchement total]

2.2.3. Opérationnalité

L’accès à la notion de chevauchement total est rapide chez Kim qui la verbalise de façon spontanée (3-2, 3 sourire et dire, Kim II, extrait 32), quoique la mise en relation soit erronée. Les autres informatrices y font référence lorsqu’elles répondent à une demande de l’enquêtrice de considérer l’autre forme verbale (3-1, 2 ouvrir la porte et sourire, Lee II, Extrait 33 ; 5-4, 5 en sortir et être très maigre et très faible, Kang II, extrait 29) ou à une question explicite sur les débuts des procès en relation (3-1, 2 ouvrir la porte et sourire, Kang I, extrait 30).

Dans la considération de la forme verbale non choisie, la notion du chevauchement total est contenue dans la compréhension de l’énoncé et n’est pas encore identifiée de façon distincte et abstraite, de façon à ce que les apprenantes puissent la mettre en relation avec les moyens linguistiques, indépendamment des contextes particuliers. Cette non-prise de conscience de la notion relève d’un faible degré d’explicitation.

Le caractère non opérationnel de cette notion chez nos apprenantes se manifeste par les différentes compositions de temps verbaux, notamment par celle de passé composé - imparfait qui n’exprime en aucun cas le chevauchement total.

3. Rôle discursif local

Les fonctions d’avant-plan et d’arrière-plan en français sont marquées quasi systématiquement par le passé composé (et le passé simple à l’écrit) et l’imparfait respectivement (cf. Hopper, 1979, Weinrich 1989). Nous appelons fonction discursive locale la distinction des deux fonctions dans la phrase complexe ou deux phrases simples qui se suivent immédiatement.

3.1. Les verbalisations en entretien

Ces fonctions constituent l’une des caractéristiques les plus fréquemment utilisées par nos apprenantes dans le choix des temps verbaux, observées massivement dans le second entretien. La fonction d’arrière-plan est verbalisée dès le premier entretien et celle d’avant-plan apparaît seulement lors du second entretien. Lee se distingue des deux autres en faisant référence aux deux fonctions dès le premier entretien.

3.1.1. Arrière-plan

L’arrière-plan est verbalisé lorsqu’un verbe, le plus souvent, d’état ou d’activité, est à l’imparfait.

 

(Extrait 35) 6-2 Hier, un accident s’est produit au carrefour (...) Il pleuvait (Lee I, fr.)

1 E : (...) <C’est-à-dire, si il pleuvait euh... euh... quand est-ce que ça a commencé à pleuvoir ? Par exemple <est-ce que... (L : <hm...) on peut savoir dans cette phrase ? quand est-ce que ça a commencé ou quand est-ce que ça a fini...

2 L : Je sais pas <on ne sait pas

3 E : On ne sait pas

4 L : Hm (E : hm + <mais le commence\) <C’est la description (E : hm) de cette situation.

5 E : Hm-hm + O.K. Description hm-hm

 

Lee choisit l’imparfait pour pleuvoir, et l’enquêtrice l’interroge explicitement sur le moment de début et de fin du procès (1). Lee répond en 2 d’abord qu’elle l’ignore en se focalisant sur elle-même, et se corrige immédiatement après, en changeant le pronom je en on : l’ignorance sur le début et la fin du procès provient non de son ignorance personnelle mais de l’énoncé. Elle verbalise ensuite spontanément la fonction discursive du procès à l’imparfait (4), en terme de description.

 

(Extrait 36) 2-2 Il avait beaucoup de bagages et ses skis sur l’épaule (Kang I, fr.)

1 E : Après il ?

2 K : Avait

3 E : Avait beaucoup de bagages et ses skis sur l’épaule bon pourquoi ?

4 K : Parce que c’est un état (E : hm.. hm) on... euh +++ XX (bas) le parleur ? (E : <hm ?) <comment on dit (E : le ?) par/ XX (bas)

5 E : Ah.. le locuteur ?

6 K : Ah le locu<teur (E : <celui qui parle) oui le locuteur (E : hm) ++ /dekriv/ (E : hm-hm) son état (E : hm-hm) l’état de XX

 

Sur le procès avoir, Kang justifie son choix de l’imparfait d’abord par une caractérisation de l’intervalle occupé par le procès par le terme « état » (4). Après une petite séquence métalinguistique portant sur la recherche du terme locuteur (4-6), Kang ajoute, comme Lee, qu’il s’agit d’une « description de son état ».

 

(Extrait 37) 6-9 Il n’y avait qu’une seule personne à cet endroit là (Kim II, cor.)

1 E : Ce que tu hésites le plus, c’est il n’y avait + il n’y avait qu’une seule personne <à cet endroit là

2 K : <Il n’y avait/ hm oui

3 E : Dans cette situation/ à… ce moment là, il n’y avait que cette personne. Il n’y a eu qu’une seule personne te paraît aussi possible ? ++

4 K : Mais je change d’avis encore. Je choisirais il n’y avait. (E : hm) Il n’y avait avec l’emploi qui indique l’état <simplement.

 

Pour le procès avec le présentatif il y a, pour lequel les autres apprenantes emploient systématiquement l’imparfait, Kim hésite entre les deux formes verbales. L’enquêtrice lui demande confirmation à ce propos (1-3) et Kim fait son choix en 4 pour l’imparfait, en caractérisant le rôle de l’imparfait ici comme celui qui « indique l’état ». Ce terme état s’observe quelquefois chez Kang et Lee, mais c’est Kim qui l’emploie le plus systématiquement. On pourrait se demander si l’apprenante ne fait pas référence plutôt au type de procès du verbe (verbe d’état). Mais c’est bien au rôle discursif de l’intervalle occupé par le procès et dont la configuration est donnée par la forme verbale, qu’elle semble se référer, en employant le terme état comme synonyme de situation, comme le montre aussi le passage suivant : « Ensuite l’enfant, la situation où il se dit ah je suis seul. Pour cet état, c’est l’imparfait se retrouvait. » pour 6-13 l’enfant se trouvait tout seul (...) (Kim II, cor.).

Lee qui fait appel le plus fréquemment à la fonction discursive des temps verbaux emploie lors du second entretien, outre les termes communément employés comme description, situation, un terme plus spécialisé, arrière-plan :

 

(Extrait 38) 1-1 Je dormais quand mon fils m’a téléphoné hier soir (Lee II, cor.)

L : J’étais en train de dormir, hm... c’était un arrière-plan, une situation. (E : hm) Dans cette situation, euh... il y a eu un événement (E : hm) qui était que mon fils m’a tél/ téléphoné. Il m’a appelé. (E : hm)

 

La caractérisation de la fonction de l’imparfait comme description, arrière-plan, vient sans doute de l’enseignement du français. Dans les grammaires et manuels du français en coréen et en français, la mention de cet emploi de l’imparfait est omniprésente (ex. Wagner et Pinchon, 1991).

Les types de procès qui sont analysé comme relevant de l’arrière-plan se diversifient lors du second entretien et les verbes bornés et transitionnels mis à l’imparfait se voient attribuer cette fonction.

 

(Extrait 39) 3-1 Quand il ouvrait la porte, elle lui a souri et lui a dit (...) (Kang II, cor.)

1 E : Bon là, si on regarde quand il ouvrait la porte, tout à l’heure, tu as dit que l’imparfait marque + un état (K : hm) ou, et là qu’est-ce que c’est ? cet imparfait ?

2 K : Ici, l’imparfait (E : hm) + quand il (bas) +++ Ça aussi ça explique une situation, une situation quelconque. (E : hm) +

3 E : Laquelle ? La situation d’ouvrir la porte ?

4 K : Oui. (E : hm…) Comment dire, + c’est un peu trop court (E : hm) mais quand même ça explique la situation, ensuite (E : hm) elle (E : hm) lui a souri et puis elle a dit. (E : hm)

5 K : (...) Ou peut-être que l’inverse est possible. Quand <il (E : <comment ?) quand il a ouvert la porte quand il a ouvert la porte elle lui souriait (E : hm) elle lui a dit (E : hm…) +

6 E : Dans ce cas là, il y a aussi un ordre ou pas ? Comment ça se passe ?

7 K : Je pense que, la plupart des cas, c’est une différence de point de vue. (E : Hm…) Quand je t’avais dit ça au début, (E : hm) j’avais pris comme actant, (E : hm) comment dire, comme point de vue, (E : hm) celui de la femme qui est dans la chambre. (E : + hm) C’est la femme que j’avais pris comme repère. (E : hm hm) Parce que c’est la femme qui voit la porte s’ouvrir. (E : hm) La situation est celle où la porte s’ouvre. (E : hm) Mais si on prend comme point de vue celui de l’homme qui est dehors, le fait qu’il a ouvert la porte est une simple action, (E : hm) et elle a réagi, et c’est elle lui souriait.

8 E : Alors l’imparfait/ quel est le sens de cet imparfait ? C’est-à-dire c’est une situation du moment où il a fait une action ?

9 K : Oui c’est ça. L’action XXX il a ouvert la porte (E : hm) elle lui sourit (E : hm) + elle lui a souri, c’est-à-dire, quand on dit elle elle lui souriait, cette phrase décrit la situation où elle souriait. (E : hm) Et elle lui a dit, c’est, parce qu’on a dit quelque chose, parce que c’est une action, (E : hm) + le passé composé XX

 

Le procès ouvrir la porte est un procès borné, et Kang choisit l’imparfait. L’enquêtrice lui demande sa valeur en anticipant le terme état, déjà utilisé par Kang auparavant. Kang propose en 2 une fonction d’« explication d’une situation ». Et elle ajoute en 4 qu’une situation n’est pas forcément un intervalle duratif. Plus loin, le cas inverse (quand il a ouvert la porte, elle lui souriait) est jugée possible et Kang introduit les notions de point de vue et de repère qui rendent possible les deux combinaisons de temps (7). Et dans ce cas inverse, la fonction du procès sourire est vue également comme une « description de la situation » (9).

On observe chez Lee également la référence à la fonction d’« explication de la situation » pour un procès à l’imparfait :

 

(Extrait 40) 6-7 Quand il est arrivé au carrefour, il n’a pas pu ralentir et est tombé juste au moment où une voiture arrivait (Lee II, cor.)

1 E : O.K. Ensuite sur l’avenue d’Italie juste au moment où juste une voiture <est arrivée

2 L : <Est arrivée hm.

3 E : Là qu’est-ce qui se passe ?

4 L : Hm… Vu dans la phrase, c’est simplement le temps du passé composé. (E : hm) Ensuite juste au moment où, ça aussi… semble bien aller avec le passé composé.

5 E : Hm l’imparfait n’irait pas bien

6 L : Oui. De plus en plus comment + d’abord on pose l’arrière-plan, et on développe ensuite l’histoire, mais je pense pas qu’on ferait retomber le récit en utilisant l’imparfait.

7 E : Hm + où une voiture est arrivée, où une voiture arrivait

8 L : ++ Euh… si tu commences à poser des questions comme ça (E : <(rire) Il n’y a pas de fin) <(rire) la fin/ euh + (E : Non mais moi) ça (E : hm) on pourrait voir juste au moment où comme quand (E : hm) hm… et on pourrait dire comme ça il a pas pu ralentir, il est tombé sur l’avenue d’Italie (E : hm) quand une voiture est arriv/ ah quand une voiture est arrivée. (E : hm) Les événements qui se produisent de ce côté-là. La voiture arrive [vers le garçon] [-ko it], et du côté du garçon, il n’a pas pu ralentir et il est tombé, alors que la voiture arrivait XX rencontré. Dans ce sens, on pourrait peut-être utiliser arrivait aussi

9 E : Hm. Le sens est pareil alors ? qu’on mette le passé composé ou l’imparfait ?

10 L : Dans ce cas, hm… le sens hm l’impression que j’ai c’est avec arrivait l’imparfait, on explique la situation de ce côté

 

Pour le procès arriver, Lee choisit le passé composé et ce choix lui semble évident (« c’est simplement le temps du passé composé »). Le syntagme juste au moment où semble également appeler pour elle le passé composé (4). L’enquêtrice parle, en 5, de la possibilité d’employer l’imparfait, et selon le diagnostic de Lee (6), l’imparfait, ne participant pas à l’avancement du récit, « ferait retomber le récit ». Mais au cours de son commentaire, Lee envisage qu’on peut l’employer (8). A la demande de l’enquêtrice sur la différence entre le passé composé et l’imparfait (9), Lee répond en se référant à sa fonction discursive : « explication de la situation ».

3.1.2. Avant-plan

L’avant-plan est exprimé par deux termes, action ou événement, et concerne les verbes bornés et transitionnels :

- « Quand il est ressorti de la cabine, il n’y avait plus personne, c’est un état. Et quand la police est arrivée, c’est une action, (E : hm) » pour 6-19 quand la police est arrivée, c’est lui qu’elle a emmené (Kang II, cor.).

- « Je lui ai dit, ici dit, c’est le passé composé, parce que l’action [dongjak] » 3-3 (...) et elle lui a dit : je t’attendais (Kim II, cor.) 

- « Ensuite euh… c’est qu’ils sont partis la semaine dernière, C’est un événement. Donc j’emploie encore le passé composé « pour 4-2 et ils sont partis enfin la semaine dernière (Lee II, cor.).

 

(Extrait 41) 2-3 Alors, je l’ai accompagné à la gare (Lee II, cor.)

1 L : (...) Donc euh... + il avait beaucoup de bagages (E : hm), parce que c’est une description (E : hm) de la situation de Paul. (E : hm) Alors je l’ai accompagné à la gare. (E : hm) Donc dans la situation, il y avait une cause + hm... euh... ensuite on fait avancer la situation (E : hm) hm... je l’ai accompagné à la gare. (E : hm) Comme il y a la suite, je pense qu’on peut dire simplement je l’ai accompagné.

2 E : Ce n’est donc pas une description de situation

3 L : Hm. C’est simplement une action. (E : hm)

 

Dans ce passage qui concerne le procès avoir beaucoup de bagages et celui de l’accompagner à la gare, on peut voir l’opposition que Lee opère entre la fonction de « description de la situation » véhiculée par l’imparfait et celle marquant l’action, véhiculée par le passé composé.

Lee est celle qui fait appel le plus aux fonctions discursives des temps et, outre les termes action, description, les exprime d’une façon métaphorique, dès le premier entretien :

 

(Extrait 42) 6-1 Hier un accident s’est produit au carrefour (...) (Lee I, fr.)

1  E : Hm-hm. + Bon. (L : rire) (rire) Voyons. Hier un accident s’est produit. Là + pour toi, c’était facile.

2  L : Hm

3  E : + S’est produit au carrefour de la + rue Caillaux ce n’est pas possible de mettre à l’imparfait ici ? par exemple ? par exemple se produisait ou quelque chose comme ça ? (L : <hm) <Qu’est-ce que t’en pens/ hier un accident se produi/ produisait au carrefour de la rue Caillaux et de l’avenue d’Italie. + Est-ce que ce serait possible ou pas ?

4  L : C’est mieux ça. 

5  E : S’est produit ?

6  L : Hm

7  E : Pourquoi ?

8  L : + Hm... +++ c’est sûrement un accident. (rire) (E : ouais ouais) <Ouais. (E : <hm-hm) ++ Hm... ++++ hm.. c’est la répétition de ce que nous avons +++ discuté <avant. (E : <hm-hm hm-hm) ++ Hm c’est + hm ++ hm... on explique (E : hm) un accident (E : hm-hm) qui coupe hm... + qui signifie un point (E : hm-hm) dans le temps. (E : hm-hm) ++

9  E : Donc le passé composé ?

10 L : Hm

11 E : Il pleuvait donc là, c’est pas un point.

12 L : Hm

13 E : C’est quoi ?

14 L : C’est plutôt ++ c’est comme... un paysage environnement dans la... + *pi/ picture* ah/ ++ dans le tableau. (E : hm-hm) Et... et... accident c’est comme + euh... l’action des acteurs... d’actrices (E : hm-hm) dans le théâtre. (E : hm-hm) Je.. je comprend comme ça. (E : hm-hm)

15 E : Et... l’imparfait, c’est quoi <dans un théâtre ?

16 L : <Eh... dans un théâtre, c’est comme.. + environnement equi/ hm <des équipements (E : <hm-hm) comme ça. (E : hm-hm) C’est le c’est la base pour ++ hm... + pour quelques... événements.

17 E : La base ?

18 L : + Hm ++++ En tout cas, c’est comme ça. (rire) (E : (rire)) La base ? (E : hm) C’est c’est un petit peu ++ XXX

19 E : Donc tout ce qui n’est pas les acteurs, (L : hm) tout ce qui est seulement euh... les objets par exemple, si ça se passe dans une chambre, (L : hm) une table ou (L : <euh....) <euh quelque chose comme ça ?

20 L : Quand + hm + quand... le théâtre commence, (E : hm) il y a des environnements ou des équipements de la théâtre (E : hm) comme ça (E : hm-hm) qui ne bougent pas trop. (E : hm-hm) Mais environ/ euh à ce moment là, (E : hm) euh... les acteurs... + euh... les actrices /va/ + hm sorti (E : hm) et on va + commencer quelque.. + commen/ commencer de parler de quelque chose (E : hm-hm) ou faire quelque chose. (E : hm-hm) Hm comme ça, hm... il y a/ il y aura quelques actions ou (E : hm-hm) quelques évén/ événements XXX

 

C’est au cours de la séquence sur le verbe se produire que Lee verbalise sa représentation discursive des emplois du passé composé et de l’imparfait. L’enquêtrice demande en 3 l’acceptabilité de l’imparfait et Lee confirme son choix du passé composé (4). Sur la sollicitation de développement de l’enquêtrice (7), Lee précise que dans ce cas, le passé composé donne une vision globale de l’événement, exprimée par « un point dans le temps ». L’enquêtrice demande en 11 comment l’imparfait est différent du passé composé, et c’est à ce moment-là que Lee verbalise comment elle voit l’emploi des deux temps dans leur fonction discursivo-narrative. Les métaphore utilisées (14, 20) sont celles du théâtre et du tableau, dans lesquels l’environnement ou le décor, caractérisés par leur immobilité, correspond à l’arrière-plan, et les acteurs qui racontent l’histoire par leur jeux, correspond à l’avant-plan.

Il nous semble que cette métaphore provient de sa classe de français, car la référence au théâtre et au tableau pour l’explication de l’emploi de l’imparfait est employée par exemple dans Précis de grammaire française d’A. Hinard (1970, ed. Magnard)[179]. Dans cette grammaire, l’imparfait « décrit les circonstances (événements, décor) » et le passé simple « détache les éléments essentiels d’une situation que l’imparfait a décrite ». « [...] Il place au premier plan un fait essentiel dont l’imparfait n’est que le commentaire ou qu’une conséquence qui se prolonge » (p. 347, cité par J-M. Adam 1976 : 53). Hinard fait référence plus explicitement à la dimension picturale dont parle notre informatrice Lee. Après avoir défini dans son ouvrage le passé simple comme temps du récit et l’imparfait comme temps de la description, il ajoute : « Alors que le passé simple présente les actions comme successives, l’imparfait les présente comme simultanés, comme formant tableau [...]. C’est à lui qu’on aura recours pour planter un décor, pour évoquer les circonstances accompagnant les éléments principaux, exprimés, eux, au passé simple » (p. 118, Ibid. : 52, soulignés par nous).

Cette métaphore est toujours la référence pour Lee lors du second entretien comme le montre son commentaire avant l’exercice :

 

(Extrait 43) Commentaire avant l’exercice (Lee II, cor.)

1 E : Si tu me disais ce que tu en penses généralement ?

2 L : Hm... comme je t’ai dit la dernière fois, je pense que le métaphore qu’a utilisée le professeur n’est pas mal. (E : hm) Donc euh... c’est-à-dire... à un moment donné, (E : hm) à une période (E : hm), sans penser à une durée absolue (E : hm), parce que ça peut être relatif, l’imparfait, il correspond, sur une scène (E : hm), au fond de la scène. ++ Et le passé composé s’utilise pour les... actions des acteurs (E : hm) qui font évoluer les événements. + Hm. (E : hm)

 

On a là la confirmation de la provenance de cette métaphore.

3.2. Les formulations des rôles discursifs locaux

Nous avons vu que l’avant-plan, véhiculé par les verbes bornés et transitionnels, est exprimé par les termes comme action et événement.

 

Rôle discursif local : avant-plan et passé composé

 

Premier entretien

 

Second entretien

Lee

action

Lee

événement [sakôn], action

 

 

Kang

action (+ avant l’exercice) [hengtong]

 

 

Kim

action [dongjak]

[Tableau 17 : Formulations du rôle discursif d’avant-plan]

 

L’arrière-plan, véhiculé par les quatre types de verbe (état, activité, borné, transitionnel), est verbalisé dans les deux entretiens par des expressions plus diversifiées comme état, situation, explication ou description de la situation, et arrière-plan.

 

Rôle discursif local : arrière-plan et imparfait

 

Premier entretien

 

Second entretien

Kang

description, situation, état (+ avant l’exercice)

Lee

description [sangwhang myôsa], situation [sangwhang], arrière-plan [pekyông]

Lee

description, état, explication

Kang

explication de la situation [sanwhang sôlmyông], état [sangthe] (+ avant l’exercice)

Kim

explication

Kim

état, situation [sangthe]

[Tableau 18 : Formulations du rôle discursif d’arrière-plan]

3.3. Opérationnalité

La spontanéité et l’abondance de la référence à la caractéristique discursive durant l’exercice, ainsi que sa verbalisation dans des commentaires généraux avant l’exercice, nous indiquent l’accès rapide et la facilité d’identification des fonctions d’avant et d’arrière-plan local pour nos informatrices. Entre ces deux fonctions, nous observons une saisie plus rapide de l’arrière-plan.

Du point de vue de la précision des termes utilisés, lors du second entretien, nos informatrices continuent à employer des termes ambigus pour l’avant-plan (action), pouvant relever également du procès du verbe, alors que pour l’arrière-plan, une forte référence discursive est présente dès le premier entretien, même si le terme ambigu état est toujours présent. Mais la capacité observée lors du second entretien d’employer des verbes transitionnels à l’imparfait, de façon spontanée ou après réflexion, est un indice de la distinction entre le niveau du verbe (aspect lexical) et celui du rapport entre deux procès en relation (aspect grammatical à valeur imperfectif).

Le repérage de la fonction discursive d’un procès dans des contextes différents comme phrases simples et complexes, types de verbes variés, avec la systématicité de sa verbalisation, montre son caractère opératoire chez nos apprenantes. Cette maîtrise s’explique sans doute par la facilité cognitive apportée par la concordance récurrente entre les types de verbe et la fonction discursive : les verbes d’état et d’activités qui n’ont pas de terme final prennent en charge le plus souvent la fonction d’arrière-plan, et les verbes bornés et transitionnels qui ont un terme final prennent en charge de la fonction d’avant-plan. Mais la compétence discursive nous semble également liée à celle déjà acquise en langue maternelle chez les adultes, contrairement aux enfants acquérant une langue étrangère, qui semblent choisir les temps verbaux indépendamment des deux plans discursifs[180] (cf. Choi Jin-Nam, 2002).

4. Bornage de l’intervalle

Cette caractéristique concerne la clôture ou l’ouverture d’un intervalle. Les types de bornage de l’intervalle sont théoriquement au nombre de quatre : les deux bornes gauche et droite fermées, les deux bornes ouvertes, et bornage gauche ou droite seuls. Nous rappelons que nous entendons par clôture ou ouverture de l’intervalle le marquage explicite ou non de la borne. Comme tout intervalle de procès correspond à un type de bornage, cette caractéristique recoupe d’autres caractéristiques aspectuelles. Par exemple, l’aspect perfect concerne un intervalle clos à droite (la fermeture de la borne gauche étant laissé implicite), et l’aspect imperfectif concerne un intervalle à deux bornes ouvertes. Ainsi, le passé composé et l’imparfait, véhiculant l’aspect perfect et l’aspect imperfectif dans leur emploi prototypique, correspondent, respectivement, à la borne droite fermée et aux deux bornes ouvertes.

4.1. Clôture à gauche et à droite

4.1.1. Les verbalisations en entretien

Les verbalisations de double clôture de l’intervalle ne sont pas courantes chez nos apprenantes. On peut observer la référence à cette configuration de bornage chez Lee et Kang. Lee emploie des termes généraux qui englobent la double clôture :

 

(Extrait 44) 2-5 Il n’a pas pu trouver de place assise (Lee I, fr.)

1 E : Mais donc il ne trouvait pas + c’est-à-dire si + il ne pouvait pas trouver par exemple à l’imparfait est-ce que

2 L : A mon avis c’est... plutôt un point quand il est... entré dans le train. (E : hm) Ce point à ce point là, il n’a pas pu trouver une place assise.

 

Face au choix du passé composé de Lee, l’enquêtrice lui interroge sur l’acceptabilité de l’imparfait (1). Lee défend son choix en disant qu’elle conçoit le fait de ne pas trouver une place assise comme quelque chose qui a lieu à « un point » qui est l’entrée dans le train (2). Elle emploie également ce terme pour se produire dans 6-1 Hier un accident s’est produit au carrefour..., lorsque l’enquêtrice lui demande de considérer l’imparfait :

« on explique (E : hm) un accident (E : hm-hm) qui coupe hm... + qui signifie un point (E : hm-hm) dans le temps » (Lee I, fr.).

On observe chez Lee un autre terme à vision globale : « fait ponctuel » pour accompagner dans 2-3 je l’ai accompagné à la gare, suite à la demande de l’enquêtrice de considérer l’imparfait :

 

(Extrait 45) 2-3 je l’ai accompagné à la gare (Lee I, fr.)

1 E : Alors je... <l’ai accompagné (L : <je l’ai accompagné) à la gare hm-hm alors je l’accompagnais à la gare (rire) par exemple à l’imparfait, (rire) est-ce que c’est possible ? + alors je l’ai accompagné à la gare

2 L : C’est mieux comme ça <je l’ai accompagné

3 E : <Hm c’est mieux comme ça ? Pourquoi c’est mieux ?

4 L : Parce que.. c’est le fait.. hm... le fait plutôt ponctuel +

5 E : Ah d’accord là donc ça c’est nouveau ça ponctuel + hm.

 

Ces termes « point » et « fait ponctuel » marquent une vision globale de l’intervalle d’un procès et comprennent donc en principe son début et sa fin (les deux bornes clôturées). Ce sont des expressions employées dans des grammaires du français écrites en français (cf. Wagner et Pinchon, 1991) qui sont sans doute reprises dans des manuels de français langue étrangère et par des enseignants. Nous supposons ainsi que Lee les a apprises dans sa classe de français. Sans commentaire plus explicite, on ne saurait dire que Lee fait référence à la clôture proprement dite. Lors du second entretien, dans un commentaire avant l’exercice, on observe une expression « dans une période donnée » qui peut marquer davantage l’attention à la clôture que les deux termes précédents :

 

(Extrait 46) Commentaires avant l’exercice (Lee, II, cor.)

L : Ensuite euh pour l’imparfait, outre le cas précédent, il peut être utilisé pour une situation sans action n’est-ce pas ? (E : + hm) dans une... période donnée (...) Et puis pour l’imparfait, on l’emploie bien sûr pour parler d’une habitude je faisais telle ou telle chose ou j’étais comme ça ou comme ça. Mais s’il y a une durée donnée, par exemple, qu’est-ce que j’ai fait pendant les vacances comme ça (E : hm), si on a une période donnée (E : hm), on emploie l’imparfait si j’ai fait quelque chose d’une façon continue pendant les vacances ou s’il y a ce genre de tendance. (E : hm)

 

Lee fait référence ici apparemment à un intervalle borné des deux côtés (« une période donnée », « pendant les vacances ») mais elle associe cette configuration à l’imparfait. Le double bornage n’est donc pas encore identifié par Lee lors du second entretien.

Quant à Kang, elle emploie aussi le terme point lors du premier entretien :

 

(Extrait 47) 6-17 Quand l’homme est ressorti de la cabine, il n’y avait plus personne ! (Kang I, fr.)

1 E : Alors donc tu/ toi + toi tu... tu choisis de donner la vitalité seulement ah/ il n’y avait plus personne ou il avait peur mais pas dans la première partie alors ? parce que dans la première partie où tu as mis le passé composé comme ça quand il a téléphoné et quand il est ressorti là tu ne veux pas donner trop de vitalité ? c’est ça ?

2 K : ++ Hm... mais non c’est pas c’est/ c’est pas c’est pas + uniquement pour la vitalité (E : <hm) <c’est pour préciser le temps

3 E : Préciser le temps <c’est-à-dire ?

4 K : <Voilà la situation il n’y avait personne (E : oui) et... dans la situation (E : oui) euh... + un point est/ un point il est sor/ il est... il est ressorti (E : hm) et il a trouvé il n’y avait personne

5 E : + Hm... c’est-à-dire + ce n’est pas une question\

6 K : La la situation <ça dure (E : <hm) comme ça (E : oui) <et..

7 E : <Et juste ça marque un point <c’est ça ?

8 K : <Oui (E : hm...)

 

L’enquêtrice fait référence en 1 à la notion de « vitalité » que Kang a employée auparavant pour l’emploi de l’imparfait et lui demande si le passé composé ne donne pas de « vitalité ». Kang répond en 2 que le passé composé « précise le temps », dans le sens où il marque « un point » par rapport à la « situation » qui « dure », dans laquelle il a lieu. Ce procès relevant de l’aspect perfectif (inclusion totale dans le moment repère) implique la double clôture, mais nous ne pouvons pas nous prononcer sur le statut de cette notion chez Kang.

Dans un autre exemple, Kang est plus explicite :

 

(Extrait 48) 6-11 Pendant qu’il a téléphoné, la voiture a filé (Kang I, fr.)

1  E : Donc /e/ filé [c’est la forme verbale prononcée par Kang] c’est-à-dire comme tu as dit tout à l’heure le monsieur il sort et la voiture elle part c’est <ça ?

2  K : <Est déjà/ est déjà partie

3  E : Ah elle est déjà partie ? (K : hm) donc\

4  K : Pendant dix minutes (E : oui) la voiture est déjà partie

5  E : Ah.... d’accord ++ pendant qu’il télé\

6  K :  <Mais ça se passe pendant dix minutes (rire)

7  E : Hm ++ donc on ne voit plus la voiture après <la... (K : <hm) quand il a fini le... (K : hm) téléphone (K : hm) on ne voit plus la voiture alors c’est ça ? (K : hm)

8  E : (...) Donc là ici c’est à peu près la même... structure quand pendant qu’il a téléphoné la voiture filait donc là aussi donc tu tu mettrais pas pendant qu’il TELEPHONAIT par exemple la voiture là tu as mis /E/ filé parce que

9  K : + Non on peut pas mettre pendant qu’il tél/ a téléphoné

10  E : Téléphonait ? pourquoi ?

11  K : Pendant qu’il a téléphoné parce que c’est comme ça (rire)

12  E : Ah bon ? mais pourquoi c’est comme ça ? (rire) non parce que tu dis que <ça dépend de narrateur

13  K : <Est-ce que euh... le/ le/ non ici c’est... c’est... absolu

14  E : Ouais ah bon ? ouais ? pourquoi ?

15  K : Parce que le temps est précisé (E : ah)

16  E : ++ Donc pendant c’est y a le début et la <fin (K : <hm) c’est ça ? + donc pendant qu’il a téléphoné la voiture /E/ filé c’est-à-dire pendant ce temps là +++ il est parti c’est ça ? (K : hm) ++ mais si c’est pendant ce temps là il est parti c’est en même temps non ? + donc est-ce que... c’est pas l’imparfait qui est mieux ici ?

17 K : + Non

18 E : Non ? <euh...

19 K : <Pendant pendant qu’il a téléphoné y a un moment <y a (E : <ouais) la durée de/ de <la durée temporaire (E : <c’est... ouais oui) et pendant ce moment là (E : ouais) la voiture (E : oui) a filé

20 E : ++ Donc c’est pas... pendant tout le temps de téléphone (K : hm) il est en train de (rire) (K : hm) hm d’accord +

 

Kang choisit le passé composé pour téléphoner et filer. Le rapport qu’elle établit entre les deux procès est celui d’inclusion : filer inclus dans téléphoner (3). L’intervalle occupé par téléphoner est vu par Kang de façon erronée comme un intervalle borné des deux côtés, et ce bornage se manifeste dans « dix minutes » imaginée comme durée de la communication téléphonique (4, 6). En 8, lorsque l’enquêtrice demande de considérer l’imparfait pour téléphoner, la réponse de Kang est un non catégorique (9, 13). La raison qu’elle donne (15) confirme sa vision de l’intervalle comme borné à gauche et à droite (le temps est précisé). L’enquêtrice explicite le terme précisé en parlant du début et de la fin dans sa question (16) pour être sûre que Kang fait référence à un intervalle borné. L’enquêtrice reteste en 16 l’acceptabilité de Kang sur l’imparfait en mentionnant la simultanéité dans le rapport d’inclusion. Kang reconfirme en 19 sa conception de l’intervalle pendant qu’il téléphoner comme un intervalle borné à gauche et à droite, tout en gardant l’idée d’inclusion. L’enquêtrice demande confirmation en 20 qu’il ne s’agit pas d’un chevauchement total entre téléphoner et filer.

On constate dans cette séquence que, même si l’analyse de l’intervalle est erronée, le fait que la double clôture entraîne le choix du passé composé montre que c’est une caractéristique bien identifiée et fonctionnelle chez Kang.

Le même type de formulation renvoyant à la double clôture s’observe toujours lors du second entretien :

 

(Extrait 49) 4-5 et il a plu pendant tout leur voyage (Kang II, cor.)

1 K : Mais il a plu pendant tout leur voyage. Donc (E : hm) le premier pleuvait, quand ils sont descendus du train, il pleuvait

2 E : (...) Hm + Euh… donc + alors si on dit il a plu ?

3 K : Le/ le… un + hm + dans un temps donné, (E : hm) il a plu constamment. Et il ne pleut plus maintenant. + Il n’a plu que pendant ce voyage, pendant leur voyage, (E : hm) et quand le voyage a fini, le voyage… euh il a pu pleuvoir encore, mais en tout cas, ce qui est sûr, (E : hm) c’est qu’il a plu pendant la période du voyage. (E : hm)

 

A la question de l’enquêtrice sur le choix du passé composé pour pleuvoir, Kang répond en 3 qu’il s’agit d’un intervalle borné, d’abord en termes abstraits (« dans un temps donné »), ensuite en reprenant les mots de la phrase (« pendant la période du voyage »).

La saisie de la double clôture de l’intervalle se confirme dans un autre exemple :

 

(Extrait 50) 5-3 Il est resté huit mois à l’hôpital (Kang II, cor.)

1 K : Et puis ici… pourquoi j’ai utilisé il est resté, le passé composé, c’est parce que huit mois, il y avait une période donnée. (E : hm) Ensuite quand il en est <sorti\

2 E : <Dans ce cas, il restait est possible ? comme le cas de tout à l’heure. Il restait

3 K : ++

4 E : On peut penser que, avec cette durée assez longue, on peut mettre l’imparfait. (bas)

5 K : Il est resté il restait (bas) ++ Je pense que huit mois, c’est pas si long que ça. (E : hm) Vu le contexte global de cette phrase, juste il restait restait (bas) +++ ou bien une explication de situation/ Si on veut dire restait, il faudrait peut-être un peu plus de description de la situation, ou il restait ++ il restait +

6 E : Il restait huit mois à l’hôpital et puis il faut autre chose, c’est ça ?

7 K : Oui. +

8 E : Quel genre de chose <faut-il ajouter ?

9 K : <Par exemple, il restait en pleurant pendant + il restait en (bas) hm… en désespérant. (E : hm) de/ de tout désespoir. (E : hm) ++ XXX (bas) Je pense qu’on ne dirait pas restait parce que avec huit mois, le temps est déterminé. (E : hm) Oui. Il vaut mieux dire il est resté. (E : O.K.)

 

Kang explique son choix du passé composé pour rester par la clôture de l’intervalle signalé par huit mois. L’enquêtrice demande de considérer l’imparfait (2) et pose une question piège avec la notion de durée (4). Kang entre dans le piège en acceptant de voir l’intervalle avec cette notion mais n’y tombe pas en refusant de voir huit mois comme long (5). On constate que la durée ne constitue pas une notion déterminante dans son choix des temps verbaux mais en disant que cette durée n’est pas forcément longue, elle accepte néanmoins de raisonner en ces termes et ne refuse pas pour autant la notion. Ensuite elle cherche un contexte où l’imparfait serait possible (5-9). Dans cette réflexion, elle aborde le rôle macro-discursif de l’imparfait. Mais elle revient à son choix pour le confirmer avec l’argument du  « temps déterminé », renvoyant à la double clôture de l’intervalle (9).

4.1.2. Les formulations du double bornage

Lee et Kang emploient toutes deux, lors du premier entretien, des termes englobants dans lesquels elles ne semblent pas relever le double bornage. Lors du second entretien, elles utilisent des expressions plus précises mais qui reflètent une réalité différente.

 

Double bornage et passé composé

 

Premier entretien

 

Second entretien

Lee

fait ponctuel, un point

Kang

un temps donné [ju-ô-ji-n sikan], temps déterminé [sikan-i jôngha-ô-ji-ô-it-ki ttemune]

Kang

un point

Lee

période donnée [ôttôn kikan tongan-e]

[Tableau 19 : Formulations du double bornage]

4.1.3. Opérationnalité

Les verbalisations du double bornage apparaissent chez Lee à la suite d’une demande de considération de la forme verbale non choisie ou d’une interrogation sur la différence entre les deux temps, alors que chez Kang, la référence à la double clôture apparaît immédiatement, montrant par là une différence de disponibilité de la notion.

Du point de vue de la précision dans les verbalisations, Kang et Lee progressent entre les deux entretiens. Outre la disponibilité de la notion, la différence chez les deux apprenantes réside dans le fait que pour Lee, le bornage qu’elle semble exprimer à l’aide de termes précis, n’influence pas son choix du temps, alors que pour Kang, c’est un trait déterminant pour le choix du passé composé.

4.2. Clôture à droite

L’attention à la clôture de la borne droite s’observe chez nos informatrices, dans la plupart des cas, pour l’aspect perfect avec les termes fini, terminé. Il s’agissait, nous l’avons vu, d’une vision rétrospective sur le procès entier, qui impose l’emploi du passé composé. Le fait de voir un procès fini implique obligatoirement la clôture de la borne droite. Mais nous observons que nos apprenantes ont recours à différents procédés pour attribuer la clôture de la borne droite à un procès.

4.2.1. Les verbalisations en entretien
4.2.1.1. Clôture droite par la situation

Nos apprenantes s’appuient toutes au moins une fois, que ce soit lors du premier entretien ou lors du second, sur l’information apportée par le contexte du récit pour concevoir la clôture d’un intervalle :

 

(Extrait 51) 3-4 Quand il a ouvert la porte, elle lui a souri et lui a dit : je t’ai attendu (Kang I, fr.)

1  E : Donc là je t’attends hein ? elle a dit je t’attends est-ce qu’on peut dire + je t’ai attendu ?

2  K : Oui on on peut dire

3  E : Par exemple ?

4  K : On peut dire

5  E : On peut dire ça ? donc ça n’a pas de différence entre je t’attends il ouvre et elle sourit hm <je t’attends

6  K : <Peut-être ce serait mieux je je t’ai attendu

7  E : Ou je t’ai attendu

8  K : Je t’ai attendu parce que finalement il est venu

9  E : + Ah oui donc elle attend plus maintenant (K : hm-hm) c’est ça ? + je t’ai attendu ++ ou alors je t’attendais

10 K : (rire) Je t’attendais +

11 E : C’est possible ça ?

12 K : +++ Non non c’est pas possible parce que s/ l’act/ l’action attendre <ça.. (E : <hm) c’est c’est fini

13 E : Ah c’est fini

14 K : Oui

 

Kang a choisi d’abord le présent pour attendre, indépendamment de la consigne de choisir entre le passé composé et l’imparfait. L’enquêtrice demande d’abord une confirmation sur ce choix et l’interroge ensuite sur l’acceptabilité du passé composé (1). Kang le juge acceptable et change d’avis (6), en s’appuyant sur le fait que la personne attendue est arrivée (8). L’enquêtrice demande de considérer également l’imparfait (9) et Kang répond catégoriquement qu’il est inacceptable, la raison en étant la fin du procès attendre (12). Pour Kang, l’arrivée de la personne attendue clôture l’intervalle occupé par le procès attendre.

Lors du second entretien, on retrouve chez Kang la même analyse pour le passé composé. Contrairement au premier entretien, elle hésite entre les deux possibilités et elle explique l’emploi du passé composé comme suit : « (...) je t’ai attendu est aussi possible peut-être. J’ai attendu jusqu’à présent, et finalement tu es là donc (E : hm) ». Avec les termes jusqu’à présent, elle montre qu’elle analyse l’intervalle comme comprenant le moment de locution mais la clôture de l’intervalle s’opère et s’achève par la venue de la personne. Pour l’imparfait, elle emploie les mêmes termes « jusqu’à maintenant » :

 

(Extrait 52) 3-4 Quand il a ouvert la porte, elle lui a souri et lui a dit : je t’ai attendu (Kang II, cor.)

1 E : Alors si on dit je t’attendais ?

2 K : ++ Je t’attendais jusqu’à main/ je… je t’attendais jusqu’à maintenant comme ça (E : hm) J’ai + je suis j’ai resté ici euh pendant pendant quelque temps (E : hm) + (Voi)là je suis encore là (E : hm)

 

Cette explication qu’elle donne en français de son initiative semble montrer que l’intervalle qui comprend toujours le moment de locution n’est pas clôturé, par l’emploi de l’imparfait même (« je t’attendais jusqu’à maintenant comme ça »). On notera que dans cette glose de l’emploi de l’imparfait (je t’attendais), elle propose une autre reformulation avec le passé composé, suivi d’un autre circonstanciel, pendant quelque temps. Mais ces circonstanciels temporels marquent en eux-mêmes la clôture de la borne droite. Ainsi, seule la phrase qui suit distingue l’emploi du passé composé et celui de l’imparfait : « finalement tu es là donc » pour le passé composé, et « je suis encore là » pour l’imparfait.

4.2.1.2. Clôture à droite par l’information contenue dans la phrase suivante

Par ailleurs, Kim s’appuie sur l’information apportée par la suite du récit pour la clôture de l’intervalle :

 

(Extrait 53) Il est resté huit mois à l’hôpital (Kim I, fr.)

1  E : (...) Donc ensuite il est ?

2  K : Resté (E : hm) huit mois à l’hôpital

3  E : Hm d’accord et là tu as mis au début à... (K : restait) parce que c’était ?

4  K : Huit mois <euh...

5  E : <Huit mois ?

6  K : Oui

7  E : C’est ton/ donc ça a duré longtemps ? <c’est ça ?

8  K : <Longtemps oui ++ et + oui si on + on voit on... envisage seulement cette phrase (E : hm) il restait huit mois à l’hôpital c’est.. c’est bien ça aussi c’est n’est-ce pas

9  E : Il restait à l’hôpital... il restait huit mois à l’hôpital ++ je crois que... <oui pourquoi pas ?

10 K : <Non ? oui oui <(rire) (E : <(rire)) + la phrase suivant il a déjà il est déjà sorti de l’hôpital c’est pour ça l’hospital/son... a.. son hospitali-té (E : hm-hm) est + <terminé  (E : <hospitalisation) <est termi/ hospitalisation est <terminée (E : <terminée)

11 E : ++ Ah donc c’est par rapport à la phrase suivante (K :  oui oui oui) que tu..

12 K : Ah non au début de/ (E : au début) je n’ai pas.. pensé (E : comme ça) la... la.. (E : la phrase suivante) la phrase suivante (E : hm)

13 E : Mais.. c’est main<tenant que tu penses à ça ?

14 K : <Maintenant oui

15 E : Hm ++

 

Lors du passage de l’exercice dans la classe de français, Kim avait choisi l’imparfait pour rester (1-6). L’enquêtrice lui demande si c’est à cause de la durée (7) et Kim approuve cette explication et demande à son tour la confirmation de l’acceptabilité de l’imparfait si c’était une phrase isolée (8). L’enquêtrice se trouve dans une situation paradoxale (cf. Véronique 1994a) où en tant qu’interlocutrice, elle devrait répondre à la demande d’avis comme dans une interaction ordinaire, mais en tant qu’interviewer, elle ne devrait pas fournir des informations qui risquent d’altérer les réponses de l’informatrice. Elle s’en sort par une réponse qui approuve plus ou moins la proposition de Kim (9). Pour justifier la bonne réponse donnée par son professeur (le passé composé), Kim introduit la sortie de l’hôpital du personnage, mentionnée dans la phrase suivante (quand il en est sorti, il était très faible et très maigre) (9-12), idée survenue au cours de l’interaction (13-14). Ce faisant, elle attribue la clôture à l’intervalle occupé par rester à l’hôpital.

Lee emploie le même procédé lors du second entretien : « Ensuite la dernière fois, j’avais dit il…/ il restait il est resté, n’est-ce pas ? Mais hm… ce n’est pas mal non plus de dire il/ il est resté parce que il est sorti de l’hôpital. Donc il est resté huit mois, comme ça, je pense que c’est possible » (Lee II, cor.).

Il en va de même pour le procès vouloir visiter la Bretagne :

 

(Extrait 54) 4-1 Mes amis norvégiens ont voulu visiter depuis longtemps visiter la Bretagne (Lee II, cor.)

1 E : Ils ont voulu c’est

2 L : Ils le voulaient continuellement (E : hm) et ils sont partis

3 E : Hm donc + le passé composé est mieux

4 L : Oui (E : hm)

 

Lee tient sans doute compte de la phrase suivante (ils y sont partis enfin la semaine dernière) pour son choix erroné du passé composé : le fait qu’ils sont partis clôture l’intervalle de vouloir visiter.

Le recours à ce procédé de Kim et de Lee montre qu’elles sont sensibles à l’expression de la clôture droite de l’intervalle mais n’analysent pas huit mois, contenu dans la phrase, comme un indice de l’intervalle borné.

4.2.1.3. Clôture droite et moment de locution

Kim montre une analyse où elle distingue l’emploi du passé composé et celui de l’imparfait par le moment de locution :

 

(Extrait 55) 3-4 Quand il a ouvert la porte, elle lui a souri et lui a dit : je t’ai attendu (Kim I, fr.)

1  E : (...) Et donc là après elle a dit je t’attendais

2  K : Oui ça aussi durée la durée <oui

3  E : <Hm ça c’est.. un peu <facile n’est-ce pas ?

4  K : <Sûr oui oui facile <très facile oui

5  E : <Je t’attendais <hm (K : <oui) ++ sinon + on peut pas dire je t’ai attendu ?

6  K : ++ On peut pas +

7  E : Je t’ai atten<du

8  K : <Attendu ? (E : hm) je t’ai attendu ? ++

9  E : Je t’ai <attendu

10 K : <Ah.. je t’ai attendu ++++++ hm ++

11 E : Je t’ai attendu ++ tak quand il ouvre la porte je lui dis (bas)

12 K : La.. durée (E : je t’ai attendu) ++ la durée il y a deux... sortes de durée

13 E : Deux sortes de durée oui

14 K : Ah je crois (E : hm) oui mon ma pensée (E : hm-hm) et <pas XX (E : <c’est-à-dire quel) hm (E : de) + et je/ je t’attendais (E : hm) c’est à partir de quel.. il y a à partir de/ ++ à partir de (E : hm-hm) à partir de (rire) à partir d’il y a non ++ hm ++++ euh à partir depuis ? (E : hm-<hm) <ah non depuis depuis quelque.. quelque temps ou quelques heures (E : hm-hm) ++ et jusqu’à maintenant

15 E : Où + il ouvre la porte c’est ça ?

16 K : + Oui c’est... la durée a/ euh ++ (E : <c’est-à-dire il a\) <avant et maintenant (E : hm-<hm) <d’avant et à maintenant (E : hm) et deuxième..

17 E : Ça c’est la première <durée c’est ça ?

18 K : <Premier <durée

19 E : <Et deuxième durée c’est quoi ?

20 K : <Deuxième durée à partir de maintenant et un peu après + <durée (E : <hm-hm) eh... + durée après

21 E: (...) <Mais ce que tu as mis je t’attendais (K : hm) tu as pensé à cette première durée ? ++ de.. +

22 K : Oui

23 E : Oui ?

24 K : Premier durée

25 E : (...) <Euh.. ce que tu dis là les deux durées (K : hm) c’est ce que tu penses... depuis longtemps ? ou ou tu as pensé ça tout de suite maintenant seulement ?

26 K : Maintenant

27 E : Maintenant ? hm

28 K : (rire) Parce que euh.. quand tu m’as.. tu m’as... (E : hm) questio/demandé entre deux temps (E : ah oui <attendais et j’ai attendu ? hm) <oui + hm (E : hm) hm +

29 E : Tu as pensé à ça ?

30 K : Oui (rire) (E : hm) +++

31 E : Et donc de toute façon euh là tu choisirais ça toujours je t’attendais ?

32 K : Oui hm ++ quand utilise-t-on euh je t’ai attendu (E : hm) quand ? (à elle-même)

33 E : Quand est-ce qu’on utilise <ça ?

34 K : <Hm

35 E : A ton avis ? <ton hypothèse

36 K : <Hm + je t’ai attendu (E : hm) ++++ oui je t’ai attendu c’est euh +++ euh.. ++++++ oui oui une personne qui parl/ parlant ? (E : hm-hm) parlant hm hm je t’ai attendu (E : hm) +++ euh +++ oui attendais ça.. ça/ + ça se passe.. + jusqu’à maintenant (E : hm-hm) + depuis longtemps ou.. (E : hm) avant (E : hm-hm) ++ mais + ah ++++ oui mais euh (E : hm) je t’ai attendu (E : hm) euh.. le passé composé c’est PAS jusqu’à maintenant (E : hm-hm) + euh depuis longtemps et ++ hier ou avant-hier (E : hm-hm) oui pas ++ maintenant le/ le moment deux deux personnes se parlent (E : hm-hm) pas pas + (E : hm ?) pas le moment ah pas... le moment +++ hm...

37 E : Donc le moment où la personne dit je t’ai attendu (K : hm ah) à ce moment là (K : hm) je ne t’attends plus c’est ça ? c’est <c’est fini ?

38 K : <Oui c’est ça + oui c’est <fini

39 E : <Je je ne t’attends plus

40 K : Je je ne t’attends plus (E : hm) ++++

41 E : Hm-hm

 

Kim justifie son choix de l’imparfait pour attendre par la notion de durée (2) et lorsque l’enquêtrice l’interroge sur l’acceptabilité du passé composé (5), Kim parle de deux schémas de durée qu’elle conçoit (12) : « avant et maintenant » (16) et « maintenant et après » (20). A la demande de l’enquêtrice, Kim répond que le cas de je t’attendais relève du premier schéma (21-24). Après une parenthèse sur le moment de la conception de ces schémas (25-30), Kim explique la différence entre je t’ai attendu et je t’attendais (36) : l’imparfait fait référence à l’intervalle qui inclut le moment de locution et dont la clôture de la borne droite coïncide avec celui-ci (« ça se passe jusqu’à maintenant ») et le passé composé renvoie à l’intervalle qui n’inclut pas le moment de locution (« pas maintenant le moment [où] deux personnes se parlent ») et dont la clôture de la borne droite est antérieure à celui-ci comme on le voit en 39 (« je ne t’attends plus »). Ainsi, le choix différent du temps verbal chez Kang et Kim semble résider dans l’inclusion ou non du moment de locution dans l’intervalle considéré, dont la clôture est reconnue par les deux apprenantes. Dans cet exemple, la clôture seule ne détermine donc pas le choix du temps verbal, mais sa localisation par rapport au moment de locution.

4.2.1.4. Clôture droite de l’intervalle et changement d’état

La clôture de l’intervalle occupé par un procès marquant son arrêt, entraîne naturellement le changement d’état (cf. Klein, 1994). Nous avons noté que, pour mettre en valeur un procès valide dans un temps donné limité, Kang et Kim ont tendance à exprimer la rupture d’état en limitant son extension par un moment arbitrairement choisi ou en la prolongeant jusqu’au moment repère (ou jusqu’au moment de locution) où l’état changé n’est plus forcément valide.

Chez Kang (II) qui est plus sensible au bornage de l’intervalle, on constate ce phénomène dans le second entretien. Pour le verbe être maigre dans 5-5 Quand il en est sorti, il était très maigre et très faible : on ne le reconnaissait pas, à la demande de l’enquêtrice de la raison de son choix de l’imparfait, Kang considère d’elle-même le passé composé il a été maigre, et le juge accepte : « Quand on dit il a été, juste le moment, le moment de la sortie de l’hôpital, il était comme ça. Si on dit ici il a été très faible et très maigre, + à un moment donné dans le passé [kwakô-ûi han sijôm-esô], c’est une action qui est finie [kkûna-at-tô-n tongjak]. C’est-à-dire, arrivé à la maison, c’était tout à fait (E : <guéri) <rétabli. (E : hm) Oui, comme ça ». Outre la mention de l’arrêt de l’état (l’action est finie), Kang limite la validité du procès être maigre seulement jusqu’à l’arrivée à la maison.

Le fait de limiter la validité d’un procès dans une période déterminée comme le procès de pleuvoir dans 4-5 et il a plu pendant tout leur voyage ne dit rien sur l’état météorologique du lieu après leur voyage. Étant consciente de l’absence de nécessité d’instaurer un changement après l’intervalle désigné, Kang limite la validité du procès à l’intervalle borné : « Dans un temps donné, il a plu constamment. Il a plu uniquement pendant le voyage. Après le voyage, il est possible qu’il ait continué à pleuvoir, mais ce qui est sûr, c’est qu’il a plu pendant la période du voyage ». Mais à un moment, elle prolonge l’état du changement jusqu’au moment repère (ou moment de locution) : « Et il ne pleut plus maintenant », avant de revenir sur l’incertitude concernant l’état météorologique du lieu après le voyage, analyse plus appropriée : « Il n’a plu que pendant ce voyage, pendant leur voyage. Quand le voyage a fini, le voyage… euh il a pu pleuvoir encore, mais en tout cas, ce qui est sûr, c’est qu’il a plu pendant la période du voyage ».

Pour ce même procès, Kim (I) prolonge l’arrêt du procès pleuvoir jusqu’au moment de locution (ou moment de locution) : « (...) pendant tout leur voyage hm... c’est déjà le temps terminé. Maintenant, il n’a plus plu. Terminé. Le pleuvoir est terminé maintenant ». Chez Kim, cette mise en relation entre procès valable dans un intervalle clos et changement d’état après l’intervalle, qui dure jusqu’au moment de locution est d’ailleurs liée, à un moment donné, à une hypothèse qu’elle a émise au cours du même entretien (cf. extrait 55, supra). Selon cette hypothèse, quand les verbes d’action sont à l’imparfait, ils durent « jusqu’à maintenant », c’est-à-dire jusqu’au moment de locution ou au moment repère. Et Kim utilise cette hypothèse comme argument de la validité du choix du passé composé pour le verbe pleuvoir pour lequel elle s’était trompée au début en choisissant d’abord l’imparfait : comme la pluie ne continue pas « jusqu’à maintenant », « on peut jamais utiliser l’imparfait, seulement le passé composé (...) ».

4.2.2. Les formulations de la borne droite

Certaines verbalisations de l’aspect perfect font référence plus précisément à la clôture droite de l’intervalle. Elles relèvent des reformulations dans lesquelles on note le verbe arrêter et l’adverbe complètement :

- « Mais une voiture est arrivée, la voiture arrêtée » pour 6-7 (...) juste au moment où une voiture est arrivée (Kim I, fr.) ;

- « c’est sûr qu’ils sont complètement arrivés » pour 4-3 quand ils sont arrivés à Rennes (...) (Kim II, cor.)

- « On l’a arrêté l’action » pour 6-8 elle l’a heurté violemment (Kang II, cor.).

La clôture de la borne droite est assignée par la prise d’information apportée par la phrase suivante, par la référence à un élément de la situation pragmatique, par la saisie de l’arrêt de l’action ou du changement d’état. Les informatrices emploient des reformulations et des circonstanciels temporels, marquant la limite de l’expansion de l’intervalle (jusqu’à maintenant, présent).

 

Clôture de la borne droite

 

Premier entretien

 

Second entretien

Kim

- V + jusqu’à maintenant (IMP)

- ne V plus (PC)

- arrêté (PC)

- par la phrase suivante : il est déjà sorti de l’hôpital, c’est pour ça (PC)

Lee =

- par la phrase suivante : parce qu’il est sorti de l’hôpital ; et ils sont partis

 

Kang

- par un élément de la situation : parce que finalement il est venu (PC)

 

 

Kang =

- V jusqu’à présent + élément de la situation (finalement tu es là donc) (PC)

- V jusqu’à maintenant + je suis encore là (IMP)

- arrêter l’action (PC)

 

 

Kim

- complètement V (PC)

[Tableau 20 : Formulation de la borne droite]

4.2.3. Opérationnalité

Du point de vue de l’accès à la notion de clôture de la borne droite, Kang et Kim la verbalisent à la suite de la demande de l’enquêtrice de considérer le temps alternatif ou d’une demande d’explication simple, alors que Lee la mentionne spontanément.

Au niveau de la précision des verbalisations, les types de commentaires relevés (autre verbe, verbe + jusqu’à X, complètement V, ne V plus, expressions causales) ne nous semblent pas indiquer différents degrés de précision. Mais l’emploi d’une même expression (‘V jusqu’à X’ chez Kang) pour le passé composé et l’imparfait montre une saisie ambiguë de la notion.

L’opérationnalité de la notion de clôture droite s’observe notamment dans différents procédés de repérage : le recours à la phrase suivante alors que l’indice de la borne droite est présent dans l’énoncé étudié ou le recours à un élément de la situation du récit témoignent que la notion, certes disponible chez nos informatrices, n’est pas encore repérée correctement.

4.3. Ouverture à droite

L’intervalle ouvert (à gauche et) à droite relève de l’aspect imperfectif. Dans les verbalisations de cet aspect, le bornage ne fait pas l’objet d’un commentaire explicite, l’accent étant mis sur la portion de l’intervalle entre le début et la fin, qui ne les contient pas (être en train de, toujours en train de).

 

4.3.1. Les verbalisations en entretien

Seule Kang verbalise le bornage dans ses commentaires de l’aspect imperfectif en se référant à l’absence de clôture, et ce, lors des deux entretiens :

 

(Extrait 56) 6-15 Il s’est retrouvé tout seul, il a eu peur et il a réussi à partir lui aussi (Kang I, fr.)

1 E : Donc tu penses que si on disait il réussiSSAIT à partir <à l’imparfait c’est

2 K : <Si on dit il réussissait à partir (E : hm lui aussi oui) c’est-à-dire/ il réussi-ssait à partir il a roulé le vélo (E : hm) il a roulé le vélo (E : hm...) et... si on imagine une... une tableau (E : hm) qui s’exprime tout/ tout... <toute histoire (E : <toute cette histoire oui) oui voilà (E : hm) un homme qui... qui téléphone (E : hm) et qui.. téléphone ici et... (E : hm) un enfant (E : hm) si on /metr/ il a réussi à partir (E : hm) il part il est parti <hm (E : <hm) <il n’est plus là

3 E : <Donc il a essayé une seule fois il a réussi

4 K : Non non non j’ai... c’est pas le problème de fois (E : <hm hm) mais quand même il est parti <et il est (E : <hm) il était plus/ plus là (E : hm-hm) mais sil... il réussi<ssait (E : <ssait oui) à... à partir le/ à partir c’est-à-dire il a/ il a réussi (E : hm) et bien sûr il a réussi (E : hm) et partir (E : hm) maintenant il est encore parti

5 E : + Il réussissait ? + quand on dit il <réussissait ?

6 K : <Ah pas pas maintenant mais.. euh... y a pas de finitio/ finition ? (E : hm-hm) y a pas de <fini\

7 E : <C’est-à-dire que on ne sait pas si... on croit que il est toujours en train <de... (K : <hm) de partir <c’est ça ? (K : <hm hm) hm

 

Suite au choix de Kang du passé composé pour réussir, l’enquêtrice l’interroge ensuite sur l’acceptabilité de l’imparfait (1) et Kang trouve un contexte où il serait possible : l’enfant du récit part en vélo (2). Cette solution est à comparer avec l’emploi du passé composé qu’elle explique immédiatement après dans l’illustration qu’elle propose, dans laquelle l’enfant n’est plus là, alors que le passant est encore au téléphone. L’enquêtrice teste ensuite l’une des valeurs du passé composé souvent verbalisée par Kang : l’unicité de procès (3), et Kang répond qu’il s’agit d’une valeur du perfect avec la formulation du perfect résultatif (il est parti et il n’était plus là), avec une correction de temps (il est il était plus là). Elle ajoute qu’avec l’imparfait, le procès est tout de même terminé (4) et l’enquêtrice qui ne l’a pas compris demande s’il s’agit bien d’un commentaire sur l’emploi de l’imparfait (5). Kang se reprend et précise explicitement que le procès à l’imparfait ne marque pas notamment la clôture droite (« pas de finition ») (6). L’enquêtrice demande confirmation (7) en utilisant la formulation ‘être en train de’.

L’attention de Kang à l’absence de clôture droite s’observe toujours lors du second entretien :

 

(Extrait 57) 6-10 Ce passant a couru dans la cabine téléphonique d’à côté (Kang II, cor.)

1 E : Après ce <passant (K : <ensuite) a couru (K : oui) Ça aussi, le passé composé

2 K : +++ Quand on dit ce passant courait, (E : hm) ça aussi c’est trop rigolo parce qu’il court (E : hm) ++ et l’action de courir ne s’arrête pas. (E : hm) Il continue à +

3 E : Ah tu as l’impression qu’il continue à courir.

4 K : Oui

5 E : Hm…

 

Ici, Kang prend en considération elle-même la possibilité de mettre le verbe à l’imparfait, forme verbale qu’elle n’a pas choisie. Ce qu’elle saisit dans ce cas-là est l’absence de clôture de l’intervalle, donc sa continuité (2).

Le verbe filer fait l’objet du même commentaire :

 

(Extrait 58) 6-12 Pendant qu’il téléphonait, la voiture a filé (Kang II, cor.)

1 E : On ne peut pas dire la voiture filait ? C’est-à-dire pendant qu’il <téléphonait

2 K : <C’est la même chose que celui d’avant. (E : hm) Le fait de courir tout le temps et de filer. (E : hm)

3 E : Ah c’est pour ça que ça ne marche pas

4 K : Oui. De plus, c’est <un verbe d’action.

5 E : <Hm hm hm. Pendant qu’il téléphone, la voiture continue + <XX

6 K : <Elle s’en va + et puis <elle continue à (E : <s’en aller) Oui. Elle s’en/ elle ne fait que s’enfuir, alors qu’il faut qu’elle ne soit plus là.

7 E : Il faut qu’elle soit plus là. O.K.

 

Dans cette séquence, c’est l’enquêtrice qui demande de nouveau d’examiner l’acceptabilité de l’imparfait et Kang fait la comparaison avec le verbe précédemment commenté courir et les commentaires qu’elle avait faits (2). L’enquêtrice comprend que l’imparfait est vu aussi comme un choix erroné par Kang (3), ce qu’elle confirme en ajoutant que le type de procès du verbe y joue aussi un rôle (4). L’enquêtrice commence à reformuler la situation que véhiculerait l’imparfait (5) et Kang fait de même en explicitant le début du procès (elle s’en va), sa continuité (elle continue à), ainsi que l’absence de la clôture droite dont le résultat serait qu’« elle n’est plus là » (6).

De la même façon que, dans les verbalisations de l’aspect perfect, l’attention de nos apprenantes est portée sur la clôture droite, on note dans les verbalisations de l’aspect imperfectif chez Kang qu’elle saisit en particulier la borne droite pour en verbaliser l’ouverture.

4.3.2. Les formulations de l’ouverture de la borne droite

L’ouverture de la borne droite est formulée par Kang en une négation de fin ou d’arrêt du procès, suivie de la mention du résultat nécessaire, ou en une continuité seule d’un procès.

 

Ouverture de la borne droite et imparfait

 

Premier entretien

 

Second entretien

Kang

- négation de la clôture droite : pas de finition

Kang

- négation de la clôture droite : ne s’arrête pas

- continuité du procès seule : ne fait que s’enfuir

[Tableau 21 : Formulations de l’ouverture de la borne droite]

4.3.3. Opérationnalité

La verbalisation a lieu à la suite de la sollicitation de l’enquêtrice d’examiner l’emploi de l’imparfait mais il arrive à Kang de l’aborder d’elle-même. Avec la formulation explicite de la double clôture, la verbalisation explicite de l’absence de clôture dans divers endroits montre que le bornage est une notion identifiée et opératoire chez Kang.

5. Type de procès du verbe

Les modes d’action ou l’aspect lexical tiennent compte des compléments du verbe, mais ici nous en ferons un usage restreint et nous nous limiterons au verbe seul. Rappelons que nous adoptons la classification de Kihlstedt (1998). Nous distinguons : a) les verbes transitionnels ayant deux états distincts par une transition interne ; b) les verbes bornés ayant un terme final ; c) les verbes d’activité marquant la continuité d’une activité sans terme final ; et d) les verbes d’état marquant l’état continuel sans terme final.

Nous avons observé beaucoup de commentaires où les termes action et état semblent désigner à la fois les types de procès du verbe et la fonction discursive d’avant-plan et d’arrière-plan. Mais nous avons jugé plus haut que nos apprenantes font référence plutôt à la fonction discursive comme le montre le commentaire de Kang avant l’exercice lors du second entretien : « le passé composé, c’est quand il y a eu une action » ; « quand il y a eu un point » ; « il y avait un état par exemple, je dormais, j’étais fatigué, ou alors je regardais quelque chose et puis à ce moment là des événements qui se sont produits en le coupant (...) ». Dans cette partie, nous exclurons les verbalisations contenant état et action, et nous nous limiterons à celles qui font référence explicitement au verbe.

5.1. Les verbalisations en entretien

Toutes les apprenantes font référence au type de procès. Ces références s’observent notamment lors du second entretien sauf pour Kang qui les verbalise aussi dans le premier entretien. Les modes observés sont l’allusion, la classification des verbes, et les rapports entre le type de procès du verbe et le choix du temps verbal.

5.1.1. Allusion au type de procès

La référence au type de verbe par allusion s’observe chez Kang et Lee :

 

(Extrait 59) 6-19 Quand la police est arrivée c’est lui qu’elle a emmené (Kang I, fr.)

1 E : Alors quand la police est arrivée donc c’est pareil

2 K : Oui (rire)

3 E : Est arrivé c’est un moment c’est ça ?

4 K : Hm

5 E : C’est-à-dire si tu veux marquer sur une durée de l’histoire (K : hm) si tu veux marquer un moment (K : hm) précis c’est le passé composé (K : hm) + ce n’est pas quand la police ARRIVAIT + donc toi tu... dirais pas ça (K : hm) c’est ça ?

6 K : Et... en plus en concernant le verbe

7 E : Ouais ça dépend aussi des <verbes (K : <hm) comme ici courir

8 K : Et ici aussi

 

L’enquêtrice fait référence en 1 et en 3 au commentaire de Kang sur le verbe précédent ressortir (6-17, 18 Quand l’homme est ressorti de la cabine, il n’y avait personne !) où Kang parlait du rôle du passé composé qui « précise le temps » en marquant le « point » dans une « situation ». En redemandant la confirmation, l’enquêtrice interroge sur l’acceptabilité de l’imparfait (5). En guise de réponse, Kang explique pourquoi l’imparfait n’est pas possible en faisant allusion au verbe (6). L’enquêtrice reformule sa réponse (7) en rappelant le cas de courir pour lequel Kang avait parlé de l’agent du procès marqué par le verbe par rapport à il y a (« le verbe courir c’est c’est l’homme qui a fait mais avoir/ le verbe avoir dans cette phrase c’est ça s’exprime la situation il y a donc... voilà (rire) je pense comme ça »). Kang approuve cette mise en relation et confirme sa référence au type de procès du verbe (8).

Quant à Lee, il lui arrive de faire référence au type de procès du verbe sans verbaliser sa nature, comme dans l’extrait suivant que nous avons déjà vu :

 

(Extrait 27) 3-2 Quand il a ouvert la porte, elle lui souriait et lui a dit (...) (Lee II, cor.)

1 E : Bon alors, quand il a ouvert et elle lui a/ elle lui souriait, quel est le sens ?

2 L : Hm... + quand il a ouvert la porte brusquement, (E : hm) cette femme ah/ cette femme s’attendait à le voir, et continuellement hm... comme ça un peu + dans une situation + d’attente ou de connaissance (E : hm) + elle maintenait la situation. ++

3 E : Quelle situation ?

4 L : Hm elle était en train de sourire (E : hm) parce qu’elle s’y attendait (E : hm) Hm <et en même temps

5 E : <Donc elle savait déjà qu’il viendrait et (L : Hm) elle était en train de sourire, c’est ça ? ++ <Alors quand\

6 L : <C’est peut-être différent à cause du verbe sourire ? +++

 

Outre l’aspect imperfectif verbalisé pour son choix de l’imparfait pour sourire, elle ajoute en 6 que ce choix est également lié au type de procès du verbe, mais sans préciser lequel.

La même allusion s’observe encore pour le verbe partir dans 4-2 ils sont partis enfin la semaine dernière. Après une première explication de son choix du passé composé lors de la lecture à haute voix (« c’est un événement »), à la demande de l’enquêtrice sur l’acceptabilité de l’imparfait, forme non choisie par Lee, (« sont partis, si on dit partaient »), elle répond simplement « C’est partir donc », en montrant clairement que le choix du passé composé est dû au type de procès mais toujours sans précision, une précision qu’aurait pu solliciter l’enquêtrice à ce moment-là.

5.1.2. Catégorisation des verbes

Les commentaires plus explicites sur les verbes montrent que nos apprenantes catégorisent les types de procès du verbe et que ces derniers jouent un rôle dans leur choix du temps verbal. Chaque apprenante effectue des catégorisations différentes.

5.1.1.1. Verbes non ponctuels vs. verbes bornés

Kim fait référence au type de verbe seulement lors du second entretien et dans son commentaire avant l’exercice, elle parle des verbes non ponctuels et bornés :

 

(Extrait 60) Commentaire avant l’exercice (Kim II, cor.)

1  E : Donc numéro un.

2  K : Donc je…

3  E : Ah une minute une minute ah… cet exercice concerne l’imparfait et le passé <composé. (K : <Passé composé) Avant de le faire tu peux me dire dans quels cas on emploie l’un et l’autre ? + comme ça te vient à l’esprit.

4  K : Je pense pas qu’il y ait grand chose de changé.

5  E : Oui ça fait rien.

6  K : Oui l’imparfait et le passé composé. (E : hm XXX) D’abord ++ le temps est passé. (rire) (E : hm) Et pour l’imparfait ++ il y a plusieurs emplois n’est-ce pas (E : hm) mais euh (E : hm) le premier cas qui me vient à l’esprit (E : hm) est celui où quelque chose est en cours. (E : hm) Quelqu’un était en train de faire quelque chose. (E : hm) + Et puis qu’est-ce qu’il y a encore ? +++ le/ + ah +++ quelque chose en cours + Certains… verbes qui ne peuvent pas s’accomplir en une seconde. (E : hm) Hm par exemple ++ ah non c’est peut-être pas toujours le cas. C’est-à-dire selon les caractéristiques du verbe, si c’est un verbe qui ne peut pas s’accomplir en une fois en une seconde, dans ce cas là, j’ai tendance (rire) à penser à l’employer à l’imparfait pour moi.

7  E : Hm hm hm par exemple être jeune, était jeune <comme ça ?

8  K : <C’est ça hm hm hm. Il y a aussi ce genre de choses et ce dormir ici me fait penser (E : hm) que + bon on peut se réveiller pendant le sommeil mais on dit souvent j’ai dormi. (E : hm) Et bien sûr, il faut voi/ voir le contexte, mais pour moi, j’étais [continuellement ; toujours] en train de dormir[ko it], /je/ dormais, (E : hm) je dirais comme ça. + Et ensuite par contre, le passé composé (E : hm) s’emploie avec les verbes qui donnent une impression claire de la fin d’action. ++ C’est mon intuition.

9  E : Oui. Ça fait rien.

10 K : Ceci dit, je ne pense pas que tout puisse correspondre à ça. (rire) (E : hm) On dit plutôt je suis parti même si on dit aussi je partais. (E : hm) On dit plus souvent je suis parti même si ça dépend de la situation. Donc pour le verbe partir, je pense à un départ instantané/ non ah pour parti, ça veut dire qu’on est complètement parti. C’est-à-dire que on ne peut pas dire qu’on était en train de partir dans ce cas là. (E : ah) Oui donc là, c’est hm.

11 E : Hm tu veux dire qu’on peut difficilement dire cette phrase hein ?

12 K : Oui difficile de le dire hm.

 

Avant de commencer l’exercice, l’enquêtrice demande de parler des emplois des deux temps (3) et elle commence par l’imparfait (6). Outre l’aspect imperfectif, Kim mentionne un type de verbe, notamment les verbes d’activité ou d’état, décrits comme non ponctuels (« verbes qui ne peuvent pas s’accomplir en une seconde »). Elle réalise que ce qu’elle va dire n’est pas une règle général, mais le verbalise tout de même en le présentant comme sa propre pratique : elle a tendance à mettre à l’imparfait les verbes d’activité. Elle explique sa pratique en prenant l’exemple de dormir (8). Tout en admettant la possibilité et l’acceptabilité du passé composé selon le contexte, elle avoue qu’elle ressent plus d’affinité d’emploi à l’imparfait.

Inversement, l’emploi du passé composé est présenté comme une règle (8) et concerne les verbes bornés (« les verbes avec une impression claire de la fin d’action »). Ces deux principes sont présentés ensuite comme son intuition. Tout en ajoutant que son intuition ne marche pas à tous les coups, elle donne un exemple de la tendance générale : on emploie le verbe partir plutôt au passé composé (10). Kim montre ici clairement que le type de procès du verbe est déterminant pour elle dans son choix du temps verbal. L’exemple suivant confirme cette règle verbalisée. On notera que les verbes non ponctuels sont appelés ici « verbe continu » :

 

(Extrait 61) 5-3 Il restait huit mois à l’hôpital (Kim II, cor.)

1 K : Ensuite il est resté [mômurû-ôt-ta] il restait [mômurû-ko it-ôt-ta] huit mois à l’hôpital. ++ Hm ++++ Oui ça aussi, on peut voir comme un verbe continu donc restait.

2 E : Parce que c’est un peu long ?

3 K : Oui c’est un peu long.

5.1.1.2. Verbes à agent ou verbes d’action

Kang qui fait référence au type de procès du verbe dans les deux entretiens catégorise différents types de verbes sauf les verbes d’état. Nous avons déjà vu que Kang (I) évoquait l’agentivité, un trait particulier de procès, qui ne concerne pas la temporalité proprement dite, mais qui semble avoir joué un rôle pour Kang dans son choix du passé composé : « le verbe courir c’est c’est l’homme qui a fait » (6-10 Ce passant a couru dans la cabine téléphonique d’à côté). Il s’agit, en l’occurrence, d’un agent humain qui contrôle le procès.

Après cette seule occurrence de mention de l’agentivité, Kang parle par la suite du « verbe d’action » :

 

(Extrait 62) 6-20 Quand la police est arrivée, c’est lui qu’on a emmené au commissariat (Kang I, fr.)

1  E : Hm quand la police est arrivée c’est le monsieur qui/ donc qui a téléphoné qu’elle A amené au commissariat (K : hm) donc là c’est un verbe qu’on ne peut pas mettre ici euh... à l’imparfait ?

2  K : Hm [=non]

3  E : Pourquoi ?

4  K : C’est la verbe ah/ le verbe d’action

5  E : Ah... d’accord c’est comme ici courir qu’est-ce qu’il y avait encore réussi ?

6  K : Hm

7  E : Et là quand on disait réussissait ça veut dire qu’il continuait à... partir hein c’était ça hein ? donc (K : hm) on si on utilise à l’imparfait ça signifie (K : hm) un peu autre chose (K : hm) c’est ça ? c’est-à-dire si on disait aussi EMMENAIT (K : hm-hm) c’est lui qu’elle EMMENAIT (K : hm) ça veut dire quoi ?

8  K : ++ Il (rire) <la police

9  E : <Elle a pas elle a pas fini de... (K : hm) <e e elle est (K : <emmener) pas encore arrivée au commissariat c’est ça ?

10 K : Euh peut-être l’homme hésitait ?

11 E : Euh l’homme ne voulait pas ?

12 K : Hm

13 E : Quand la police est arrivée + donc là on ne peut pas mettre arrivait à l’imparfait c’est ça ? puisque c’est un moment + dans le temps ++ c’est ça ? XXX est arrivée c’est lui qu’elle a emmené bon emmené + donc si on veut même si ce sont des verbes d’action si on veut on peut mettre à l’imparfait si tu veux marquer que (K : oui) que ils ont pas réussi à l’emmener au commissariat (rire) (K : (rire)) etc.

14 K : Oui

15 E : Mais bon euh généralement les verbes d’action c’est au passé composé ?

16 K : oui (rire)

17 E : O.K. donc (I : (rire)) tu crois que c’est pas... c’est pas vrai ?

18 K : Ah...

19 E : Hm ? + bon euh je te remercie

20 K : Ah... je/ <je vous en prie

 

L’enquêtrice interroge en 1 sur l’acceptabilité de l’imparfait en focalisant sa question sur le type de verbe. Kang répond négativement (2) et explique sur sollicitation que c’est à cause du type de verbe, en l’occurrence, du « verbe d’action » (4). L’enquêtrice demande si c’est le même cas que courir et réussir (5). Kang y répond par un simple signe d’approbation (6). L’enquêtrice rappelle que ces deux verbes mis à l’imparfait marquent l’aspect imperfectif, comme l’avait verbalisé Kang, et demande ce que signifie le verbe emmener à l’imparfait (7). Kang entame sa réponse (8) mais celle-ci est coupée par l’enquêtrice qui intervient intempestivement en anticipant sa réponse (9) en formulant l’aspect imperfectif par le non perfect (pas encore arrivée). Kang propose un contexte possible de non accomplissement du procès, la résistance de l’homme (10), reformulée aussitôt par l’enquêtrice (11). L’enquêtrice enchaîne et demande à Kang (13) si les verbes d’action, justification proposée par l’informatrice pour son choix du passé composé, peuvent être employés à l’imparfait en marquant justement l’aspect imperfectif. La réaction de Kang (14) est difficile à évaluer quant à savoir s’il s’agit d’une vraie réponse positive à la question ou d’une simple marque de présence. L’enquêtrice demande en 15 si les verbes d’action appellent le passé composé et elle obtient la même réaction de Kang, accompagné d’un rire cette fois-ci (16). L’enquêtrice réagit en anticipant encore le sens de son rire (17). Visiblement, Kang rit du non-sérieux à ses yeux de ses propres réponses. Cette suite pourrait nous faire interroger sur la validité de sa réponse (4) disant que son choix du passé composé est dû au type de procès du verbe, le « verbe d’action ». Mais son attention générale à la sémantique du verbe et à l’agentivité semble accréditer cette réponse.

Cette classification s’observe encore lors du second entretien. L’identification du verbe filer comme un verbe d’action semble sous-tendre son choix du passé composé :

 

(Extrait 63) 6-12 Pendant qu’il téléphonait, la voiture a filé (Kang II, cor.)

1 E : On ne peut pas dire la voiture filait ? C’est-à-dire pendant qu’il <téléphonait

2 K : <C’est la même chose que celui d’avant. (E : hm) Le fait de courir tout le temps et de filer. (E : hm)

3 E : Ah c’est pour ça que ça ne marche pas ?

4 K : Oui. De plus, c’est <un verbe d’action.

5 E : <Hm hm hm.

 

5.1.1.3. Verbes de perception

Dans le second entretien, Kang propose spontanément une autre classification verbale :

 

(Extrait 64) 5-6 Quand il en est sorti, il était très faible et très maigre : on ne le reconnaissait pas (Kang II, cor.)

1  E : Hm. Alors dans ce contexte, on le reconnaissait pas ne va pas bien ? Si on met il était très faible ?

2  K : + On ne le reconnaissait est aussi bon, alors.

3  E : Y a-t-il une différence de sens ? Entre on ne l’a pas reconnu, et on ne le reconnaissait pas ?

4  K : ++ Euh quand on dit on ne le reconnaissait pas, quand il en est sorti est (E : hm), on parle seulement de l’état l’état où il se trouvait quand il est sorti de l’hôpital, ensuite quand on dit on ne l’a pas reconnu, (E : hm) on ne l’a pas reconnu, ça veut dire que quand on l’a vu la première fois, sur le moment, on ne l’a pas reconnu. (E : hm) C’est-à-dire que le temps est plus court que pour on ne le reconnaissait pas (E : hm) et un peu + hm ++ on l’a pas reconnu sur le moment et puis hm… +++++ Oui. Je pense que c’est ça. (rire)

5  E : Hm. Donc si on emploie l’imparfait, c’est un état, et si on emploie ça, c’est momentané, le fait qu’on ne l’a pas reconnu juste la seconde où on l’a vu

6  K : Tiens c’est un peu bizarre. Reconnaître est un verbe de perception. (E : hm) Est-ce qu’un verbe de perception peut rester dans un état ? On ne le reconnaissait pas, on ne l’a pas reconnu. Ou on reconnaît ou on ne reconnaît pas. +

7  E : Ah… c’est quelque chose de momentané et <pas euh

8  K : <Oui. Est-ce que c’est ça ? A mon avis, le sens du verbe lui-même (E : hm) joue aussi un rôle + je n’en sais rien. (rire) +

9  E : De ce point de vue, on ne l’a pas reconnu ce serait mieux ?

10 K : Oui. C’est possible. (E : hm) ++++ hm ++

 

Le premier choix de Kang pour reconnaître est le passé composé mais au fil de l’interaction et à la suite de la demande de considération de l’imparfait, Kang le trouve acceptable (2). Elle explique la différence entre les deux temps verbaux par le contraste de durée (4) que l’enquêtrice reformule en opposant état et momentané (5). Le terme état semble tout d’un coup contradictoire à Kang avec le verbe reconnaître qu’elle classifie comme « verbe de perception » (6). L’enquêtrice reformule cette contradiction ressentie : « quelque chose de momentané » peut-il rester en état ? (7). Il s’agit d’une contradiction entre deux notions ayant deux durées opposées : état est associé à une durée relativement longue et momentanéité comme la perception est assimilé à quelque chose de ponctuel. Kang exprime explicitement en 8 son sentiment sur le rôle du type de procès du verbe dans le choix des temps, idée qu’elle nuance aussitôt. A la suite de ce commentaire sur le lien entre le type de procès du verbe et les temps verbaux, l’enquêtrice demande une confirmation sur le fait que le verbe reconnaître, un verbe de perception, appelle le passé composé (9). Mais Kang ne semble plus aussi sûre que dans sa première réponse (10).

5.1.1.4. Verbes de sentiment

Lee montre une classification encore différente :

 

(Extrait 65) 6-13, 14 L’enfant se retrouvait seul et il avait peur et il a réussi à partir lui aussi (Lee II, cor.)

L : Ensuite (E : hm) le/ parce que les deux premiers (E : hm) expriment un état sentimental. (E : hm) ou bien (E : hm) la situation. Ça ne désigne pas la personne qui se lève et bouge et fait quelques mouvements. (E : hm) Dans ce cas, si on utilise le passé composé, c’est un peu problématique. (E : hm)

 

Pour les procès se retrouver seul et avoir peur, Lee juge que le passé composé et l’imparfait sont tous deux possibles. Après l’examen de chacun des temps où le passé composé marquerait la successivité et l’imparfait, l’état, elle termine ici son commentaire finalement en faveur de l’imparfait en opposant les procès marquant « état sentimental » aux procès de type action, avec un agent animé, en particulier, un être humain.

Cette attention portée sur les types de verbes est confirmée dans son commentaire après l’exercice :

 

(Extrait 66) Commentaire après l’exercice (Lee II, cor.)

L : C’est-à-dire quand il y a un moment donné précis, (E : hm) on utilise souvent le passé composé. (E : hm) C’est-à-dire, quand il y a une contrainte par une autre explication parallèle, ou quand un moment dans le temps est donné, on utilise le passé composé. Euh… ensuite selon les caractéristiques des verbes, on peut avoir des sentiments différents. (E : hm) C’est-à-dire, il y a des verbes qui donnent plus d’envie d’utiliser le passé composé. ++ Ensuite ++ hm hm ++ ensuite qu’est-ce qu’il y a d’autre ?

 

A la demande de l’enquêtrice de comparer ce qu’elle avait en tête avant et après l’exercice, Lee reprend les différents contextes d’emploi du passé composé. Entre d’autres, Lee verbalise que pour elle, certains types de procès du verbe appellent le passé composé, sans préciser lesquels.

5.1.3. Non-distinction entre le type de procès du verbe et le rapport entre deux moments

Le fait que le type de verbe détermine le choix du temps verbal montre que nos apprenantes ne font pas de distinction entre le type de procès du verbe et le temps verbal, porteur de différents rapports entre le moment repère et le moment de la situation. On observe chez les trois informatrices cette non-distinction des différents niveaux aspectuels.

 

(Extrait 67) 3-2, 3 Quand il a ouvert la porte, elle lui souriait et lui a dit : je t’attendais (Kim II, cor.)

1 E : Ce qui correspond à elle lui a souri, c’est elle lui souriait à l’imparfait ?

2 K : + Hm là en parlant, j’ai une autre idée qui me vient, qui se superpose. (rire)

3 E : Hm hm dis-moi ces idées qui se <superposent.

4 K : <Donc souriait. (E : hm) ++ Oui d’abord pour moi, le verbe sourire ne finit pas en une seconde mais qui dure un peu. (E : hm) Je n’ai pas l’impression qu’elle ait ri juste une seconde et refermé sa bouche tout de suite après. (E : hm) Je pense qu’elle souriait [-ko it] un moment la bouche ouverte, donc l’imparfait. Et ensuite, elle lui a dit et ce qu’elle lui a dit, c’est (E : hm) + je t’attendais. Elle a dit ça, je t’attendais [kitari-ko  it-ôt-ta] tout en continuant à sourire. (...) Je pense que elle a dit je t’attendais en souriant, elle était toujours en train de sourire. (...) ici l’état de sourire + le moment de sourire est continu donc on a mis à l’imparfait. (...) le sourire n’a pas terminé tout de suite (rire) (E : hm) elle a souri un peu plus longtemps, je pense. (rire)

 

Dans cet extrait déjà cité et qu’on reprend ici,  Kim fait référence en 4 au type de procès de sourire (verbe d’activité) qui est analysé comme un verbe duratif. Mais cette caractéristique interne de la sémantique du verbe se transforme plus loin en celle de chevauchement total avec un autre procès de dire : je t’attendais : l’analyse du niveau lexical, celle de l’imperfectivité de la temporalité interne du verbe devient une analyse à un autre niveau, celui de rapport entre deux moments, exprimé par l’emploi de l’imparfait, porteur de l’aspect imperfectif caractérisé aussi par la non-clôture de la borne droite de l’intervalle du point de vue du moment repère. Ce phénomène s’observe dans un autre exemple qui est la suite de l’extrait 61 :

 

(Extrait 68) 5-3 Il restait huit mois à l’hôpital (Kim II, cor.)

1  K : Ensuite il est resté [mômurû-ôt-ta] il restait [mômurû-ko it-ôt-ta] huit mois à l’hôpital. ++ Hm ++++ Oui ça aussi, on peut voir comme un verbe continu donc restait.

2  E : Parce que c’est un peu long ?

3  K : Oui c’est un peu long.

4  K : (...) Il est resté là, j’ai hésité un moment (E : hm) parce que j’ai pensé au cas de pendant tout leur voyage.

5  E : Ah si l’on regarde du même point de vue

6  K : Si l’on regarde du même point de vue, (E : même si <c’est long) <A un moment, j’ai pensé qu’on pouvait dire il est resté. (E : hm) J’ai hésité un peu comment je devais faire. (E : hm) + Hm… + mais la phrase suivante (E : hm) quand il/ c’est la phrase où il sort de l’hôpital (E : hm)  ++ Ah… + ah non. (bas) Il sort/ ++ Mais là c’est un autre/ Ici je pense qu’on peut faire différemment par rapport à avant. (E : hm) ++ Hm… + parce que le verbe rester lui-même a un sens (rire) qui dure assez longtemps. L’état de rester ne s’arrête pas brusquement comme ça, n’est-ce pas ? le verbe ? Hm… il est resté il restait. (bas) ++++++++ (soupir) + Ah c’est dur, c’est toujours difficile.

7  E : Tu hésites toujours ?

8  K : Oui je ne sais pas trop. Je ne sais pas trop. Dans cet exemple [il a plu pendant tout leur voyage], j’avais interprété comme ça mais, ici j’interprète différemment.

9  E : A cause du caractère du verbe ?

10 K : Oui. (E : hm) ++

11 E : Tu penses que les deux sont possibles ? Il est resté, il restait ?

12 K : +++++++++ Oui je pense que les deux sont possibles, là aussi selon les points de vue. (rire)

13 E : Hm comme l’exemple précédent ?

14 K : Hm comme le précédent.

15 E : Hm hm O.K.

 

Au moment de la lecture à haute voix, Kim hésite un peu pour le verbe rester (1) mais choisit l’imparfait, en rappelant le type de verbe, verbe d’activité (« verbe continu »). L’enquêtrice pose une question piège sur la durée (2) dans laquelle Kim tombe en acceptant de raisonner non seulement dans cette catégorie mais aussi en approuvant l’entière proposition (3). Après avoir fini le récit entier, l’enquêtrice revient sur ce verbe et Kim apporte son témoignage (4) en verbalisant ce qui était à l’origine de son hésitation au moment du choix de temps : elle comparait le cas de rester avec 4-5 il a plu pendant tout leur voyage traité plus tôt en choisissant le passé composé. Avec le même raisonnement, la même analyse, elle pouvait, pensait-elle, choisir le passé composé pour rester (6). Mais Kim décide de faire une autre analyse en privilégiant le type de procès (« le verbe rester lui-même a un sens qui dure assez longtemps »), avant de reconnaître qu’elle manque de cohérence dans ses analyses et d’accepter finalement les deux possibilités, lors de la demande de l’enquêtrice (11-12).

D’autres exemples montrent aussi la non-distinction entre d’une part, le niveau lexical du verbe, indépendant de tout contexte et d’autre part, le niveau morphologique verbal reflétant la perspective entre le moment repère et le moment de la situation :

- « Quand il est sorti, il était XX on ne l’a pas reconnu. On ne l’a pas reconnu. A la seconde où je l’ai vu, je ne l’ai pas reconnu » pour 5-6 et on ne l’a pas reconnu (Kim II, cor.)

- « Il faudrait dire qu’elle a heurté et parti/ elle l’a heurté une seconde heurté. (E : hm) Elle n’a pas continué à l’heurter, c’est pour ça que c’est le passé composé » pour 6-8 Elle l’a heurté violemment (Kim II, cor.)

- « L’enfant s’est retrouvé aussi, le moment court où il s’est regardé lui-même, c’est très court » pour 6-13 L’enfant s’est retrouvé tout seul (Kim II, cor.)

- « Ensuite, quand l’homme est ressorti de la cabine, (E : hm) l’action de sortir » pour 6-17 quand l’homme est ressorti de la cabine (Kim II, cor.)

Dans ces commentaires, la justification du choix du passé composé pour les verbes bornés (heurter) et transitionnels (reconnaître, se retrouver, ressortir) se confond avec la caractéristique des verbes, perçus comme ponctuels (seconde, court, action).

Comme chez Kim, on observe également une confusion entre deux niveaux d’analyse, celui du lexique et celui de la morphologie verbale (temps verbaux), porteur du rapport entre deux moments : « Ah c’est l’enfant s’est retrouvé. Ça aussi, comme je t’ai dit tout à l’heure, comme le verbe de perception, il s’en aperçoit momentanément » pour 6-13 l’enfant s’est retrouvé tout seul (Kang II, cor.).

Sensible à la télicité des verbes, Kim fait la distinction entre les verbes téliques (y compris les transitionnels) et les verbes d’état (et d’activité), qu’elle oppose en terme de durée. Kang semble faire de même, en relevant notamment les verbes bornés et transitionnels qu’elle appelle « verbe d’action ». Par contre, l’idée de durée qui n’est pas inexistante chez elle intervient pour les verbes transitionnels.

On observe également chez Lee une ambiguïté ou une affinité très forte entre les deux niveaux d’analyse :

 

(Extrait 69) 5-6 Quand il en est sorti, il était très faible et très maigre : on ne l’a pas reconnu (Lee II, cor.)

L : Ensuite, hm… quand il est sort/ + à ce moment là, (E: hm) là, (E : hm) on emploie le passé composé, (E : hm) parce que le fait de sortir de l’hôpital, c’est une action. (E : hm) Ensuite on décrit la… situation, hm… hm… sa situation, (E : hm) donc on emploie + l’imparfait, (E : hm) il était très faible. Ensuite, après l’hôpital, on parle de Paul tout en connaissant sa situation. (E : hm) Hm… même si on ne l’a pas reconnu, ça dure juste une seconde. On le reconnaît maintenant. (E : hm) Donc on ne l’a pas + reconnu. (E : hm) ++

 

Le choix du passé composé pour reconnaître est dû au caractère ponctuel du procès (« ça dure juste une seconde »), également observé chez les autres. Mais le commentaire de Lee montre comment s’opère le passage du type de procès au choix du temps verbal : le procès véhiculé par le verbe étant un procès qui s’accomplit aussi vite qu’il a commencé, on saisit plus facilement l’état du procès accompli (« on le reconnaît maintenant ») que le procès en déroulement. Avec ce type de procès, on a affaire ainsi à l’aspect perfect, ce qui entraîne le passé composé. Nous avons pu aussi entrevoir ce changement sur heurter dans le commentaire de Kim en 6-8 Elle l’a heurté violemment (Kim II, cor.) : « elle l’a heurté une seconde heurté. Elle n’a pas continué à l’heurter, c’est pour ça que c’est le passé composé », dans lequel l’aspect perfect causé par l’instantanéité du procès est exprimé en négation de l’aspect imperfectif.

Le type de procès du verbe, la temporalité propre à la sémantique du verbe, joue chez nos apprenantes un rôle dans le choix du temps verbal par affinité cognitive entre les deux niveaux.

5.2. Les formulations du type de procès du verbe

Les moyens d’expression utilisés par nos apprenantes pour se référer au type de procès se manifeste de plusieurs façons : a) dans le commentaire général explicite où elles parlent du rapport entre le type de procès du verbe et le choix du temps verbal, b) dans la catégorisation des types de procès en ‘verbe + qualificatif’, c) dans la mention d’une caractéristique du procès et d) dans une simple allusion. L’allusion a lieu de diverses manières : la mention du verbe lui-même, accompagné ou non du mot métalinguistique verbe, ou par sa mention seule, « le verbe ».

 

Type de procès du verbe : passé composé et imparfait

 

Premier entretien

 

Second entretien

Kang

- catégorisation : verbe d’action (PC)

- mention d’une caractéristique du procès : agent (PC)

- allusion avec mention du mot métalinguistique seul : le verbe

Kim =

- type de verbe et choix du temps verbal : verbes qui peuvent et qui ne peuvent pas finir en une seconde (PC et IMP)

- catégorisation : verbe continu (IMP)

- mention d’une caractéristique du procès : durée (IMP)

 

 

Lee =

- type de verbe et choix du temps verbal : des verbes qui donnent envie d’utiliser le passé composé (PC)

- allusion avec mention du verbe lui-même avec mot méta : verbe sourire (IMP)

- allusion avec mention du verbe seul : partir donc (PC)

- catégorisation : verbe de sentiment (IMP)

 

 

Kang

- catégorisation : verbe d’action, verbe de perception (PC)

[Tableau 22 : Formulations du type de procès du verbe]

5.3. Opérationnalité

Toutes les trois verbalisent spontanément au moins une fois le type de procès du verbe durant l’exercice, et deux d’entre elles en parlent aussi dans un commentaire général en dehors de l’exercice. L’accès à cette notion semble donc rapide. Si l’on regarde le contexte de ces verbalisations, la non-distinction des niveaux d’analyse s’observe dans des commentaires spontanés justifiant le choix du temps verbal, alors que la référence explicite au type de procès du verbe s’observe non seulement dans des réponses spontanées mais souvent aussi lors de la séquence d’acceptabilité de la forme non choisie, ouverte par l’enquêtrice.

Du point de vue du degré de précision des verbalisations, chaque apprenante en manifeste différents degrés dans le même entretien, d’une simple allusion à la catégorisation des verbes. Comme en témoigne l’allusion au type de procès par Kang lors du premier entretien, la sensibilité à la temporalité interne du verbe semble être présente assez tôt dans l’apprentissage. Les catégorisations de types de verbes semblent se faire de façon naturelle. Cette notion est bien opérationnelle dans le sens où elle joue un certain rôle, voire un rôle déterminant, dans le choix du temps verbal chez nos apprenantes. Mais contrairement à d’autres caractéristiques aspectuelles, l’opérationnalité de cette notion nécessite un mouvement restrictif : les informatrices doivent apprendre à lui donner moins d’importance et à la séparer du niveau morphologique verbal. La séparation qui commence à se faire au second entretien, notamment par la mise en imparfait de verbes transitionnels, ne semble pas encore acquise complètement.

6. Rôle macro-discursif

Un procès peut être saisi dans sa fonction discursive locale (avant-plan ou arrière-plan) dans une phrase complexe ou dans des phrases simples qui se suivent immédiatement, mais il peut être vu également du point de vue de son rôle dans l’enchaînement du récit dans son ensemble.

La saisie macro-discursive de procès au passé composé et à l’imparfait se manifeste chez nos apprenantes dans deux directions : d’une part, les procès au passé composé sont considérés comme ayant lieu dans l’ordre de leur présentation, donc comme successifs, ou comme constituant la trame de récit, et les procès à l’imparfait sont perçus comme constituant l’arrière-plan général du récit. D’autre part, ces procès sont également vus comme jouant un rôle d’ouverture de récit, de constitution de son corps et de sa clôture. Lee se distingue des autres par l’augmentation considérable de son attention macro-discursive lors du second entretien.

6.1. Successivité

Une suite de procès au passé composé marque leur successivité chronologique de réalisation. Cette caractéristique discursive réside dans le fait qu’un procès au passé composé constitue lui-même le temps repère et n’a pas besoin, comme l’imparfait, d’un ancrage préalable sur lequel il se fixe. Les connaissances du monde du locuteur/interlocuteur et le principe de l’ordre naturel (cf. Perdue, 1993a, b) servent à faire le lien entre les procès.

6.1.1. Les verbalisations en entretien

La saisie de la successivité des procès au passé composé peut s’observer chez Kang et Lee. Lee y fait référence dans les deux entretiens, et Kang, seulement lors du second. Une grande partie de la référence macro-discursive des procès au passé composé concernent cette caractéristique.

La verbalisation de la successivité des procès peut être implicite ou explicite. Kang emploie lors du second entretien le terme point en français pour marquer de façon implicite une séquentialisation :

 

(Extrait 70) 6-4, 5, 6 Quand il est arrivé au carrefour, il n’a pas pu ralentir et est tombé juste au moment où une voiture arrivait (Kang II, cor.)

1 E : Sur l’avenue d’Italie juste au moment où une voiture arrivait. Ça , tu l’as mis à l’imparfait

2 K : Oui

3 E : C’est aussi pour rendre plus vivant ?

4 K : + C’est-à-dire, la voiture n’était pas arrêtée, elle arrivait. (E : hm) Mais ce garçon qui faisait du skateboard jouait et n’a pas pu s’arrêter. Là, un point (E : hm) + De cette manière, il arrivait ici (E : hm) et ensuite il n’a pas pu s’arrêter, point. (E : hm) Il est tombé, point. (E : hm) Ensuite la voiture arrivait pendant ce temps où ces temps se déroulaient. (E : hm hm)

 

La question de l’enquêtrice porte sur le choix de l’imparfait pour la voiture arriver (1) et elle demande confirmation d’une fonction de l’imparfait proposée par Kang auparavant, celle de rendre le récit plus vivant (3). Dans sa réponse, Kang fait plutôt référence à un chevauchement entre le procès d’arriver ayant comme agent la voiture, et ceux concernant l’enfant : arriver au carrefour, ne pas pouvoir ralentir et tomber (4). Tout en exprimant la contemporanéité des procès des deux agents, Kang exprime la successivité des procès de l’enfant par l’emploi du mot français point marquant le terme d’un procès, condition nécessaire à la survenue du procès suivant.

Mais Kang exprime également explicitement la séquencialité de ces mêmes procès :

 

(Extrait 71) 6-4, 5, 6 Quand il est arrivé au carrefour, il n’a pas pu ralentir et est tombé juste au moment où une voiture arrivait (Kang II, cor.)

1 E : Hm… ensuite quand il est arrivé, ça là, on lui a donné moins de caractère vivant ? Comment ça se passe ? (K : (rire)) Quand il est arrivé <au carrefour\

2 K : <C’est-à-dire, là, il y a une *story* où une situation se poursuit, mais, (E : hm) ici, quand l’enfant est arrivé au carrefour en une fraction de seconde, (E : hm) il n’a pas pu s’arrêter et il est tombé. (E : hm) On explique l’incident de sa chute/ (E : hm) qui euh… très + qui peut se produire en une ou deux secondes. (E : hm) C’est pour ça +++

3 E : C’est-à-dire, comme ce sont des choses qui se produisent en un temps très court, c’est au passé composé ?

4 K : Euh… il y a l’aspect temporel. (E : hm) Euh et puis il y a un truc plus important. (E : hm) ++++ Mais

5 E : Qu’est-ce que c’est ce truc ++ important ?

6 K : +++ Ça … + hm ces… actions (E : hm) se produisent dans l’ordre n’est-ce pas. (E : hm…) Il est arrivé, (E : hm) il n’a pas pu s’arrêter, (E : hm) c’est pour ça qu’il est tombé et

7 E : Ces trois sont tous au passé composé.

8 K : Oui. (E : hm) ++

9 E : Donc ah le fait que c’est dans l’ordre c’est ça. Comment dire, le passé composé

10 K : Ça s’est produit presque simultanément + la situation (E : hm)

 

La question de l’enquêtrice porte sur le choix de Kang du passé composé pour le premier arriver(1), et Kang répond en terme de durée (2). L’enquêtrice demande confirmation de la corrélation entre la durée courte et le choix du passé composé (3) et Kang parle à ce moment-là de la séquentialité du procès arriver et des deux autres qui suivent (ne pas pouvoir ralentir, tomber). Mais Kang ajoute (10) que cette séquentialité de plusieurs procès qui ont lieu en un temps très court se produit « presque simultanément ».

Lee fait également référence à cette fonction macro-discursive dès le premier entretien et ce, de façon explicite :

 

(Extrait 72) 3-2 Quand il a ouvert la porte, elle lui a souri et lui a dit : je t’attendais (Lee I, fr.)

1 E : Donc phrase trois, quand + il... hm hm la porte et elle lui + hm

2 L : + Hm... +++++++++ hm + quand il a ouvert la porte (E : hm) elle lui souriait + elle lui a /surie/ et elle lui a dire elle lui a dit je t’attendais euh ici je sais pas <très bien.

3 E : <Hm hm donc là quand il a ouvert ++ elle lui + a souri ? C’est-à-dire, est-ce que tu le... conçois comme une action ou lui sou<riait

4 L : <Souriait je sais pas tous les deux possibles n’est-ce pas ? (rire)

5 E : (...) Quand il a ouvert la porte elle lui + Euh maintenant est-ce que tu crois qu’il y a + une différence de sens ? Elle lui a souri et elle lui souriait + est-ce qu’il y a

6 L : Hm quelque quelque nuance. (E : ouais) ++ Euh.. + si elle... lui a souri.. (E : hm) souri, (E : hm) c’est à cause de c’est... parce qu’elle a qu’elle l’a vu en ce moment à ce moment là (E : hm-hm) et cette situation lui plaît. (E : hm-hm) Mais elle souriait, c’est un état. (E : hm-hm) (...)

7 L : C’est elle lui a /surie/ (E : hm) ah/ elle lui a souri (E : hm) + c’est... c’est plutôt euh + hm + une actio/ une action ponctuelle (E : hm) à cause de quelque cause.

8 L : (...) Sinon elle souriait euh... en... s’atten.... en s’atten-dant + à le voir.

9 E : Ah d’accord c’est-à-dire, elle savait qu’il allait arriver (L : hm) Donc il a + hm mais... ce que je veux savoir, c’est l’action de sourire euh... + a commencé Est-ce que dans les deux cas, est-ce qu’elle... elle commence à sourire quand elle le voit ? ou... + c’est juste après qu’il soit rentré qu’elle qu’elle sourit ? ou...

10 L : Hm passé composé, c’est.. jus/ c’est juste une action (E : hm) succédant, (E : hm-hm) je crois. (E : hm-hm) +

 

Lee hésite pour sourire entre les deux temps verbaux (2, 4) et à la demande de différenciation (5), elle oppose le passé composé et l’imparfait en « action ponctuelle » (7) et « état » (6), avec une allusion à l’inclusion (8). L’enquêtrice demande explicitement sur le début des deux procès (9) et c’est à ce moment-là que Lee aborde la séquentialité dans sa réponse en disant que sourire au passé composé signifie qu’il s’agit d’une action qui succède à ouvrir la porte.

Cette successivité de procès au passé composé est verbalisée de façon abstraite lors du second entretien avant l’exercice :

 

(Extrait 73) Commentaire avant l’exercice (Lee II, cor.)

L : Et le passé composé s’utilise pour les... actions des acteurs (E : hm) qui font évoluer les événements. + Hm. (E : hm) Donc dans un laps de temps donné, l’imparfait est un temps qui le fait durer et le maintient (E : hm), le passé composé coupe le temps en séquences. (E : hm) hm et le change. (E : hm) Ou alors hm + < il est plus concret. (E : < il n’est pas continu) Hm comme ça, il coupe le temps en séquences, (E : coupe) coupe... ++ On ne peut pas le voir complètement comme ça mais (E : hm) en général, ça m’a l’air comme ça. (E : hm) Il peut entrain/ entraîner l’action suivante C’est-à-dire après ça, on attend (E : hm...) la suite/ hm ++ hm ++

 

Lee exprime clairement la fonction de séquentialisation du passé composé. Et cette notion prête-à-verbaliser est utilisée au cours de l’exercice :

 

(Extrait 74) 6-10 Ce passant a couru à la cabine téléphonique d’à côté (Lee II, cor.)

 L : Ensuite, dans cette situation, (E : hm) le passant court vers une cabine téléphonique (E : hm) euh… euh passé composé. (E : hm) Hm. Parce que c’est une action qui va avoir lieu après

 

 

(Extrait 75) 6-13, 14, 15 L’enfant s’est retrouvé tout seul et il a eu peur et il a réussi à partir lui aussi (Lee II, cor.)

L : (...) Et ensuite + on parlait du passant et après quand on parle de l’enfant (E : hm), hm… ++ Là les deux sont confus pour moi. Les deux sont possibles je crois. (E : hm) L’enfant se retrouvait tout seul, (E : hm) si on dit ça, c’est une situation ou une description (E : hm), l’enfant était resté seul. (E : hm) Ensuite ++ il a peur/ si on dit il avait peur il était dans un état continu où il avait peur et hm… + dans cet état là, il a réussi à partir lui aussi (E : hm), là, c’est un événement (E : hm), donc le passé composé. (E : hm) Ou alors (E : hm) si ces trois phrases sont comme des scènes (E : hm) qui se succèdent (E : hm) les unes après les autres, l’enfant se retrouv/ s’est retrouvé tout seul (E : hm) donc ++ il a eu peur (E : hm) comme il n’y a personne, [il se dit : ] « je ne sais pas ce que je serai » (E : hm) + même s’il a mal. Ensuite + donc + ensuite hm même si ce n’est pas une relation cause-résultat, ensuite il a pu partir, il est parti

 

Après avoir admis d’emblée la double possibilité pour les procès se retrouver seul et avoir peur Lee donne ici son interprétation lorsqu’on choisit le passé composé pour les trois procès et elle se base sur la lecture de la successivité.

La saisie de la successivité des procès au passé composé qui se suivent est utilisée également dans une interprétation déductive et rend prédictible une suite au procès : « Euh… si on dit on ne la pas reconnu, je pense qu’il y a un autre épisode après » (5-6 il était très faible et très maigre: on ne l’a pas reconnu, Lee II, cor.)

6.1.2. Problèmes liés à la saisie de la successivité
6.1.2.1. Confusion entre la réalité pragmatique et le niveau linguistique

Il arrive que les procès autres que le passé composé soient interprétés comme se réalisant successivement. Dans ce cas, la successivité saisie est basée sur la réalité pragmatique :

 

(Extrait 76) 3-1, 2, 3 Quand il ouvrait la porte, elle lui a souri et lui a dit : je t’attendais (Kang II, cor.)

1 E : Bon là, si on regarde quand il ouvrait la porte, tout à l’heure, tu as dit que l’imparfait marque + un état (K : hm) ou, et là qu’est-ce que c’est ? cet imparfait ?

2 K : Ici, l’imparfait (E : hm) + quand il (bas) +++ Ça aussi ça explique une situation, une situation quelconque. (E : hm) +

3 E : Quoi ? La situation d’ouvrir la porte ?

4 K : Oui. (E : hm…) Comment dire, + c’est un peu trop court (E : hm) mais quand même ça explique la situation, ensuite (E : hm) elle (E : hm) lui a souri et puis elle a dit. (E : hm) Hm… ++ Hm euh oui. Elle lui a souri (E : hm) + c’est ça lui a dit je t’attendais + Oui

5 E : (...) Dans la situation où on ouvre la porte, elle sourit et elle dit quelque chose (K : hm) Est-ce qu’il y a un ordre entre la situation où on ouvre la porte et la situation où elle sourit ? Ou alors c’est simultané ? Comment ça se passe ?

6 K : Non. Je suppose que la porte s’ouvre d’abord. (E : ah…)

 

On peut penser qu’avec le connecteur ensuite (4) le procès sourire est peut-être perçu comme succédant à celui d’ouvrir la porte mis à l’imparfait et le procès dire semble y succéder à son tour par le connecteur et puis. Le doute est levé avec l’antériorité d’ouvrir la porte par rapport à sourire, exprimée en 6 avec une pointe de doute néanmoins, sur sollicitation explicite de l’enquêtrice. On notera ainsi que la saisie de la successivité opère, non seulement dans les procès au passé composé, mais aussi de façon erronée dans ceux avec des temps combinés (imparfait-passé). La successivité semblé être détectée ici non par les temps verbaux, mais par des connaissances du monde : on ne peut pas sourire à quelqu’un qu’on ne voit pas d’où l’antériorité d’ouvrir la porte par rapport à sourire.

6.1.2.2. Structure syntaxique

Même si une suite de procès au passé composé est vue comme successive, l’apprenante peut ne pas choisir le passé composé dans une structure syntaxique qui appelle, pour elle, une composition de temps autre que le passé composé :

 

(Extrait 77) 3-2 Quand il a ouvert la porte, elle lui a souri et lui a dit : je t’attendais (Lee II, cor.)

1 E : Hm essayons. Par exemple, les deux au passé composé, quand il a ouvert, elle lui a souri, ça marche ?

2 L : J’ai pas tellement envie de dire comme ça mais (E : hm) + hm… Je crois que j’ai déjà vu des phrases comme ça (E : hm) Hm XX je ne sais pas si c’est correcte mais (E : hm), quand il y a une subordonnée qui commence par quand (E : hm), et ensuite la principale (E : hm), en général, si on considère ça comme une règle, j’avais pensé que si l’une des deux est un arrière plan et l’autre est un événement, pour l’un, on utilise l’imparfait (E : hm), et pour l’autre on emploie le passé composé (E : hm). Mais hm… dans certains cas, le professeur avait dit qu’on peut mettre [le même temps] dans les deux (E : hm), qu’il y avait pas de problème

3 E : Donc ça peut marcher

4 L : Hm. J’ai pas tellement envie de l’employer comme ça mais (E : hm) ça peut être possible (E : et <ensuite\) <XX Si la situation continuait successivement en étapes (E : hm), il a ouvert la porte (E : hm), elle a vu le garçon entrer et lui a souri (E : hm), et lui a dit (E : hm), comme ça (E : Hm c’est-à-dire\), si c’est successif ++

5 E : De ce point de vue, on peut utiliser comme ça ?

6 L : Hm

 

Comme dans le premier entretien, Lee se montre hésitante pour les verbes de cette phrase mais elle choisit l’imparfait pour sourire. L’enquêtrice prend les deux premiers verbes (ouvrir la porte et sourire) et propose d’examiner chacune des quatre combinaisons possibles (a ouvert-a souri, ouvrait-souriait, a ouvert-souriait, souriait-a ouvert). En ce qui concerne l’emploi du passé composé pour les deux verbes (1), Lee se montre réticente mais admet cette possibilité car c’est un emploi déjà attesté et confirmé par son professeur de français (2). Cette réticence pour le double emploi du passé composé dans une même phrase était déjà constatée dans le premier entretien pour un autre verbe, arriver dans 6-19 Quand la police est arrivée, c’est lui qu’elle a emmené. Lee était hésitante pour le choix du passé composé : « Mais... + comme j’ai travaillé euh... ++ le passé composé et l’imparfait (E : hm) avec ce formule de la phrase, (E : hm-hm) je/ quand je vois quand comme ça, (E : hm) hm... ++”

Lee ajoute le contexte dans lequel le passé composé serait possible pour sourire (4) et c’est seulement à ce moment-là qu’elle fait référence à la succession des procès. On constate que la successivité, bien que rapport prototypique dans ce contexte n’est pas une relation attribuée en premier lieu.

Une suite de procès au passé composé est en général interprétée comme se réalisant successivement, mais il semble qu’il n’en va pas de même pour toute suite de procès. Kang saisit par exemple une absence de rapport entre deux procès au passé composé :

 

(Extrait 78) 6-2 Hier, un accident s’est produit au carrefour de (...). Il a plu (Kang I, fr.)

K : C’est bizarre ici parce que si on /metr/ il a plu, on peut pas avoir le rapport avec la phrase d’avant. (...) C’est une phrase que (rire) + que des enfants /a/ écrit parce que y a pas de rapport entre deux phrases. (...) Si on dit il a plu, on peut indiquer le temps durée il faut dire il a plu pendant l’accident

 

En considérant, sur sollicitation, l’emploi du passé composé pour le verbe pleuvoir, temps non choisi par elle, Kang parle de l’absence de relation qu’elle ressent entre le procès se produire et pleuvoir. Par contraste c’est à l’imparfait, forme qu’elle a choisie, prenant comme repère le procès se produire, qu’elle semble avoir cette interprétation. Kang propose de suppléer ce manque par un circonstanciel temporel qui les relie.

6.1.3. Les formulations du rôle macro-discursif de la successivité

Deux types de moyens d’expression sont utilisés pour exprimer la successivité : ce sont les paraphrases lorsqu’elle se manifeste de façon explicite, et ce sont les connecteurs et autres marqueurs assimilés lorsqu’elle se manifeste de façon implicite. Lee l’exprime par les paraphrases, et Kang, avec les deux types de moyens.

 

Rôle macro-discursif de la successivité : passé composé

 

Premier entretien

 

Second entretien

Lee

- paraphrase : action succédant

Lee

- paraphrase :

coupe le temps en séquences ;

continue successivement en étapes;

les choses s’enchaînent ;

action qui a lieu après ;

scènes qui se succèdent ;

 

 

Kang

- connecteurs : ensuite, et puis

- autre marqueur : point

- paraphrase : actions se produisent dans l’ordre

[Tableau 23 : Formulations du rôle macro-discursif de la successivité]

6.1.4. Opérationnalité

Les contextes de verbalisation de la notion de successivité observée chez Kang et Lee sont divers. Kang en parle à la suite d’une question de l’enquêtrice non orientée spécifiquement et Lee y fait référence dans des contextes plus variés : a) à la suite d’une question explicite sur l’ordre des procès (lors du premier entretien) ; b) à la suite d’une question sur l’emploi du passé composé pour deux procès, combinaison de temps non choisie par elle, et c) plus souvent, spontanément, aussi bien avant l’exercice qu’au cours de l’exercice. L’accès à la notion semble plus rapide chez Lee que chez Kang par la spontanéité et la fréquence de la verbalisation.

Les paraphrases sont tout à fait précises. Mais l’opérationnalité de cette notion n’est pas pour autant acquise au second entretien. Si dans la plupart des cas, une suite de procès mis au passé composé est comprise comme une succession, le choix du passé composé attendu dans le contexte de successivité n’est pas toujours le premier choix du fait d’une interprétation non prototypique de la situation. Inversement, une suite de procès fléchi autrement qu’avec le passé composé est interprétée comme une succession supposée par les connaissances du monde : c’est la systématicité de la notion qui n’est pas encore acquise.

6.2. Constitution de la trame

On peut voir une série de procès au passé composé comme se réalisant simplement successivement, mais on peut aussi les considérer comme constituant une trame de récit dans une perspective plus narrative.

6.2.1. Les verbalisations en entretien

Lee et Kim mentionnent cette caractéristique. Dans l’extrait 73 ci-dessus, en parlant des emplois du passé composé, Lee fait référence à cette fonction : « Et le passé composé s’utilise pour les... actions des acteurs (E : hm) qui font évoluer les événements (...) Il peut entrain/ entraîner l’action suivante ? C’est-à-dire après ça, on attend (E : hm...) la suite/ hm ++ hm ++ ». Le fait que le passé composé constitue la trame en faisant évoluer les événements se manifeste, selon Lee, par le fait qu’un procès au passé composé en entraîne un autre et que le locuteur attend la suite. On observe la saisie de cette fonction narrative durant l’exercice également :

 

(Extrait 79) 2-3 Alors, je l’ai accompagné à la gare (Lee II, cor.)

L : Alors je l’ai accompagné à la gare. (E : hm) Donc dans la situation, il y avait une cause + hm... euh... ensuite on fait avancer la situation (E : hm) hm... je l’ai accompagné à la gare. (E : hm) Comme il y a la suite, je pense qu’on peut dire simplement je l’ai accompagné

 

On retrouve la mention de la fonction macro-discursive du procès au passé composé (contribution à l’évolution du récit). Cette fonction est en même temps analysée par Lee comme jouant un rôle de constitution de corps de récit. Ainsi, l’existence de la suite contribue aussi à confirmer le choix du passé composé.

 

(Extrait 80) 2-5 Il y avait énormément de monde dans le train et il n’a pas pu trouver de place assise (Lee II, cor.)

L : Donc s’y a par la suite des actions, on pourrait dire il n’a pas pu (...). Si, dans la suite de l’histoire, on dit qu’il n’a pas pu trouver de place (E : hm) et il est descendu, (E : hm) ++ dans ce cas, (E : hm) + il n’a pas pu serait correct. (E : hm) ++

 

Lee admet une double possibilité pour le verbe ne pas pouvoir trouver, et pense que l’acceptabilité du passé composé est conditionnée par l’existence de la suite des actions constituant la trame, dont elle propose un exemple. Quant à Kim, lors du premier entretien, elle fait référence à cette notion macro-discursive du passé composé et verbalise en plus l’origine de cette notion :

 

(Extrait 81) Dimanche dernier, j’ai rencontré Paul qui partait pour Chamonix. (...) 2-3 Alors, je l’ai accompagné à la gare (...) 2-5 et il n’a pas pu trouver de place assise. (Kim I, fr.)

1  E : J’ai rencontré Paul qui est parti hm-hm ++

2  K : Ah mais le prof nous /s/ nous a dit (E : hm) l’action successive

3  E : Hm <c’est... passé <composé ?

4  K : <C’est passé composé (E : hm)

5  E : L’action successive c’est-à-dire quelle.. action ?

6  K : L’action de verbe (E : oui) euh... +

7  E : C’est-à-dire ici quelles sont les actions successives ?

8  K : Hm... pourquoi j’ai... écrit (rire) ça ici [K regarde sur la feuille sa note prise lors de la correction dans sa classe] hm...

9  E : Sinon pour les autres il euh il avait beaucoup de bagages (K : hm) hm-hm ++ sur ses skis ah ses skis sur l’épaule + alors là alors je l’ai accompagné ++ là donc +++ c’était facile aussi tu n’as pas /se/.. <t’a pas posé de.. (K : <je l’ai accompagné) problème je l’ai accompagné ++++ (K : (rire)) tu as écrit comme ça hein ? ++

10 K : Oui j’ai écrit (E : hm tu <n’as pas corrigé) <sans sans hésitation

11 E : Sans hésiter hm (K : hm-hm) je l’ai accompagné à la gare ++ il y avait énormément ++ donc on voit que quand il y a l’expression il y a c’est souvent au.. ++ à l’imparfait

12 K : Imparfait oui <oui

13 E : <Hm ++ (K : oui) ouais +++ (K : (rire)) dans le train et il n’a pas pu + trouver de place assise hm-hm +++ donc là aussi le passé composé ? (K : hm) hm +++++

14 K : Oui l’action successive c’est.. peut-être ai accompagné et n’a pas pu (E : hm-hm) je l’ai accompagné à la gare/ (E : hm-<hm) <à la gare et après + et... j’ai vu (E : hm-hm) qu’il n’a pas + pu trouver de la/ + place assise

15 E : Hm-hm ça c’est <c’est ça les.. les actions... ?

16 K : <Oui oui + <je crois

17 E : <Donc il y avait du monde et il y avait beaucoup de baga/ ah il avait beaucoup de bagages <donc ça c’est pas de l’action ?

18 K : <C’est pas /za/ ++ l’action c’est pas.. (E : c’est la hm) + c’est... l’état (E : hm-hm) oui ++

19 E : Donc quand on décrit un état c’est l’imparfait (K : imparfait oui) quand on décrit une action (K : oui) c’est le.. passé composé ? on pourrait dire ça ?

20 K : + Oui on peut dire

21 E : Mais partait + c’est une action (K : oui /s/ /) + et qui a.. imparfait

22 K : Hm.. ++++ eh... + on doit on doit (E : hm) +++ on doit.. voir/ on doit voir le sens (E : hm) dans le paragra/ + dans.. + dans <.. (E : <dans l’ensemble ?) dans l’ensemble oui (rire) ++ et qu/ ça et + ai accompagné et <n’a pas pu (E : <accompagné n’a pas pu) c’est un peu successif (E : hm-hm) mais partait + je crois/ je crois pas.. que non +

23 E : C’est pas une action... ?

24 K : C’est l’action mais.. (E : hm) pas l’action successif (E : hm hm) simplement + l’action ++

25 E : Action successive c’est-à-dire il y a une suite ?

26 K : Oui (E : hm) il y a une suite

27 E : ++++ <Mais ça... parce que (K : <ah...) il part et après il va à la gare et après le... (K : hm + ah oui) c’est aussi un départ dans cette histoire c’est le.. départ de l’histoire (K : hm..) +++++++++++

28 K : Mais quant à moi (E : hm) hm... on remar/ on.. il vaut mieux de remarquer (E : hm) ++ plus ++ ce ce... <syntagme (E : <ah.. ça ) oui syntagme

29 E : J’ai rencontré ça ?

30 K : Oui pas ça (E : hm) pas ça que + plus + ça (rire) que + ça

31 E : Donc le verbe.. principal <c’est ça ?

32 K : <Oui oui oui <principal (E : <hm...) je crois

33 E : ++ J’ai rencontré + je l’ai accompagné (K : hm) et il n’a pas pu c’est ça hein ? (K : oui) +++ O.K. <on verra ça (K : <O.K.) euh si c’est à peu près pareil dans les autres phrases (K : hm-hm) hm

 

Dès le début des commentaires sur ses choix pour ce récit après la lecture à haute voix, Kim remarque sa note, « action successive », qu’elle avait prise lors de la correction de l’exercice à trou en classe (2). Nous rappelons que c’est dans la classe de remise à niveau du français que fréquentait Kim que cet exercice a été proposé par l’enseignant. Elle a donc la trace de ses choix lors du passage du test et des corrections du professeur. Kim ne se souvient pas très bien dans quel sens et pour quel verbe elle avait pris cette note (8). L’enquêtrice continue la lecture jusqu’au bout en employant les temps verbaux choisis par Kim (9-13). Après un moment de réflexion, Kim avance son hypothèse sur ce que sont les « actions successives » : pour elles, elles désignent accompagner et ne pas pouvoir trouver (14). Ce sont certes des actions qui ont lieu l’une après l’autre, mais elles ne se suivent pas immédiatement. On constate donc ici que Kim ne fait pas référence à une simple successivité immédiate d’actions, mais assigne à l’étiquette d’actions successives la fonction macro-discursive, notamment, celle de constitution de la trame. L’enquêtrice introduit la notion d’action (15) pour les qualifier, ce que Kim approuve (16) et elle les oppose à un autre procès avoir beaucoup de bagages, que Kim qualifie comme « état » (18).

L’enquêtrice arrive à une ébauche de règle en mettant en rapport le passé composé et l’imparfait avec les notions d’action et d’état (19), règle approuvée par Kim (20). L’enquêtrice propose d’examiner ensuite en 21 le procès partir qui montre une contradiction par rapport à la règle formulée en 19-20. En guise de réponse, Kim recentre la discussion autour de la notion d’actions successives : leur identification nécessite une vision globale du récit et dans cette perspective, le procès partir n’en fait pas partie, contrairement à accompagner et ne pas pouvoir (22) avec qui il partage pourtant la même caractéristique, action. Car partir n’est qu’une « simple action » (24). La nécessité d’une suite pour les actions successives, approuvée par Kim, (25-26) est utilisée par l’enquêtrice pour considérer le procès partir comme début d’une histoire ayant une suite d’événements et pour l’intégrer ainsi dans les « actions successives » (27). C’est là que Kim parle de la pertinence plus grande du procès rencontrer que de celle du procès partir (28-30). En sélectionnant rencontrer, Kim constitue l’ensemble de la trame du récit (j’ai rencontré Paul-je l’ai accompagné à la gare-il n’a pas pu trouver de place assise). Ceci confirme que sous l’étiquette proposée par son professeur « actions successives », Kim attribue correctement la valeur macro-discursive de constitution de la trame du récit.

6.2.2. Les formulations du rôle macro-discursif de constitution de la trame

Les moyens d’expressions utilisés par Kim et Lee pour faire référence au rôle de constitution de la trame joué par le passé composé sont essentiellement des paraphrases, souvent formulées autour du noyau nominal action, accompagné de divers qualificatifs marquant l’existence d’une suite.

 

Rôle macro-discursif de la constitution de la trame et passé composé

 

Premier entretien

 

Second entretien

Kim

- expressions nominales : action successives

- paraphrase : un peu successif

Lee

- paraphrase :

entraîne l’action suivante ;

on attend la suite ;

fait avancer la situation ;

s’il y a des actions par la suite

[Tableau 24 : Formulations du rôle macro-discursif de constitution de la trame]

6.2.3. Opérationnalité

Les deux informatrices verbalisent la fonction de constitution de la trame du passé composé de façon spontanée au cours de leurs commentaires. Les verbalisations de Lee sont plus précises (« on fait avancer la situation »). Outre Lee qui manifeste une grande sensibilité et maîtrise discursive, Kim qui ne mentionnait pas cette notion spontanément repère également bien les procès constituant la trame au moment de l’entretien, à l’aide de l’expression qu’elle avait notée au cours de français. La maîtrise de la fonction macro-discursive et narrative dans leur langue maternelle est sans doute à la base de la saisie de cette fonction. Mais cette compétence semble renforcée par l’input métalinguistique : outre le cas évident de Kim, la métaphore des « acteurs qui font évoluer les événements » employée par Lee semble aussi provenir de sa classe de français.

6.3. Constitution de l’arrière-plan général

Le rôle macro-discursif du procès à l’imparfait se distingue de la fonction discursive locale par son caractère général et son indépendance envers un contexte particulier.

6.3.1. Les verbalisations en entretien

Seule Lee verbalise cette fonction de l’imparfait. Comme le montre son commentaire avant l’exercice, le rôle macro-discursif de l’imparfait s’oppose au rôle du passé composé qui consiste à faire avancer l’histoire : « Donc dans un laps de temps donné, l’imparfait est un temps qui le fait durer et le maintient ».

La fonction générale d’arrière-plan de l’imparfait dans le récit est également verbalisée au cours de l’exercice :

 

(Extrait 82) 4-5 Quand ils sont arrivés à Rennes, il pleuvait et il pleuvait pendant tout leur voyage (Lee II, cor.)

1 E : Le dernier, il a plu pendant tout leur voyage ne serait pas bon ?

2 L : Hm + c’est peut-être possible (rire) +

3 E : Pourquoi c’est possible ?

4 L : Hm… +++ la… cette durée ++ l’adverbe qui indique le temps (E : hm), on peut mettre l’imparfait ou le passé composé selon ce qu’on pense de l’adverbe. (E : Hm… pendant) Oui. Hm + Hm + Si on considère le « pendant quelque chose » comme une durée courte (E : hm), par rapport à un autre événement qu’on raconte, la… (E : hm) durée courte, si elle est concrète, (E : hm) on peut dire il a plu, ou si cette durée est liée à l’autre (E : hm) hm… ++ hm alors l’imparfait est peut-être possible. Si on considère la durée comme longue, et si on continue l’histoire, par exemple, on continue le récit de voyage (E : hm), dans ce cas, on pourrait employer l’imparfait.

5 E : hm ah tout à l’heure, tu avais dit que quand l’histoire continue, on emploie souvent le passé composé

6 L : C’est-à-dire, euh… + si la suite continue, on utiliserait beaucoup l’impar/ le passé composé. Dans ce cas, pour former l’arrière-plan de tous ces événements, je pense qu’on mettrait… l’imparfait. Tu comprends ce que je dis, non ?

7 E : Hm. Les actions <qui viennent après

8 L : <Hm. Pour les englober

9 E : Pour qu’il y ait un arrière/ <arrière-plan hm… ?

10 L : <Hm… je pense qu’on mettrait <l’imparfait

11 E : <Dans ce sens là, même si on emploie l’imparfait, on peut continuer l’histoire ? (L : hm).

 

Pour le verbe pleuvoir le premier choix de Lee est l’imparfait et l’enquêtrice l’interroge sur l’acceptabilité du passé composé (1). L’emploi de celui-ci lui semble possible (2) et elle explique la différence entre les deux emplois d’abord en terme de durée relative véhiculée par pendant et interprétée (4). Ensuite, un facteur macro-discursif, l’existence de la suite, appellerait aussi l’imparfait, ce qui ne peut pas s’appliquer à cet exemple, car le récit finit ici. L’enquêtrice demande clarification car elle avait compris que l’existence de la suite appelait le passé composé (5). Dans sa justification, Lee fait référence au rôle macro-discursif de l’imparfait : dans la suite imaginaire, les deux temps sont employés, et par rapport au passé composé, l’imparfait est aussi nécessaire pour former l’arrière-plan (6).

La saisie de cette fonction de l’imparfait s’observe également dans l’explication de son inacceptabilité en faveur du passé composé :

 

(Extrait 80) 6-7 Quand il est arrivé au carrefour, il n’a pas pu ralentir et est tombé juste au moment où une voiture est arrivée (Lee II, cor.)

1 E : Ensuite sur l’avenue d’Italie juste au moment où juste une voiture <est arrivée

2 L : <est arrivée hm.

3 E : Là qu’est-ce qui se passe ?

4 L : Hm… vu dans la phrase, c’est simplement le temps du passé composé. (E : hm) Ensuite juste au moment où, ça aussi… semble bien aller avec le passé composé.

5 E : Hm l’imparfait n’irait pas bien

6 L : Oui. De plus en plus comment + d’abord on raconte l’arrière-plan, et on développe ensuite l’histoire, mais je pense pas qu’on ferait retomber le récit en utilisant l’imparfait.

 

Le choix de Lee pour arriver est le passé composé et l’enquêtrice l’interroge sur l’acceptabilité de l’imparfait (5). L’argument de Lee, sceptique sur son emploi, désigne directement sa fonction macro-discursive qui consiste à faire « retomber le récit », alors que pour elle, le procès arriver fait partie de la trame du récit, appelant ainsi le passé composé. On constate que la saisie macro-discursive est plus rapide que celle de l’aspect imperfectif qui convient mieux ici, et que ces deux notions ne sont donc pas entièrement opérationnelles.

6.3.2. Les formulations du rôle macro-discursif de la constitution de l’arrière-plan

Lee, la seule informatrice qui fasse référence à la fonction macro-discursive de l’imparfait, emploie le terme spécialisé arrière-plan et aussi des paraphrases lors du second entretien.

Rôle macro-discursif de la constitution de l’arrière-plan et imparfait

 

Premier entretien

 

Second entretien

 

 

Lee

- paraphrase :

temps qui fait durer le temps et le maintient ;

emploie l’imparfait pour former l’arrière-plan ;

fait retomber le récit

[Tableau 25 : Formulations du rôle macro-discursif de la constitution de l’arrière-plan]

6.3.3. Opérationnalité

La verbalisation de Lee a lieu spontanément ou apparaît à la suite de la demande d’acceptabilité du temps non choisi (passé composé en l’occurrence), qui la conduit à réexpliquer les conditions d’emploi de l’imparfait. Les verbalisations sont précises mais la lecture macro-discursive de l’arrière-plan ne se fait pas toujours à bon escient.

6.4. Structure de récit

La structure de récit est constituée à nos yeux par les trois moments du récit : l’ouverture, le corps (développement de la trame) et la clôture.

6.4.1. Les verbalisations en entretien

Pour nos apprenantes, le passé composé et l’imparfait semblent jouer un rôle macro-discursif d’ouverture, de constitution du corps de récit, et de fermeture. Leur attention sur la structuration du récit se manifeste dans les verbalisations de la nécessité de la présence et de l’absence de suite d’un procès pour l’assignation d’un temps verbal.

6.4.1.1. Ouverture de récit

Ce rôle d’ouverture, verbalisé par Kang seulement, est attribué au passé composé :

 

(Extrait 81) 6-1 Hier il s’est produit un accident au carrefour de (...) (Kang I, fr.)

1 K :  <Par rapport/ par rapport... <imparfait (E : <ah..) par rapport par rapport cette cette phrase (E : oui) mais + on sait bien que... s/ dans ces phrases là (E : oui) on utilise que le.. + le... passé composé (E : que le passé composé) l’imparfait c’est c’est vraiment rare

2 E : (...) Alors un enfant d’une dizaine d’années FAISAIT du skateboard sur le trottoir de la rue Caillaux alors là tu as mis à l’imparfait <c’est-à-dire (K : <oui XXX) c’est comme si tu tu étais là c’est ça ?

3 K : Non c’est... c’est... ++ qui/ c’est un narrateur qui <parle (E : <oui oui) oui donc il voudrait + /dekriv/ <pour (E : <hm) /dekriv/ (E : hm-hm) cette situation (E : hm-hm) voilà

4 E : + Donc quand on veut décrire quelque chose c’est toujours l’imparfait ? un enfant d’une dizaine mais tout ça là un accident s’est produit parce que le narrateur veut décrire un accident donc il commence l’histoire +++ donc/ mais... on a pas mis l’im l’imparfait donc à quel moment ++ à quel moment on utilise le + l’imparfait pour décrire ?

5 K : Voilà euh... + le/ la première phrase c’est... c’est... + c’est la tête de... de cette /hi/ his<toire (E : <de l’histoire oui) de cette histoire (E : oui) donc

6 E : Donc tu dis que c’est pas une description ?

7 K : Hm [=non]

8 E : Pour toi ? hm

9 K : ++ Il faut commencer (E : hm) comme ça <et après (E : <oui) euh... la description

 

Le choix du passé composé pour se produire semble naturel et évidente à Kang (1) sans plus de précision. C’est plus loin, lorsqu’on en arrive au verbe faire du skateboard que Kang fait référence au rôle d’ouverture de récit. Dans l’explication du choix de l’imparfait pour ce verbe, Kang parle du rôle de l’imparfait pour la description (3). L’enquêtrice demande les contextes et contraintes de l’emploi de l’imparfait pour la description, en attirant son attention sur le fait que le verbe se produire (4) qui peut être vu comme une description de l’accident est mis au passé composé. C’est là que Kang, dans sa réponse, se limite à reprendre le verbe et parle du rôle du passé composé pour l’ouverture de récit (5), en laissant entendre que la « tête de l’histoire » ne relève pas de description, d’où l’emploi du passé composé.

6.4.1.2. Corps de récit

La constitution du corps de récit concerne en fait les fonctions macro-discursives du passé composé (successivité, trame) et de l’imparfait (arrière-plan général). Nous avons considéré comme se référant au corps de récit lorsque les apprenantes parlent de la nécessité de la suite de récit pour l’emploi d’un temps. On peut observer chez les trois apprenantes le choix d’un temps par la prise en compte du reste de récit. Elles font toutes référence à cette caractéristique pour le choix de l’imparfait. Pour pleuvoir dans 4-4 quand ils sont arrivés à Rennes, il pleuvait, Kim (II) juge l’acceptabilité des temps verbaux selon la présence ou l’absence de la phrase suivante : « Donc s’il n’y avait pas la phrase suivante [et il a plu pendant tout leur voyage], les deux sont possibles et s’il y avait la phrase suivante, c’est… l’imparfait ».

Quant à Lee, elle développe davantage la suite de récit dont l’existence appelle l’imparfait :

 

(Extrait 82) 5-3 Il restait huit mois à l’hôpital (Lee II, cor.)

1 E : Mais tout à l’heure, quand tu as choisi il est resté, c’est que on utilise le passé composé parce qu’il est sorti de l’hôpital. (L : hm) Mais même si on sait qu’il est sorti de l’hôpital, on ne pourrait pas utiliser l’imparfait ? <il restait ?

2 L : <Hm. Dans ce cas, on insiste sur la durée huit mois (E : <on a mis l’accent) <Hm Si on met l’accent ou si on s’en préoccupe. (E : hm) +

3 E : On pourrait dire <comme ça ?

4 L : <Hm on pourrait utiliser l’imparfait. Mais, en parlant, peut-être je fais trop attention à la suite mais (rire) (E : hm) ah je l’ai pas reconnu. Mais si on continue l’histoire, du type « il paraît qu’à hôpital », (E : hm) comme ça, restait, hm… peut être convainquant. (E : hm) ++

5 E : Si l’histoire continuait ?

6 L : Hm. A l’hôpital, il paraît que c’était comme ci ou comme ça

7 E : Ah donc, si on ajoutait une histoire quand il était encore à l’hôpital, avant la sortie

8 L : C’est-à-dire, si on ajoute une histoire de son séjour à l’hôpital, (E : hm) pendant que l’histoire après quand continue, brusquement on recule. C’est-à-dire, il est resté huit mois à l’hôpital, (E : hm) mais il paraît que la nourriture était vraiment nulle (E : hm), comme ça. (E : hm) Quand on raconte une histoire, on n’est pas toujours cohérent. (E : hm) On peut mettre autre chose au milieu, à l’oral. (E : hm) Ici, l’histoire finit là, mais si elle continuait (E : hm), il est/ il restait huit mois ça serait plus correct. (E : hm)

 

L’enquêtrice interroge Lee sur l’acceptabilité de l’imparfait, forme non choisie par elle (1) et il semble possible du point de vue de la durée ou du point de vue macro-discursif (« si l’on continue l’histoire ») (4). En faisant référence au rôle macro-discursif, Lee se montre consciente de son « souci discursif » (« peut-être je fais trop attention à la suite »). Plus loin (8), Lee propose une suite possible (« il est resté huit mois à l’hôpital mais il paraît que la nourriture était vraiment nulle ») et on note que la suite possible subit néanmoins une contrainte thématique : elle concerne l’hospitalisation. Plus loin, Lee juge même qu’avec la suite, l’imparfait serait plus correct (8). Le fait de considérer l’imparfait comme temps convenable lorsqu’il y a la suite montre que ce temps est analysé comme constitutif du corps de récit.

Kang montre à un moment donné la même attention macro-discursive à l’imparfait comme on l’a vu dans l’extrait 50 pour le verbe rester dans 5-3 il restait huit mois à l’hôpital (Kang II, cor.). Sur sollicitation de considération de l’imparfait, forme non choisie, elle pense qu’il faut ajouter une suite, avant de revenir sur son premier choix comme seule possibilité : « Si on veut dire restait, il faudrait peut-être un peu plus de description de la situation, ou il restait ++ il restait + (...) <Par exemple, il restait en pleurant pendant + il restait en (bas) hm… en désespérant. de/ de tout désespoir ».

Ce rôle de l’imparfait est ainsi similaire à celui du passé composé qui, en tant que constituant de la trame, contribue également à construire le corps du récit : dans ce rôle macro-discursif, les deux temps verbaux font « attendre la suite ».

Nous avons vu plus haut que Lee parlait en même temps du rôle de constitution de la trame et de celui de constitution du corps du récit. Le verbe 2-5 ne pas pouvoir trouver de place assise lors du second entretien fait l’objet de cette double analyse spontanée : « Donc s’il y a des actions par la suite, on pourrait dire il n’a pas pu, et euh... si l’histoire finit ici <comme ça, (E : <l’histoire finit hm) euh... on pourrait dire il ne pouvait pas » (Lee II, cor.).

6.4.1.3. Clôture du récit

Les deux temps verbaux sont également considérés comme jouant un rôle dans la clôture du récit, notamment par Kim et Lee. Kim y fait référence lors du second entretien pour le verbe pleuvoir dans 4-4 Quand ils sont arrivés à Rennes, il pleuvait. Son premier choix étant l’imparfait, l’enquêtrice interroge sur l’acceptabilité du passé composé. Kim le considère comme non acceptable mais donne néanmoins son interprétation de l’emploi du passé composé dans la phrase. Ce faisant, elle se rend compte que les deux temps sont possibles et intègre ce changement dans sa dernière réponse : « C’est-à-dire que les deux sont possibles. (bas) ++ Bon je vais changer d’avis. Donc s’il n’y avait pas la phrase suivante [et il a plu pendant tout leur voyage], les deux sont possibles et s’il y avait la phrase suivante, c’est… l’imparfait ». Kim accepte les deux formes verbales lorsque l’énoncé qui les contient se trouve en fin de récit, en leur conférant ainsi le rôle de clôture.

Quant à Lee, elle fait référence à ce rôle lors des deux entretiens, mais à propos des temps verbaux différents. Pour le verbe ne pas pouvoir ralentir dans 6-5 quand il est arrivé au carrefour, il n’a pas pu ralentir et est tombé (...), Lee (I) choisit le passé composé, lors de la lecture à haute voix. Mais dans la séquence d’examen de chaque verbe, à la question de l’enquêtrice portant sur son choix, Lee examine d’elle-même l’emploi de l’imparfait et opte pour celui-ci. Et le passé composé conviendrait mieux si la phrase était la dernière du récit : « non s’il n’y avait pas de phrase suite (E : hm-hm) hm... hm... je pourrait plutôt mettre <il n’a pas (E : <il n’a pas pu) + pu ».

Lors du second entretien, ce rôle de clôture de récit est attribué à l’imparfait, comme on peut le voir dans la double possibilité exposée par Lee pour le verbe 2-5 ne pas pouvoir trouver de place assise : « Donc s’y a par la suite des actions, on pourrait dire il n’a pas pu, et euh... si l’histoire finit ici <comme ça, (E : <l’histoire finit hm) euh... on pourrait dire il ne pouvait pas ».

 

(Extrait 83) 5-6 Quand il en est sorti, il était très faible et très maigre : on ne le reconnaissait pas (Lee II, cor.)

1 L : Ensuite, après l’hôpital, on parle de Paul tout en connaissant sa situation. (E : hm) Hm… même si on ne l’a pas reconnu, ça dure juste une seconde. On le reconnaît maintenant. (E : hm) Donc on ne l’a pas + reconnu. (E : hm) ++

2 E : C’est-à-dire que là, on ne peut pas employer l’imparfait ? <qu’est-ce qui se passe si on dit on ne le reconnaissait pas ?

3 L : Hm… Je pense que reconnaissait pas est bon aussi. (E : hm) Euh… si on dit on ne l’a pas reconnu, je pense qu’il y a un autre épisode après. (E : hm) Hm… ensuite, si on dit on ne reconnaissait pas, hm… +++++ C’est quoi ? Ça veut dire qu’on ne l’a pas reconnu sur le moment, mais aussi on veut mettre l’accent sur le fait qu’il a beaucoup changé, et qu’il y a eu une période de temps pendant laquelle on était pas habitué à ce changement. (E : hm…) Dans ce cas, on ne reconnaissait pas. (E : hm) XX Quand on clôt l’histoire à ce niveau là, je pense qu’on <peut mettre l’imparfait (E : <l’imparfait)

 

Le choix de Lee pour ce verbe est le passé composé et l’enquêtrice interroge sur l’acceptabilité de l’imparfait (2). Elle le trouve acceptable et compare d’elle-même les deux temps et l’attention macro-discursive sur le procès fait partie de ses analyses (3). Le passé composé convient lorsque l’histoire ou la trame continue, ce qui n’est pas le cas ici, et l’imparfait sert entre autre à clôturer le récit (accent sur le changement physique de la personne, durée du changement).

6.4.2. Les formulations du rôle macro-discursif de structuration du récit

Les moyens d’expressions des rôles macro-discursifs véhiculés par les deux temps sont exprimés de deux façons : par la modalité déontique et par le conditionnel. Le premier moyen est utilisé par Kang et le second, par Lee et Kim.

 

Rôle macro-discursif de structuration de récit et passé composé et imparfait

 

Premier entretien

 

Second entretien

Kang

[ouverture du récit : passé composé]

la tête de l’histoire, il faut commencer comme ça

Lee

[corps du récit : imparfait, passé composé]

(imparfait) si l’histoire continue

(passé composé) s’y a par la suite des actions

[clôture du récit : imparfait]

si l’histoire finit ici ;

si on clôt l’histoire à ce niveau là

Lee

[clôture du récit : passé composé]

s’il n’y avait pas de phrase suite

 

Kim

[corps du récit : imparfait]

s’il y avait la phrase suivante

[clôture du récit : passé composé et imparfait]

s’il n’y avait pas la phrase suivante

 

 

Kang

[corps du récit : imparfait]

faut plus de description de la situation

[Tableau 26 : Formulations du rôle macro-discursif de structuration de récit]

6.4.3. Opérationnalité

Les verbalisations ont lieu spontanément (Lee) ou sur une question de l’enquêtrice non orientée sur ces rôles macro-discursifs proprement dits (Kang), ou plus souvent encore, sur la question d’acceptabilité du temps alternatif, non choisi par les apprenantes (Lee, Kim). Ce dernier contexte explique partiellement l’usage de la formulation conditionnelle, laquelle est également employée dans des réponses spontanées, notamment dans l’opposition des emplois du passé composé et de l’imparfait.

La constitution du corps du récit est fortement liée aux rôles macro-discursifs des deux temps dans la construction de la trame et de l’arrière-plan général. A la différence des rôles discursifs locaux (avant-plan, arrière-plan) qui semblent être appris dans la classe de français, les rôles macro-discursifs d’ouverture et de fermeture du récit semblent des connaissances acquises ou induites par les apprenantes au contact de l’input.

7. Ordre entre le moment repère et le moment de la situation

Cette caractéristique aspecto-temporelle consiste à voir un intervalle occupé par un procès par rapport au repère avec lequel il n’a pas de contact, du point de vue de l’ordre sur l’axe du temps. Trois configurations sont possibles : a) le moment de la situation est antérieur au moment repère ; b) les deux moments sont contemporains l’un à l’autre ; c) et le moment de la situation est postérieur au moment repère.

7.1. Contemporanéité

La saisie d’un procès comme contemporain à un autre recoupe celle de chevauchement (partiel et total) de deux procès et on peut d’ailleurs constater cette double analyse dans les commentaires de nos apprenantes.

7.1.1. Les verbalisations en entretien

Nous observons chez toutes nos apprenantes la saisie et la verbalisation de la contemporanéité entre procès. Trois types de composition des temps verbaux sont observés pour la contemporanéité : a) passé composé et passé composé, b) passé composé et imparfait et c) imparfait et imparfait.

7.1.1.1. Contemporanéité entre deux procès au passé composé

La contemporanéité entre deux procès au passé composé est détectée par Kang et Kim, notamment, lors du second entretien.

 

(Extrait 84) 1-1, 2 J’ai dormi quand mon fils m’a téléphoné d’Australie hier soir (Kang II, cor.)

1 E : Hm. Et puis le précédent XX par exemple j’ai dormi quand mon fils m’a téléphoné, on ne peut pas dire ça ? + J’ai dormi quand mon fils m’a téléphoné.

2 E : (...) Donc si les deux sont au passé composé, est-ce que c’est bon ?

3 K : J’ai dormi quand mon fils m’a + c’est… un peu bizarre (E : hm) parce que là ça veut dire que les actions ont eu lieu simultanément, (E : hm) j’ai dormi quand mon fils m’a téléphoné, ça + c’est très bizarre parce que je suis en train de dormir et en même temps je dois être conscient que mon… fils m’a téléphoné.

4 E : Hm… donc ça marche pas ?

5 K : C’est un peu <bizarre.

6 E : <C’est pas logique ? Alors je dormais quand mon fils m’a téléphoné, ça aussi <simultanément

7 K : <Ça , il est conscient que son fils a téléphoné (E : hm), soit qu’il s’est réveillé (E : hm) soit qu’il a répondu au téléphone (E : hm) XXX (E : hm) il a eu une réaction par rapport à ça.

8 E : Hm. O.K.

 

L’enquêtrice interroge Kang sur l’acceptabilité du passé composé pour dormir (1-2). Sans donner une réponse catégorique, Kang verbalise (3) ce qu’elle comprend lorsque le passé composé est employé pour les deux procès : elle perçoit la simultanéité entre dormir et téléphoner, due à la conjonction quand marquant la même relation temporelle, mais cette simultanéité lui semble contradictoire. On notera que la contradiction provient de son interprétation du procès téléphoner comme acte perçu et reconnu du père, ce qui demande un état d’éveil, alors que, selon elle, dormir au passé composé ne le permet pas, contrairement à dormir à l’imparfait.

Kang continue la même analyse pour deux procès au passé composé reliés par la conjonction quand :

 

(Extrait 28) 4-4 Quand ils sont arrivés à Rennes, il a plu (Kang II, cor.)

1 E : Celui d’avant, on ne peut pas dire quand ils sont arrivés il a plu ? (rire) + Est-il possible ou non d’avoir deux passés composés en même temps ?

2 K : Ah c’est possible. (E : hm) C’est possible. (E : hm) Mais dire quand ils sont arrivés, c’est un peu/ ça me semble difficile parce que (E : hm) ils sont descendus du train, juste à ce moment là (E : Hm. Il a plu comme ça ?) juste à ce moment de descente (E : hm) comment dire, le bon Dieu a mis des nuages noirs juste à cet endroit là (E : hm) il a plu tout d’un coup. (rire) Ce\

3 E : <Hm il a plu une seconde et ça a cessé ?

4 K : Je pense que ce serait comme ça. (E : hm…)

 

Dans l’extrait 28 déjà vu, l’enquêtrice questionne sur l’acceptabilité du temps alternatif pour pleuvoir. Kang saisit la simultanéité entre pleuvoir et arriver à Rennes, au lieu d’une successivité, plus plausible. Cette relation rend l’emploi du passé composé « possible mais difficile », parce que, pour elle, il s’agit d’une coïncidence rare. Mais cette simultanéité est d’autant plus difficile à concevoir pour elle que le procès pleuvoir est interprété comme très limité dans l’espace (juste à cet endroit là), et que le procès arriver à Rennes est aussi interprété dans un sens extrêmement restreint à la descente du train.

Kim fait aussi la même analyse de simultanéité pour deux procès au passé composé reliés par un autre moyen de conjonction, au moment où :

 

(Extrait 85) 6-6, 7 Quand il est arrivé au carrefour, il n’a pas pu ralentir et est tombé juste au moment où une voiture est arrivée (Kim II, cor.)

K : Mais au moment où (E : hm) une voiture est arrivée (E : hm), à cette seconde là (E : hm) donc ça me semble presque ++ hm… ++ simultané. Donc au moment où une voiture est arrivée, + oui au même moment euh (E : hm) + la voiture arrive et l’enfant arrive aussi au carrefour. (E : hm) + C’est pour ça que j’ai mis aussi le passé composé ici. Il n’était pas en train d’arriver pour venir ici hm… ++++ Ah attends comment ça se passe ? Il arrive au carrefour et est tombé faute de pouvoir ralentir, à ce moment là, ah/ donc au moment de son arrivée + il est tombé. La voiture passe et ++++ Ah là je voudrais changer encore. (E : hm) Pour une voiture arrivait. (E : hm) Oui.

 

Le premier choix de Kim pour arriver est le passé composé et elle interprète comme simultané les procès tomber et arriver. La simultanéité semble concerner notamment les moments de clôture des procès qui ont lieu au même moment, comme le montre la négation du procès arriver en déroulement : c’est la simultanéité de l’arrêt des deux procès qui est saisie par Kim. Mais Kim reconsidère la scène et change pour l’imparfait avec la valeur imperfectif.

7.1.1.2. Contemporanéité entre les procès au passé composé et à l’imparfait

La simultanéité entre deux procès, l’un au passé composé et l’autre, à l’imparfait, provient du fait de l’existence de la portion chevauchée des deux procès. La saisie de cette notion est donc directement liée à la détection du chevauchement partiel d’inclusion. La contemporanéité de cette configuration est plus souvent saisie par Kang. Outre les procès ouvrir la porte et sourire (3-1, 2 quand il a ouvert la porte, elle lui souriait...) comme nous l’avons vu dans l’extrait 30, pour lesquels elle détecte la simultanéité (« en même temps, vraiment en même temps ») à la suite d’une demande explicite de l’enquêtrice de considérer les débuts des procès, Kang réitère la même analyse pour les procès tomber et arriver :

 

(Extrait 86) 6-6, 7 Quand il est arrivé au carrefour, il n’a pas pu ralentir et est tombé juste au moment où une voiture arrivait (Kang I, fr.)

1 E : Hm donc est tombé DONC pour toi on peut dire il tombait si on veut donner euh + la scène... ++ donc en fait tout dépend de ce/ de l’intention du narrateur ? ++ pour le choix entre le... le passé composé et l’imparfait est tombé toi tu as choisi ici l’objectivité c’est ça ? (K : hm) il est tombé sur l’avenue d’Italie juste au moment où une voiture arrivait là tu as mis euh... euh à l’im... l’imparfait + c’est-à-dire que (K : +++) donc selon ce qu’on a parlé tout à l’heure c’est-à-dire que là tu veux marquer +++ tu veux faire voir à l’au/ l’autre personne qui t’écoute + cette histoire qui écoute cette histoire + il veut montrer vraiment comme si la voiture arrivait devant tes yeux ou (rire) quelque chose comme ça ? + ça donne un peu cet effet là ? +si...\

2 K : Et en même temps +

3 E : Ah en même temps au moment où une voiture arrivait ++

4 K : Il est tombé hop il arrivait (E : ah...) voilà

5 E : Donc ça marque que ça se passe en même temps ?

6 K : Hm

 

L’enquêtrice anticipe en 1 ce qui fonde le choix de Kang du passé composé pour tomber et le choix de l’imparfait pour arriver, en testant ce que Kang avait proposé comme effets des deux temps verbaux : le passé composé marque l’« objectivité », l’imparfait, la « tension » ou la « vitalité ». Elle ne rejette pas cette lecture de l’enquêtrice (2) mais semble donner plus d’importance à la nouvelle valeur qu’elle capte : la simultanéité des deux procès. Cette notion est d’abord exprimée par le circonstanciel temporel (en même temps) et elle est paraphrasée ensuite par deux propositions simples (4), reliées par une onomatopée (hop) et par l’imparfait pour arriver, temps marquant lui-même la contemporanéité. Le fait que Kang emploie l’imparfait pour expliquer justement ce choix semble être de sa part un signe d’évidence de la simultanéité véhiculée par la combinaison passé composé - imparfait.

Ces mêmes procès sont également analysés comme contemporains lors du second entretien comme on a pu le voir dans l’extrait 71, concernant 6-4, 5, 6, 7 quand il est arrivé au carrefour, il n’a pas pu ralentir et est tombé juste au moment où une voiture arrivait. Kang y exprime spontanément la simultanéité entre d’une part, ne pas pouvoir ralentir, tomber et d’autre part, arriver : « Ensuite la voiture arrivait pendant ce temps où ces temps se déroulaient ».

Quant à Kim (II), elle saisit également la simultanéité entre un procès au passé composé et l’autre à l’imparfait, comme le montre l’extrait 23 que nous avons déjà vu, concernant 6-13, 14 L’enfant s’est retrouvé tout seul et il avait peur et il a réussi à partir lui aussi, phrase sans marqueur conjonctif de simultanéité : « Quand il a repris son esprit, il s’est rendu compte qu’il était seul et en même temps, il a pris peur. + Il continue à avoir peur ». Mais la simultanéité qu’elle capte ici étant liée au chevauchement particulier qu’elle établit entre le procès se retrouver seul et la phase inchoative du procès avoir peur, elle ne s’applique pas à la même portion chevauchée qu’elle avait saisie pour la même combinaison de temps verbaux, entre tomber et arriver dans 6-6, 7 et est tombé juste au moment où une voiture arrivait (extrait 85) . Ces deux procès étaient vus en relation de chevauchement d’inclusion.

7.1.1.3. Contemporanéité entre deux procès à l’imparfait

En dernier lieu, la simultanéité est également détectée entre deux procès mis à l’imparfait et on l’observe chez Lee lors du second entretien pour ouvrir et sourire (3-1,2 Quand il ouvrait la porte, elle lui souriait) dans l’extrait 33 déjà cité : « Je pense que c’est simultané. (E : hm) Simultanément, dans une certaine durée (E : hm), dans une durée <en même temps ». Ici, elle fait référence à la fois à la simultanéité et au chevauchement total.

7.1.2. Les formulations de la contemporanéité

Les moyens linguistiques utilisés pour exprimer cette notion temporelle en français sont les circonstanciels temporels et l’imparfait. En coréen où la contemporanéité est plus souvent verbalisée, ce sont essentiellement les adverbes et le suffixe verbal conjonctif qui l’expriment :

Contemporanéité

 

Premier entretien

 

Second entretien

Kang

- circonstanciel temporel : en même temps (PC-IMP)

- emploi de l’imparfait (PC-IMP)

Kang

- adverbe temporel : simultanément [tongsi-e] (PC-PC) ; juste au moment où [sunkan-e] (PC-PC)

- suffixe verbal conjonctif : pendant ce temps [-nûn saï] (PC-IMP)

 

 

Kim

- adverbe temporel : simultanément [tongsi-e] (PC-PC) ; au même moment [tongsi-e] (PC-PC), en même temps [tongsi-e] (PC-IMP)

 

 

Lee

- adverbe temporel : simultanément [tongsi-e] (IMP-IMP) ; en même temps [tongsi-e] (IMP-IMP)

[Tableau 27 : Formulations de la contemporanéité]

7.1.3. Opérationnalité

Sauf quelques cas où la combinaison des temps verbaux est celle choisie par l’apprenante, et où la verbalisation de la contemporanéité de procès est spontanée, les autres occurrences de verbalisation de cette notion ont eu lieu sur sollicitation de l’enquêtrice. Les moyens d’expression de la simultanéité de différentes catégories grammaticales relèvent du même degré de précision, ayant une signification uniforme.

Quel que soit le type de combinaison des temps verbaux, nous notons qu’en présence d’un conjonctif marquant la simultanéité (quand, au moment où), nos apprenantes saisissent dans la plupart des cas cette relation temporelle entre procès. La simultanéité saisie de façon erronée entre deux procès au passé composé indique son opérationnalité partielle, outre la difficulté de jugement de grammaticalité pour les énoncés non grammaticaux.

7.2. Postériorité

Le fait d’analyser un procès comme postérieur à un autre recoupe l’analyse macro-discursive de successivité qui concerne une série de procès au passé composé.

7.2.1. Les verbalisations en entretien

Lorsque Kang (II) exprime par le terme point la successivité des trois procès dans 6-4, 5, 6 quand il est arrivé au carrefour, il n’a pas pu ralentir et est tombé, elle considère en même temps que le second procès a lieu après le premier et le troisième, après le second. De même, lorsque Lee (II) admet la possibilité d’emploi du passé composé pour les trois procès dans 3-1, 2, 3 quand il a ouvert la porte, elle lui a souri et lui a dit, c’est sur la lecture de la successivité des procès qu’elle se base (« si c’est successif »), et y sont contenues l’analyse de la postériorité de sourire sur ouvrir la porte, de celle de dire sur sourire.

La saisie de la successivité qui se confond avec celle du rôle de la constitution de la trame contient la même analyse de postériorité, comme le montre le commentaire explicite de Lee (II) sur le procès courir dans 6-10 Elle l’a heurté violemment. Ce passant a couru dans la cabine téléphonique d’à côté (...) : « C’est une action qui a eu lieu après ».

A la différence de ces procès au passé composé, la combinaison de temps verbaux passé composé - imparfait relève de la contemporanéité. Mais Kim détecte la postériorité dans un procès à l’imparfait par rapport à celui au passé composé :

 

(Extrait 87) 3-1, 2 Quand il a ouvert la porte, elle lui souriait et lui a dit : je t’attendais (Kim I, fr.)

1 K : Oui troisième (E : hm) quand il a ouvert la porte elle lui a souri elle lui a dit je t’attenda/ je t’attendais (E : hm) hm

2 E : Alors là <effectivement il y a..

3 K <Quand il a ouvert la porte <il lui a souri (E : <quand il a ouvert la porte il a\) oui c’est un/ + (E : elle lui a souri) au début j’ai écrit souriait

4 E : Oui ++ pourquoi ?

5 K : Hm... (rire) +++ le sourire c’est.... + c’est une action <euh

6 E : <Qui dure ?

7 K : Du../ oui qui dure n’est-ce pas ? (E : hm) ++ oui c’est pour ça j’ai écrit ça mais... je me rap<pelle que (E : <XXX) le prof (E : hm) nous a dit (E : hm) + euh ++ si euh le temps est imparfait (E : hm-hm) elle (E : hm) elle toujours /surira/ avant + qu’il a.. ouvert (rire) la <porte (E : <hm hm hm hm hm) elle aussi (E : hm) ++ elle <elle\

8 E : <C’est-à-dire elle/ elle.. + elle /et/ / elle était en train de sourire déjà avant <qu’il ouvre la porte (K : <oui oui oui (rire) seul/) (rire) et seulement il a ouvert au milieu (K : oui) elle a continué à.. ? <(rire) (K : <(rire) oui) oui oui

9 K : Oui le prof (rire) <a dit ça (E : <a dit ça ?) oui oui

10 E : Hm qu’est-ce que tu penses ? est-ce/ quand tu as quand tu as marqué ça (K : hm-hm) à l’imparfait (K : <imparfait) <elle lui a elle lui souriait + dans ton esprit à quoi tu as pensé ? c’est-à-dire quand il a ouvert (K : oui) c’est à ce moment là qu’elle a + souri ? ou

11 K : Qu’elle a commencé <de la sourire (E : <XXX ah.. hm-hm) sourire ça le euh le sourire + a un peu duré (E : ah) oui (E : hm-hm) je com/

12 E : Hm-hm donc.. c’est ça que tu as pensé ?

13 K : Oui (E : hm-hm) +++

 

Le choix de Kim était l’imparfait pour sourire (3) et elle témoigne que lors de la correction du professeur, elle avait appris qu’avec l’imparfait, le procès sourire commence avant l’ouverture de la porte (7-9). L’enquêtrice demande à Kim de lui faire part de ce qu’elle pensait être de l’ordre des procès lorsqu’elle avait choisi l’imparfait (10) et Kim dit avoir analysé le procès sourire comme postérieur à ouvrir (11). Pour ce faire, elle s’appuie sur la structure syntaxique proposée par l’enquêtrice (10) et complète simplement la partie demandée. On constate que cette saisie de la postériorité de sourire provient de ses connaissances du monde et son choix de l’imparfait est motivé par la temporalité incluse dans la sémantique du verbe : elle ignorait à ce moment de son apprentissage que la combinaison de temps imparfait - passé composé impose un chevauchement partiel d’inclusion et donc à l’imparfait, le début antérieur du procès incluant, comme l’a expliqué son professeur.

Lors du second entretien, Kim réitère son analyse erronée pour les mêmes procès :

 

(Extrait 88) 3-1, 2 Quand il a ouvert la porte, elle lui souriait et lui a dit : je t’attendais (Kim II, cor.)

1 E : Alors cette femme, (K : ici) quand est-ce qu’elle a commencé à sourire ?

2 K : Eh bien, dès qu’il a ouvert la porte.

3 E : Ah <dès qu’il a ouvert

4 K : <Dès qu’elle l’a vu.

5 E : Hm elle a souri ?

6 K : + Dès qu’il a ouvert. (E : hm) ++

 

Kim choisit toujours l’imparfait pour sourire tout en lui attribuant, à la demande de l’enquêtrice sur le début du procès, une postériorité, par rapport à ouvrir (2, 4, 6) : l’ordre des procès est saisi toujours sur la base des connaissances du monde et non sur la mise en relation de deux procès en relation d’inclusion, imposée par cette combinaison de temps.

7.2.2. Les formulations de la postériorité

Les moyens linguistiques utilisés pour exprimer la postériorité d’un procès sont divers : paraphrase lors des deux entretiens, suffixe verbal conjonctif et adverbe et autre marqueur en français, lors du second entretien en coréen.

 

Postériorité

 

Premier entretien

 

Second entretien

Kim

- paraphrase : (E : quand il a ouvert la porte, c’est à ce moment là) qu’elle a commencé de sourire

Lee

- paraphrase : action qui a lieu après [kû taûm-e ilôna-l hengtong]

- adverbe : successivement [yôntchajôk-ûro]

 

 

Kim =

- suffixe verbal conjonctif : dès que

[-jamaja]

 

 

Kang =

- marqueur de fin de procès : point

[Tableau 28 : Formulations de la postériorité]

7.2.3. Opérationnalité

La postériorité est verbalisée à la suite d’une demande explicite de l’enquêtrice sur le début du procès à l’imparfait ou à la suite d’une demande de considérer le temps alternatif. La formulation des verbalisations est explicite. Mais la saisie de la postériorité, étroitement liée à celle de la successivité n’a pas acquis son opérationnalité entière chez toutes les apprenantes, tout comme la successivité qui n’allait pas sans difficulté : un procès à l’imparfait est analysé comme postérieur à celui au passé composé. Ce qui est à l’origine de ce phénomène est l’absence de systématicité de la notion du chevauchement partiel d’inclusion.

7.3. Antériorité

L’antériorité comme la postériorité recoupe également la successivité. Nous traiterons ici les cas de saisie d’antériorité qui n’entrent pas dans le cadre de la successivité.

7.3.1. Les verbalisations en entretien

Seule Kim exprime la saisie de l’antériorité d’un procès et elle y fait référence lors des deux entretiens :

 

(Extrait 89) 2-1 Dimanche dernier, j’ai rencontré Paul qui est parti pour Chamonix (Kim I, fr.)

1  E : Hm + mais.. si tu mets au passé composé qu’est-ce que ça signifie ?

2  K : Ah ça signifie que/ + Paul est déjà parti ++ sa maison (rire)

3  E : Paul est déjà parti de sa maison (K : oui) mais pas.. encore <il est pas encore arrivé à Chamonix

4  K : <Pas encore.. arrivé/ oui oui oui c’est ça

5  E : Hm... j’ai rencontré Paul qui est.. parti +++ c’est-à-dire j’ai rencontré Paul euh.. qui <est parti de sa maison (K : <qui est parti /se/ sa maison) et qui était sur le chemin <ou...

6  K : <Oui c’est ça oui (E : hm) j’ai j’ai pensé comme ça

7  E : Ah tu as pensé comme ça ? hm qui est parti pour Chamonix +++

8  K : Mais maintenant imparfait /se/ <c’est mieux

9  E : <C’est mieux ?

10 K : C’est <mieux (E : <hm) ++ au début j’ai pensé + (E : hm) comme ça (E : hm-hm) ce que j’ai dit tout à l’heure (E : hm) oui

 

Kim avait choisi le passé composé pour partir lors du test et elle s’aperçoit que la bonne réponse (l’imparfait) qui était donnée par le professeur correspondait effectivement mieux au sens de « être en train de partir ». L’enquêtrice demande néanmoins à Kim à quoi elle se référait lors qu’elle avait choisi le passé composé (1). Dans sa réponse, elle localise le procès partir spatialement à un autre lieu que celui de la rencontre (à la maison), et de ce fait, elle le situe, temporellement parlant, antérieurement au moment repère, la rencontre, mais dans la même journée. L’enquêtrice reformule ce qu’elle a compris et Kim l’approuve (3-6). Kim analysait bien que le procès partir n’était pas terminé au moment repère mais c’est sa localisation spatiale erronée qui l’a induit à saisir son aspect perfect (déjà parti) en entraînant le choix du passé composé. On constate dans cette démarche cognitive que le verbe partir est stocké chez Kim, de façon inséparable, avec le contexte spatial qui lui a été sans doute le plus fréquemment associé, en l’occurrence, la maison. Ainsi, elle réduit le procès partir pour Chamonix à celui de partir de la maison qui a lieu le même jour que la rencontre, tout en concevant que partir pour Chamonix est en déroulement.

Lors du second entretien, ce procès fait l’objet du même type d’analyse, mais il s’agit d’une antériorité beaucoup plus éloignée du moment repère :

 

 

(Extrait 90) 2-1 Dimanche dernier, j’ai rencontré Paul qui est parti pour Chamonix (Kim II, cor.)

1 K : Cette personne je (E : hm) ne peut pas rencontrer Paul si celui-ci est parti. Mais le fait qu’ils se sont rencontrés (E : hm) ++ Si on dit qui est parti

2 E : Hm + qu’est-ce que ça <veut dire ?

3 K : <Si on dit ça, j’ai rencontré Paul qui est parti (E : hm) pour Chamonix, j’ai rencontré Paul qui était parti pour Chamonix, ici la nuance que je perçois, (E : hm) c’est que après le départ de Paul (E : hm) + Ah Paul est revenu de son voyage et m’a rencontré. (rire)

4 E : Ah quand on dit qui EST parti ?

5 K : + Oui je comprends (E : hm) comme ça. (E : hm hm) Si on dit partait, c’est que je l’ai rencontré sur le chemin de la gare pour Chamonix. (E : hm) Il partait. Ah/ Dans ce cas, pour parler vraiment exactement, il faudrait utiliser le plus-que-parfait mais la première signification que ça me donne quand on dit qui est parti, c’est que tout en donnant le sentiment qu’il est déjà parti donc que je ne peux pas le rencontrer, mais (E : hm) + je l’ai rencontré lui qui était parti. Donc je ne l’avais pas vu parce qu’il était parti mais, là, il est revenu et je l’ai rencontré. (rire) C’est cette nuance que je + perçoit <maintenant.

6 E : <C’est-à-dire que ça a deux sens alors ? D’une part, il est déjà parti donc je ne peux pas le rencontrer (K : hm) mais d’autre part, je l’ai vu <à son retour.

7 K : <Hm donc j’ai l’impression que… cette personne je a envie de dire en ce qui concerne Paul + qu’il y avait voyagé + <tu comprends ce que je veux dire ?

8 E : <C’est le cas de quelle expression ? qui est parti ?

9 K : Quand on dit qui est parti. (E : hm... hm...) Mais avec partait, c’est sûr qu’il n’est pas encore arrivé à Chamonix. (E : hm) Il est sur le chemin + et je l’ai rencontré à ce moment là. (E : hm) Il faut voir évidemment la suite mais (rire) (E : hm) Quand on ne regarde que cette phrase, je comprends comme ça.

 

Lors du second entretien, Kim choisit sans hésitation l’imparfait pour partir en se référant au déroulement et au non accompli du procès (je ne peux pas rencontrer Paul s’il est parti). Mais elle considère elle-même l’emploi du passé composé (1) et donne son interprétation dans laquelle elle situe le procès partir pour Chamonix avant la rencontre (4), de plusieurs jours, comprenons-nous, ce qui correspondrait au plus-que-parfait (5). Une autre lecture de partir, l’aspect perfect résultatif qui rend illogique la rencontre coexiste avec la lecture d’antériorité qui elle est possible (5).

Le choix immédiat de l’imparfait montre que la dissociation entre le type de procès du verbe et la mise en relation de deux moments (vision d’un procès en déroulement à partir d’un moment repère) a eu lieu et que la conception en déroulement d’un procès transitionnel se fait rapidement. Mais le fait de ne pas évaluer l’emploi du passé composé (est parti) comme impossible ici et le fait de saisir une antériorité par rapport à rencontrer semblent signaler encore la nécessité de mise des procès dans l’ordre.

Le même phénomène s’observe plus loin pour arriver et pleuvoir :

 

(Extrait 91) 4-3, 4 Quand ils sont arrivés à Rennes, il a plu et il a plu pendant tout leur voyage (Kim II, cor.)

1 E : Le premier quand ils ils sont arrivés à Rennes il pleuvait. Il a plu, ça ne marche pas ?

2 K : Si si. S’il n’y avait pas la phrase précédente, oui le (E : quand on dit quand ils sont <arrivés) <il a plu. Dans ce cas, il ne pleut pas mainte/ + S’il n’y avait pas la phrase suivante, (E : hm) il pleuvait, c’est imparfait. (E : hm) Oui. + Même avec la phrase suivante, c’est il pleuvait.

3 E : Là on ne peut pas dire il a plu ?

4 K : Non c’est pas possible.

5 E : Pourquoi ?

6 K : Parce que (rire) +++++ Pourquoi ça ne marche pas parce que ça fait répéter la même chose. (rire) (E : hm) Mais si on avait dit il a plu au moment d’arrivée, c’est comme tout à l’heure, comme le cas de je t’ai attendu qui signifie que je ne t’attends plus, il ne pleut plus maintenant. On voit juste la trace de pluie comme le sol la terre mouillé.

7 E : Ah donc quand ces gens là sont arrivés à Rennes, <le sol était mouillé.

8 K : <Il avait plu/ oui le sol était mouillé donc il avait plu [pi o-ôt-ta]. (E : hm) Avec il pleuvait, même au moment d’arrivée, il est en train de pleuvoir. +++ Hm tiens ça veut dire que les deux sont possibles. (rire) +++ C’est-à-dire que les deux sont possibles. (bas) ++ Bon je vais changer d’avis. Donc s’il n’y avait pas la phrase suivante [et il a plu pendant tout leur voyage], les deux sont possibles et s’il y avait la phrase suivante, c’est… l’imparfait.

 

Comme dans l’exemple précédent, Kim choisit sans problème l’imparfait pour pleuvoir. L’emploi du passé composé dont l’enquêtrice demande la considération (3) est d’abord jugée inacceptable (4) pour une raison stylistique (6) (évitement de répétition). Néanmoins, Kim reprend le verbe mis au passé composé (6) et donne son interprétation dans laquelle elle place encore le procès au passé composé temporellement avant celui d’arriver à Rennes qui est également au passé composé. Comme le cas de rencontrer Paul et partir pour Chamonix, Kim semble, comme elle le dit d’ailleurs elle-même, conférer au passé composé la valeur d’antériorité prise en charge en général par le plus-que-parfait. Elle tente d’établir un lien temporel particulier, à défaut d’une préalable capacité de jugement de grammaticalité. On peut faire l’hypothèse d’interférence à propos de cette saisie d’antériorité : en coréen, le –ôt dans des propositions subordonnées peut marquer l’antériorité par rapport au temps passé de la principale, marqué par le même –ôt.

7.3.2. Les formulations de l’antériorité

Les moyens d’expressions employés pour se référer à l’antériorité sont : a) la formulation typique de l’aspect perfect avec l’adverbe déjà (déjà parti) ; b) la paraphrase exprimée avec deux verbes au passé (qui était parti et qui est revenu; il est revenu et je l’ai rencontré) ; et c) la négation (il ne pleut plus maintenant), accompagnée d’une paraphrase sur le résultat du procès (le sol est mouillé).

Antériorité

 

Premier entretien

 

Second entretien

Kim

- adverbe : ‘déjà + V au passé composé’

Kim

- paraphrase : qui était parti et qui est revenu ; il est revenu et je l’ai rencontré

- négation : il ne pleut plus maintenant

[Tableau 29 : Formulations de l’antériorité]

 

7.3.3. Opérationnalité

La verbalisation de l’antériorité, qui est d’ailleurs claire, est obtenue suite à une question orientée sur l’emploi du passé composé ou à une question explicite sur son acceptabilité.

Si l’on constate une amélioration chez Kim dans la mise en relation d’une part, entre le moment repère et le moment de la situation, et d’autre part, entre cette analyse et le choix du temps verbal (manifestée par la mise en imparfait d’un verbe transitionnel), la saisie de l’antériorité du procès au passé composé par rapport à un autre au même temps verbal reste problématique dans certains cas. Ceci montre que les différents rapports entre procès au passé composé, ainsi que la notion d’antériorité, ne sont pas encore maîtrisés chez Kim.

8. Nombre d’occurrence de procès

Deux cas de figure peuvent être envisagés pour la saisie du nombre d’occurrence d’un procès : occurrence unique et occurrences multiples. L’unicité d’occurrence de procès et sa multiplicité, associées respectivement au passé composé et à l’imparfait, sont employées de façon contrastive par nos apprenantes lors du premier entretien, car elles font référence aux deux notions. Mais dans le second entretien, la référence à ces deux notions disparaît : si l’on n’en observe aucune attestation chez Kang, seule une des deux notions est verbalisée par Lee et Kim.

8.1. Occurrence unique de procès

8.1.1. Les verbalisations en entretien

L’unicité d’occurrence est verbalisée par Kang et Kim et elle est associée au passé composé. Kang fait référence à cette notion plus souvent que Kim ; elle le fait seulement lors du premier entretien.

8.1.1.1. Unicité exprimée par un moyen direct

Kang exprime l’unicité d’occurrence de procès par l’expression « une fois ». Le choix du passé composé est justifié à plusieurs reprises avec ce terme :

 

(Extrait 92) 2-2 Je dormais quand mon fils m’a téléphoné d’Australie hier soir (Kang I, fr.)

1 E : Et... téléphoné passé composé c’est.. +

2 K : Parce que dans le passé son fils (E : hm) euh.. a téléphoné une fois

3 E : Ah une <fois

4 K : <Et.. + tout à coup (rire) (E : hm-hm) ++

 

Le choix du passé composé pour téléphoner est motivé par l’occurrence unique de procès (2) et du caractère soudain (4).

 

(Extrait 93) 3-3, 5 Quand il a ouvert la porte, elle lui a souri et lui a dit : je t’attendais (Kang I, fr.)

1  K : (…) <Non non je vais je vais changer (E : hm) elle lui a dit

2  E : Ah elle/ donc là tu continues toujours elle lui souriait (K : hm) et et.. lui a dit (K : hm) pourquoi tu as changé ? (rire) <(K : <(rire)) + elle lui a dit c’est-à-di/ ça veut dire quoi ? ça veut dire ce n’est pas ce n’est plus en même temps ?

3  K : (...) Non ce ce serait mieux d’utiliser [et lui a dit] (<rire) (E : <(rire)) parce que c’est une phrase (E : ouais) c’est une seule phrase

4  E : (...) Mais d’abord tu penses que c’est possible de dire elle lui a dit ?

5  K : +++ Dans cette phrase c’est pas possible mais si si si on met (E : hm) il faut.. il faut séparer la phrase (...) ou peut-être on on peut dire quand il ouvert il a ouvert la porte (E : hm) elle.. souriait (E : hm-hm) je t’attends a-t-elle dit

6  E : (...) Mais si on met dans la même phrase mais au passé composé (rire) c’est pas possible ?

7  K : Ça  aussi possible

8  E : Ah c’est possible ?

9  K : Oui

10 E : Hm... ++ <donc\

11 K : <Parce qu’il ouvert (E : hm) il il a ouvert la porte une seule fois (E : oui) dans dans le même temps il elle elle parle quelque chose <une seule (E : <hm) fois (rire)

12 E : <Hm-hm donc... c’est possible ?

13 K : Hm

 

Le premier choix de Kang pour dire était l’imparfait (disait) et au cours de l’interaction dans laquelle l’enquêtrice comparait les paires ouvrir-sourire et dormir-téléphoner, Kang change d’avis pour le passé composé (1). L’enquêtrice demande la différence des deux formes en terme de simultanéité (2) et Kang répond en faisant référence à l’unité phrastique (parce que c’est une seule phrase) (3). Plus loin dans l’interaction, l’enquêtrice questionne sur l’acceptabilité du passé composé (4) et Kang le trouve inacceptable contrairement à son jugement antérieur, en disant qu’il est acceptable dans une phrase séparée (5) et propose un exemple, qui en fait une seule phrase. L’enquêtrice demande encore plus loin si le passé composé était acceptable dans l’énoncé de départ, c’est-à-dire, dans une seule phrase (6). Kang donne encore une autre évaluation (7), qui revient à sa position initiale. Et elle explique cette acceptabilité (11) cette fois-ci non sur la base de l’unité phrastique, mais sur l’unicité d’occurrence du procès qu’elle applique aux deux verbes ouvrir et dire pour lesquels elle choisit le passé composé.

On note que pour le verbe dire, la référence à l’unicité d’occurrence n’est pas celle à laquelle Kang pense en premier, contrairement à l’exemple de téléphoner. L’exemple suivant montre encore que cette notion peut être l’une des dernières auxquelles elle pense :

 

(Extrait 94) 2-5 Il y avait énormément de monde dans le train et il n’a pas pu trouver de place assise (Kang I, fr.)

1  E : Et + tu as dit tout à l’heure il n’a pas pu (K : hm) + trouver de place (K : hm) c’est-à-dire que là tu ne dirais pas il ne pouvait pas ? + (K : <hm...) <il ne pouvait pas trouver de place

2  K : +++ On peut dire

3  E : Tu crois que on peut dire ça aussi ? <il ne pouvait pas

4  K : <Il pouvait il ne pouvait pas ou bien

5  E : Il ne pouvait pas trouver de place ++ tu crois que c’est un p/ (K : il n’a pas pu) il n’a pas pu trouver de place assise + donc les deux sont possibles ? (K : hm) dans.. cette histoire là hein ? +++ mais.. tu crois que c’est différent ?

6  K : Oui

7  E : + Comment c’est différent ?

8  K : Si on dit il n’a pas pu c’est ça se passe dans... dans une point temporel + sur le place sur la place il n’a pas pu euh trouver <une place (E : <hm-hm hm-hm) mais il ne pouvait pas trouver une place c’est-à-dire (E : hm) il.. il a essayé mais finalement non + il... il n’y a il n’y avait pas de place pour lui

9  E : (...) ++ Si tu/ si on ne/ il n’a pas pu c’est juste il a cherché une fois et là il n’a/ il n’a pas trouvé (K : hm-hm) mais quand tu dis il ne pouvait pas c’est-à-dire il a cherché vraiment + là et là dans ce wagon il a fait tous les wagons (rire) euh.. ++ c’est ça ? qu’est-ce que.. tu/ si tu dis que il y a quand même une différence ++ bon je sais que c’est difficile de.. d’expliquer mais ++ essayons <de

10 K : <Peut-être si il n’a pas pu il n’a pas pu (E : hm) trouver (E : hm) de place assis c’est-à-dire l’autre fois (E : hm) l’autre fois il il.. il avait trouvé son sa place

11 E : L’autre fois ? c’est-à-dire ? quand il voyage <avant ?

12 K : On imagine oui (E : hm) mais +++ dans cette dans cette fois il.. (E : hm) il n’a pas pu +

13 E : Quoi quand <on utilise (K : <ça aussi/) il n’a pas pu ? ou..

14 K : Ça aussi ça se passe dans... + une fois euh.. (E : une une fois ?) une seule fois

15 E : Hm c’est il n’a pas pu ?

16 K : Hm

17 E : Alors il ne pouvait pas ? c’est..

18 K : C’est pas contraire mais

19 E : C’est pas contraire + mais ++

20 K : Il était en train peut-être il était en train de chercher sa place (rire) (E : hm) ++ oui

 

L’enquêtrice questionne sur l’acceptabilité du temps non choisi, l’imparfait (1), et Kang le trouve acceptable (2). A la demande de l’enquêtrice sur la différence entre les deux temps jugés acceptables (7), Kang se réfère d’abord, pour l’emploi du passé composé, à la double clôture du procès (dans un point temporel) pour dire qu’il s’agit d’un procès qui a commencé et a fini (8). L’enquêtrice teste sa compréhension en distinguant l’emploi des deux temps verbaux par la durée de la recherche d’une place (9). Sans donner de réaction à cette intervention de l’enquêtrice, Kang tente une autre distinction (10) en introduisant un contraste avec l’expérience antérieure, suivie de la référence à l’occurrence unique (14). Cette notion semble ainsi disponible chez Kang, associée à l’emploi du passé composé, mais sa détection ou son accès varie selon les contextes.

8.1.1.2. Unicité exprimée par la négation de la multiplicité

L’unicité d’occurrence peut se manifester en négation de la multiplicité d’occurrences. Ce procédé s’observe chez Kang et Kim.

 

(Extrait 95) 2-3 Alors, je l’ai accompagné à la gare (Kang I, fr.)

1 E : Il avait beaucoup de bagages et ses skis + sur l’épaule alors je + XX le + accompa<gner (K : <je l’ai je l’ai accompagné) je l’ai accompagné à la gare + hm-hm ++ on ne peut pas dire je l’accompagnait à la gare ?

2 K : Non parce que ++ le locuteur ne.. ne l’accompagne pas tout le temps ++

3 E : Ah... c’est-à-dire quand on dit je l’accompagnait ça veut dire que tout le temps c’est-à-dire ?

4 K : Hab/ habituellement

 

A la demande de l’acceptabilité de l’imparfait (1), Kang répond par la négation de la multiplicité d’occurrences du procès accompagner, la multiplicité étant exprimée par le circonstanciel temporel tout le temps. Ce procédé est celui que Kim emploie lors des deux entretiens pour faire référence à l’unicité d’occurrence :

 

(Extrait 96) 5-2 Il avait vingt ans quand il a eu son accident de montagne (Kim I, fr.)

1  K : Paul avait vingt ans quand il a eu son accident de montagne (E : hm hm hm)  + <oui euh

2  E : <Est-ce que là on ne peut pas dire quand il avait son accident ? + quand il avait vingt ans quand il avait son accident de montagne

3  K : Dans ce cas là le l’emploi de l’im-parfait c’est quoi ? ++ c’est pas durée

4  E : Non <l’accident.. (K : <XX) l’accident ne dure pas donc... +++

5  K : L’habitude non (E : hm) oui

6  E : Donc.. ++ est-ce que quand tu as marqué ça est-ce que tu as pensé à la durée de l’accident ? ou... tu as écrit comme ça ?

7  K : A eu ?

8  E : Oui

9 K : Accident c’est... ++ oui + accident (bas) c’est une action terminée (rire)

10 E : Ah donc (K : oui) ce qui est terminé (K : hm hm) donc tu n’as pas pensé à la durée ? c’est...

11 K : Non

 

A la demande de considérer l’imparfait (2), Kim prend un par un les emplois de l’imparfait pour les tester avec avoir son accident. Elle pense d’abord à la durée (3) puis à la multiplicité d’occurrences (5) en terme d’habitude, qu’elle juge non valable. L’enquêtrice relance sur la notion de durée (6) pour savoir si la durée courte était à la base de son choix du passé composé, et Kim répond que ce qui a motivé son choix, c’était l’aspect perfect (action terminée).

Lors du second entretien, Kim semble réitérer ce procédé pour se référer à l’unicité d’occurrence :

 

(Extrait 97) 6-8 Elle l’a heurté violemment (Kim II, cor.)

K : Ensuite la voiture a heurté une seconde l’enfant et elle est partie. (E : hm) Il faudrait dire qu’elle a heurté et parti/ elle l’a heurté une seconde heurté. (E: hm) Elle ne l’a pas heurté continuellement, c’est pour ça que c’est le passé composé.

 

Dans ce passage, la référence à la multiplicité d’occurrences n’est pas évidente. Car, lorsqu’elle parle de la continuité du procès heurter, il peut s’agir pour elle d’un seul procès qui continue, malgré le fait qu’elle conçoit la temporalité sémantique du verbe heurter comme momentané (une seconde). Mais la référence à la multiplicité d’occurrences ne peut être exclue.

8.1.2. Les formulations de l’unicité d’occurrence de procès

Les moyens linguistiques employés pour exprimer l’unicité d’occurrence peuvent être distingués en moyens directs, et indirects ou contournés par la négation de la multiplicité. Dans les deux types de moyens, l’unicité peut être véhiculée par un circonstanciel temporel, par un nom et par un adverbe :

 

Unicité d’occurrence de procès et passé composé

 

Premier entretien

 

Second entretien

Kang

- moyen direct avec un circonstanciel temporel : une fois

- moyen indirect (négation de la multiplicité) : pas tout le temps

Kim

- moyen indirect (négation de la multiplicité) avec l’adverbe : n’a pas heurté continuellement [kesok]

Kim

- moyen indirect (négation de la multiplicité) avec négation nominale : l’habitude non

 

 

[Tableau 30 : Formulations de l’unicité d’occurrence de procès]

 

8.1.3. Opérationnalité

La verbalisation de l’occurrence unique apparaît spontanément dans la justification du choix du passé composé ou dans une réaction à une intervention de l’enquêtrice non orientée sur le nombre d’occurrence, ou encore, plus souvent, suite à sa question sur l’acceptabilité du temps non choisi par l’apprenante.

La formulation de l’unicité d’occurrence de procès et les contextes de ses verbalisations montrent que cette notion fonctionne comme une notion non marquée par rapport à la multiplicité d’occurrence. La référence spontanée et directe à l’unicité comme chez Kang nous semble ainsi exceptionnelle.

8.2. Multiplicité d’occurrences de procès

8.2.1. Les verbalisations en entretien

La multiplicité d’occurrences de procès est verbalisée par les trois apprenantes et elle est associée à l’imparfait. Lee y fait référence le plus souvent. Deux types de multiplicité sont observés : procès ayant lieu simplement à plusieurs reprises ou procès ayant lieu de façon habituelle.

8.2.1.1. Multiplicité simple

Dans le cas de multiplicité simple, deux cas de figures sont encore évoqué : la multiplicité d’un procès par un seul actant ou une occurrence de procès par plusieurs actants. La référence à la simple multiplicité s’observe chez Kim et Lee.

 

(Extrait 98) 5-6 Quand il en est sorti, il était très faible et très maigre : on ne le reconnaissait pas (Kim I, fr.)

1  E : Il était faible et maigre et on ne ?

2  K : On ne + le reconnaissait pas

3  E : C’est ça la bonne... <réponse (K : <la bonne réponse oui) toi tu as mis on ne l’a pas reconnu (K : hm-hm) +++ (K : hm...) ++

4  E : Alors pourquoi on ne l’a pas reconnu ne... + ne marche pas ?

5  K : +++ Par/ je crois que ah... à cause de... de deux points n’est-ce pas ?

6  E : + Deux points ?

7  K : Le sens de.. (E : deux points) c’est... + euh.. c’est une explication (E : hm-hm) + euh.. oui + c’est une explication euh ++ la phrase avant <d’avant (E : <hm-hm) + euh... explication (bas) ++ <le temps

8  E : <Non le/ c’est la cause (K : ah oui) c’est pour ça que <il était maigre (K : <ah oui oui) et faible (K : oui) c’est pour ça (K : oui) que on l’a pas reconnu c’est ça ? <XXX

9  K : Hm hm oui oui c’est ça c’est ça oui c’est

10 E : Donc je me demande pourquoi on ne l’a pas reconnu... (K : hm... <XXX) <ça ne marche pas ++ et maintenant qu’est-ce que tu mettrais ?

11 K : ++ Hm.. +++ pourquoi j’ai... chaque <fois (E : <chaque fois) pourquoi j’ai... écrit ça ? ++++ ah ha chaque fois (E : oui) ++++ c’est hm/ + c’est... l’emploi d’imparfait (E : hm) c’est ++ XXX (bas) +++

12 E : La répétition ?

13 K : La répétition répétition ?

14 E : Répétition ? oui <quelque chose qui...

15 K : <Oui répé/ répétition oui (E : hm) oui

16 E : Quelle répétition ?

17 K : Ne le reconnaît pas

18 E : C’est-à-dire ça.. ça se répète ?

19 K : Oui ++ hm ? (rire) ++ peut-être hm.. il était très faible et très maigre (E : hm) c’est pour ça on le connaissait pas (E : hm) euh/ ++ah.. quelqu’un qui...qui voit la première fois (E : hm) euh il (E : hm-hm) +++ il ne l’a pas reconnu l’autre personne aussi (E : hm) quand il l’a vu (E : hm) il ne l’a pas reconnu (E : hm) +

20 E : Comme ça se répète (K : répète) oui donc on dit on ne le reconnai<ssait pas (K : <ssait pas) +++

19 K : Oui en français *il était très faible et maigre + c’est pour cela que à chaque fois les gens ne pouvaient pas le reconnaître + n’ont pas pu le reconnaître + ne pouvaient pas le reconnaître (avec un sens plus marqué de chaque fois)* ++

 

Kim avait choisi le passé composé pour reconnaître mais elle sait que la bonne réponse donnée par son professeur est l’imparfait (1-3). Kim interprète l’inacceptabilité du passé composé par le rôle introducteur de l’explication des deux points (5-7) par rapport à la phrase précédente. L’enquêtrice, elle, se focalise sur le contenu causal contenu dans la phrase précédente (8). Kim remarque son annotation (chaque fois) prise au moment de la correction par le professeur comme explication de l’emploi de l’imparfait et s’interroge sur son sens (11). L’enquêtrice apporte son interprétation de chaque fois comme marque de répétition (12), sur laquelle Kim est d’accord (15). L’enquêtrice lui demande de quel procès il s’agit (16) et Kim identifie le procès ne pas le reconnaître (17). Il s’agit d’une répétition du procès par différents agents (quelqu’un, l’autre personne aussi) (19) qu’elle réexplique en coréen (20).

Lee saisit également la simple multiplicité par différents agents pour le même procès :

 

(Extrait 99) 5-6 Quand il en est sorti, il était très faible et très maigre : on ne le reconnaissait pas (Lee I, fr.)

1  E: Bon là, tu as dit on ne l’a pas (L : reconnaît reconnu) reconnu. (L : on ne l’a pas reconnu) Hm.

2  L : (...) mais si ce on cet on est moi qui parle, euh ça peut/ je pense qu’il est juste qu’on utilise... passé composé. Mais si ce on est quelqu’un inconnu ou quelqu’un généra/ généraux hm les gens généraux, (E : hm) hm... + pluriel, (E : hm) on pourrait dire l’imparfait parce que hm... il Paul devait rencontrer les gens petit à petit et euh... il devait il devrait rencontrer les/ + pas mal de personnes avec certaine.. temps. Euh c’est pour ça je... vous ai dit l’imparfait, ça peut être + ça peut être convenable pour ++ ce cas.

3  E : Hm donc.. c’est...  plusieurs fois, <c’est ça ? (L : <Plusieurs fois) qui se/ <C’est le fait de

4  L : <Beaucoup beaucoup de personnes

5  E : Voilà. C’est le fait de ne pas reconnaître Paul, (E : hm) ça se répète c’est ça ? C’est ça que tu as..

6  L : Pour Paul, c’est... répétition.

7  E : <Oui mais pour <les gens, (L : <Pour les gens) c’est évidemment une seule fois.

8  L : Oui

9  E : Donc ça donc ça c’est pour qui ? (rire)

10 L : C’est pour beaucoup de gens.

11 E : Oui donc c’est pas pour Paul ++ et Paul fait partie de...

12 L : Ou c’est... pou/ c’est... oui les autres, n’est-ce pas ?

13 E : Oui c’est les autres d’accord. + <Beaucoup de gens

14 L : <Les autres... ne reconnaissaient pas (E : hm) oui

15 E : Hm + ne connaissaient pas (L : hm) le... pardon reconnaissaient pas  +++

16 E : Quand il.. quand on pense qu’il y a plusieurs personnes + euh...

17 L : Quand même il faut.../++ pas mal de temps pour...

18 E : Ah c’est... c’est parce qu’il y a la durée de temps, c’est pour ça ?

19 L : + Oui

20 E : Hm... plutôt la durée plutôt ? Ou la répétition ?

21 L : La durée

22 E : La durée plutôt hm. hm hm-hm ++ D’accord très bien.

 

Lee avait choisi le passé composé pour reconnaître mais dit accepter l’imparfait également en fonction de l’interprétation du pronom on (2). L’enquêtrice comprend la multiplicité du procès (plusieurs fois) dans son explication et Lee approuve cette interprétation en répétant le syntagme (3) et en introduisant de plus la pluralité des actants du procès (beaucoup de personnes) (4). L’enquêtrice précise elle-même de quel procès il s’agit (5) et Lee change de point de vue et emploie la multiplicité également pour Paul qui est le patient du procès ne pas reconnaître (6). Il s’ensuit une discussion sur l’identification de l’actant et le nombre d’occurrence qui en résulte (7-13). Lee réintroduit la notion de durée (17) liée à la pluralité des actants, qu’elle avait mentionnée auparavant (2). L’enquêtrice prend conscience de cette notion seulement à ce moment-là (18) et se rend compte que Lee traite deux notions pour l’emploi de l’imparfait et demande laquelle est la plus déterminante (20). Contrairement à ce qu’avait pensé l’enquêtrice, c’est la notion de durée qui motive davantage le choix de l’imparfait (21) chez Lee.

La simple multiplicité d’occurrences est saisie également dans le contexte d’une demande de l’acceptabilité du temps verbal non retenu :

 

(Extrait 100) 6-12 Pendant qu’il téléphonait, la voiture filait (Lee I, fr.)

1  E : Hm la voiture a filé la voiture filait ? (rire)

2  L : Filait ?

3  E : Hm (rire)

4  L : Je sais pas (E : (rire)) (rire) filait ? (E : (rire)) ++

5  E : <La voiture XX

6  L :  <Vous êtes trop culottée.

7  E : (rire) Est-ce que ce serait possible d’abord à ton avis ou pas ? La voiture pendant <qu’il (L : <filait) télé/pendant qu’il téléphonait la voiture filait ?

8  L : Si... si on dit la voiture filait, (E : hm) hm... cette voiture a causé + XX beaucoup de... beaucoup d’accidents + comme ça. (E : ah.... d’accord) C’est c’est une.. voiture.. qui a fait beaucoup de... ++ hm.. mal/ ah/ qui.. qui a beaucoup /malfeze/ ? (E : <hm-hm) <mal-fait ?

9  E : Mal fait ?

10 L : Je ne sais pas <en tout cas

11 E : <Qui a causé hm c’est-à-dire, il a déjà fait plusieurs accidents <et il a (L : <oui) filé ?

12 L : Ouais

13 E : Ou + euh... pendant qu’il téléphonait il était en train de faire d/ non <hm..

14 L : <Non non non. Il a déjà/ ah elle a déjà fait beaucoup d’accidents. (E : hm-hm) Euh chaque fois (E : hm) qu’il a fait des accidents, (rire) <il a filé. (rire)

15 E : <Il a ah d’accord. (rire) C’est-à-dire il y a\

16 L : C’est pas... sa première expérience.

17 E : C’est pas la première fois qu’il file <alors.

18 L : <Ouais ouais

19 E : Ah d’accord d’accord. Donc il y a + l’idée de répétition <donc.

20 L : <Ouais (E <hm...) <pour moi

21 E : On peut dire ça ?

22 L : C’est très dangereux

23 E : (rire) Oui.

 

L’enquêtrice interroge sur la possibilité de l’emploi de l’imparfait (1). Lee se montre quelque peu agacée par cette question ennuyeuse qui se répète, et à laquelle elle ne réfléchit pas toujours (6). La multiplicité d’occurrences du procès est sa première lecture (7). L’enquêtrice semble proposer une autre possibilité, une lecture de l’aspect imperfectif en gardant dans l’esprit le procès téléphoner auquel filer est relié (13) mais Lee la corrige en mettant bien en valeur l’aspect répétitif du procès (à chaque fois que...) (14). L’enquêtrice résume l’explication de Lee par le mot répétition (19) et Lee l’approuve (20).

Lors du second entretien, Lee emploie elle-même ce mot pour faire référence à la multiplicité d’occurrences :

 

(Extrait 101) 4-5 Quand ils sont arrivés à Rennes, il pleuvait et il pleuvait pendant tout leur voyage (Lee II, cor.)

1 L : Hm… ensuite quand on a une subordonnée avec quand, et la principale (E : hm) hm… quand on est arrivé à un endroit, à Rennes (E : hm), à leur arrivée, on décrit la situation (E : hm) il pleuvait et il pleuvait pendant tout leur voyage, je pense qu’on mettrait l’imparfait

2 E : Donc ces deux il pleuvait, c’est le même cas. Ce sont tous deux une description ?

3 L : Ah… peut-être ça ne l’est pas ++

4 E : C’est-à-dire <le second. (L : <il pleuvait) Hm quand tu as mis le deuxième à l’imparfait ++ c’est parce que c’est une description ?

5 L : C’est… une description et on peut le voir aussi comme une répétition (E : hm) Ou alors comme tu as dit, une description de situation, ensuite pendant une durée, donc pendant le voyage il a plu tout le temps. Dans ce cas, même si on les séparait, je pense qu’on utiliserait l’imparfait + hm +

 

Lee choisit le même imparfait pour les deux verbes pleuvoir (quand ils sont arrivés à Rennes, il pleuvait et il pleuvait pendant tout leur voyage) et pour le premier pleuvoir, elle donne une explication discursive (on décrit la situation). L’enquêtrice lui demande si les deux cas relèvent de la description (2) et elle demande plus particulièrement pour le second (4). Lee semble faire une analyse différente pour le second pleuvoir (3) et sans rejeter la fonction discursive, elle propose d’abord la valeur de multiplicité d’occurrences, puis, une autre valeur concurrente : la continuité de procès sur un intervalle borné (5).

8.2.1.2. Multiplicité habituelle

La multiplicité d’occurrences est interprétée également comme une habitude. Dans ce cas, le procès implique un seul actant. Kang et Lee y font référence. Pour les deux apprenantes, le marquage d’une habitude du passé est pris en charge par l’imparfait comme on peut le voir dans leurs commentaires avant l’exercice :

- « l’imparfait, c’est pour dire quelque chose qui se passait à un point de passé ou quelque chose habituelle dans le passé » (Kang I, fr.) ;

- « Ensuite euh pour l’imparfait, outre le cas précédent, il peut être utilisé pour une situation sans action n’est-ce pas ? (E : + hm) dans une... période donnée (E : hm). Dans ce cas là, ça indique une habitude (E : hm) ou une description, (E : hm) quelque chose comme ça. (E : hm) » (Lee II, cor.).

Le fait qu’on trouve la multiplicité d’occurrences sous forme d’habitude dans les commentaires avant l’exercice est un indice de rapidité d’accès et nous permet ainsi de la classer dans les caractéristiques prêtes-à-verbaliser.

Kang y fait également référence durant l’exercice lors du premier entretien comme nous l’avons vu dans l’extrait 95 :

E : Ah... c’est-à-dire quand on dit je l’accompagnais ça veut dire que tout le temps c’est-à-dire ?

K : Hab/ habituellement

 

De même, Lee y fait allusion au cours de l’exercice :

 

(Extrait 102) 6-8 Elle l’heurtait violemment (Lee I, fr.)

1 E : Tu crois qu’on peut jamais... mettre ça à l’imparfait ? + Elle... l’heurtait par exemple ?

2 L : Elle l’heurtait ?

3 E : Hm

4 L : ++ Si elle a euh heurté (E : hm) (rire) euh... ça/ pour moi ça signifie un peu de temps

5 E : + Ah c’est-à-dire il y a +

6 L : C’est + c’est/ c’est pas... hm/ c’est pas + XX mais euh.. si on/ si quelqu’un... heurte quel/ hm lo/ au/ l’autre, (E : hm-hm) c’est comme... hm... co/ un petit peu avec.. son opinion son/ sa volonté (E : <ah... on a déjà l’intention de...) <opinion... oui sinon... comme d’habitude...

7 E : Ah.. d’accord

8 L : Ouais (E : hm-hm) Sinon pendant... certain temps, <mais c’est un petit peu (E : <hm-hm) bizarre. Ça sera un petit peu bizarre (E : hm-hm) +++ (E : hm-hm) +++

 

A la demande de considérer l’imparfait pour heurter (1), Lee attribue d’abord la durée au procès (un peu de temps) (4), et secondairement une valeur de multiplicité habituelle (6). Mais c’est la notion de durée qui lui paraît plus importante et qui rend la phrase « bizarre » (8).

8.2.2. Les formulations de la multiplicité d’occurrences de procès

La notion de multiplicité est véhiculée dans les verbalisations par le nom, l’adjectif, l’adverbe, la quantification du nom, qui contiennent soit la pluralité de l’actant, soit la pluralité du procès, et finalement, la paraphrase.

 

Multiplicité d’occurrences de procès

 

Premier entretien

 

Second entretien

Lee

- circonstanciel temporel :

 plusieurs fois

- quantification nominale : beaucoup de personnes

- paraphrase : chaque fois que..., il a filé

Lee

- nom : habitude [sûpkwan], répétition [panpok]

Kang

- adjectif : quelque chose habituel dans le passé

- adverbe : habituellement

 

 

Kim

- nom : répétition

- circonstanciel temporel : à chaque fois

 

 

[Tableau 31 : Formulations de la multiplicité d’occurrences de procès]

8.2.3. Opérationnalité

La multiplicité d’occurrences de procès en tant qu’habitude est verbalisée souvent de façon spontanée, alors que la simple multiplicité est mentionnée à la suite de la demande d’acceptabilité de l’imparfait ou à la suite d’une intervention quelconque de l’enquêtrice (consistant à anticiper l’analyse de l’apprenante, à lui demander une précision, à orienter sa réponse sur le nombre d’occurrences). La notion de multiplicité habituelle semble ainsi plus accessible. Si la disponibilité de la notion semble grande, la saisie n’est pas aussi simple qu’elle paraît : elle dépend de la conception du procès du verbe comme perfect ou imperfectif. Cette notion relève d’une opérationnalité partielle chez nos apprenantes.

9. Localisation d’un procès sur l’axe du temps

La localisation d’un procès sur l’axe du temps est une relation d’ordre entre le moment de la situation et le moment de locution, qui permet de saisir le procès du moment de la situation dans le passé, au présent et au futur. Le passé composé peut situer le procès dans le passé mais aussi au présent avec sa valeur du perfect résultatif. De même, l’imparfait le situe aussi bien dans le passé qu’au présent, mais partiellement.

9.1. Les verbalisations en entretien

Toutes les informatrices considèrent les procès au passé composé et à l’imparfait comme se situant dans le passé.

9.1.1. Localisation dans le passé

Il est rare de rencontrer des verbalisations dont l’objet est seulement la localisation du procès dans le passé : la référence au passé accompagne presque toujours une autre caractéristique aspecto-temporelle présentée comme principale. Lors du premier entretien, Kang est la seule à faire référence au passé et lors du second entretien, les trois apprenantes en parlent.

La saisie du procès au passé composé et à l’imparfait comme situé dans le passé fait partie des valeurs prêtes-à-verbaliser pour Kang (I), car elle se trouve dans les commentaires généraux avant l’exercice, comme nous l’avons vu dans l’extrait 8 : « (...) le passé composé est utilisé pour un événement qui a eu lieu dans le passé et qui est fini, qui a eu lieu à un moment donné et qui est fini, l’état de cette situation et l’imparfait, c’est pour dire quelque chose qui se passait à un point de passé ou quelque chose d’habituel dans le passé ++ oui etc. »

Au cours de l’exercice, la référence au passé s’observe également de façon explicite comme dans le cas de téléphoner (dans le passé, son fils a téléphoné une fois) et de façon indirecte comme le cas suivant :

 

(Extrait 103) 6-4, 5, 6 Quand il est arrivé au carrefour, il n’a pas pu ralentir et est tombé (...) (Kang I, fr.)

1 E : Donc ensuite quand il est arrivé au carrefour il n’a pas pu ralentir et tombé sur l’avenue d’Italie + bon là tu as mis tout au passé composé hein + c’est-à-dire est-ce que c’est une description ou pas ? + <XX

2 K : <Description (E : oui) et... en même temps c’est\

3 E : Ça se passe rapidement c’est ça ?

4 K : Oui c’est un description oui ça se passe rapidement (E : hm) en même temps c’est un f.../ + c’est un fait réel (E : hm...) et +++ (E : <quand il est arrivé) <qui s’est/ qui s’est passé hier (E : hm-<hm) <et/ on a vu (E : hm-<hm) + <on a vu tous (E : hm-hm) ensemble +

 

L’enquêtrice anticipe à deux reprises la fonction des passés composés (1, 3) et Kang les accepte (4) et en propose d’autres parmi lesquelles on note la localisation des procès dans le passé (4). Pour ce faire, elle s’appuie sur l’adverbe temporel déictique hier. On note dans ces deux extraits que la référence au passé accompagne entre autres, les verbalisations de l’aspect perfect, du nombre d’occurrence de procès, de l’aspect imperfectif.

Lors du second entretien, Kim est celle qui exprime le plus clairement la référence au passé des procès au passé composé et à l’imparfait. Dans son commentaire avant l’exercice sur les emplois des deux temps, c’est la première valeur à laquelle elle pense : « Oui l’imparfait et le passé composé. (E : hm XXX) D’abord ++ le temps [tense] est du passé ».

Au cours de l’exercice, on décèle la localisation du procès pleuvoir dans le passé dans la référence à l’aspect perfect : « là on parle après avoir terminé le voyage » (4-5 et il a plu pendant tout leur voyage, Kim II, cor.). La même double référence s’observe chez Kang pour accompagner, mais de façon distincte :

- « Il l’a accompagné, ils sont descendus à la gare, c’est fini dans le passé « (2-3 alors je l’ai accompagné à la gare, Kang II, cor.).

- « Si on dit ici il a été très faible et très maigre, + à un moment donné dans le passé, (E : hm) c’est une action qui est finie » (5-5 il a été très faible et très maigre, Kang II, cor.).

Contrairement à Kang et Kim, Lee y fait référence seulement dans des commentaires avant et après l’exercice. La localisation d’un procès dans le passé apparaît rarement dans la référence d’une autre valeur aspecto-temporelle comme chez les autres (néanmoins, dans le commentaire après l’exercice : « l’imparfait euh… il peut marquer les habitudes du passé, le goût, ce genre de choses »), mais dans divers commentaires de type témoignage comme on peut le voir dans les extraits suivants :

- « quand on parle d’une chose du passé, et qu’on ne sait pas trop quoi employer, (E : hm) moi, j’utilise l’imparfait. Pour quelque chose qui a une certaine durée »

Dans ce témoignage sur son emploi des temps passés, Lee fait référence aux procès localisés dans le passé. Cette localisation des procès au passé composé et à l’imparfait dans le passé s’observe également dans sa réflexion comparative à propos du français et du coréen où elle fait correspondre un système unique en coréen avec –ôt, et un système dual en français avec le passé composé et l’imparfait :

 

(Extrait 104) Commentaire avant l’exercice (Lee II, cor.)

L : Le sentiment qu’on a sur le passé est différent en coréen et en français, n’est-ce pas ? (...) En coréen, qu’est-ce qu’on met pour le passé ? Il y a -ôt (E : hm) et qu’est-ce qu’il y a encore ? La plupart du temps c’est -ôt, n’est-ce pas ? (E : hm) (...) En coréen le/ j’avais fait telle ou telle chose pendant les vacances [h(a)-ôt-ôt], quand on dit ça, même si on a utilisé -ôt, hm on comprend n’est-ce pas. Ça ne sonne pas bizarre. (E : hm) Mais + comme l’imparfait/ un/ en français <il y a l’imparfait aussi (E : <on doit choisir hm) en général (E : hm).

 

Après l’exercice, dans un commentaire, portant sur son sentiment personnel sur les procès à l’imparfait, on peut voir également que Lee se réfère au passé :

 

(Extrait 105) Commentaire après l’exercice (Lee II, cor.)

L : +++ Euh… + quand on parle, en général, on mélange le passé composé et l’imparfait, par exemple, comme dans le cas du 3, quand on utilise plusieurs fois l’imparfait de suite, c’est que c’est pas un passé dont j’ai un souvenir très clair (E : hm) et dont je parle maintenant et qui est segmenté et bien rangé. ++ C’est plutôt un passé qui peut être un peu comme une habitude, ou qui est comme s’il était couvert d’un film + qui donne une image trouble. C’est ce que je ressens, même si on ne peut pas parler comme ça sur le plan grammatical.

9.1.2. Localisation au présent

Lee et Kim mentionnent le fait que le procès à l’imparfait peut se situer partiellement au présent :

 

(Extrait 106) Commentaire après l’exercice (Lee II, cor.)

1 L : On dit n’est-ce pas qu’avec l’imparfait, un événement ou une situation n’est pas finie et garde une influence.

2 E : L’imparfait ?

3 L : Hm. Mais à l’intérieur de ça je pense qu’il y a plusieurs sens + donc

4 E : Donne-moi un exemple où ça influence sur maintenant.

5 L : ++ Hm je dor/ je… je ne dormais pas depuis longtemps, là

6 E : Hm ah… dans ce cas (L : hm) + je ne dormais pas depuis longtemps

7 L : ++ Je dors pas comme ça, il y a des imparfaits qu’on pourrait remplacer par le présent. (...) Hm mais ah n’est-ce pas qu’on dit que l’imparfait n’est pas fini et a une influence jusqu’à maintenant + non ?

8 E : Ah bon ? Je ne sais pas (rire)

9 L : Les emplois fondamentaux (E : hm) qu’on dit généralement, le passé composé, c’est quelque chose qui est fini (E : hm) et (E : donc <avec le présent) <c’est-à-dire elle est partie, ici elle est partie et elle n’est pas là <maintenant. (E : <elle n’est pas là. hm) On dit comme ça (E : hm) et l’imparfait euh… il peut marquer les habitudes du passé, le goût, ce genre de choses mais en liaison avec une action, il a une influence jusqu’au présent (E : hm), on dit aussi comme ç/ comme on dit ça/ on fait ce genre de distinction. (E : hm) Mais euh on peut dire ça comme ça pour les emplois de l’imparfait, mais je pense qu’il y a encore des sous divisions. (E : hm) Donc ++++ Quand on fait une description + hm ou quand on fait une explication de l’arrière-plan d’un événement ou des explications parallèles, à ce moment-là, on sait que le… l’imparfait n’a pas de rapport avec le présent. (E : hm) Comme tout le monde sait, (E : hm) ce qu’on dit, c’est pour expliquer [l’emploi de l’imparfait] plus facilement. (E : hm) ++++

 

Il nous semble que l’emploi de l’imparfait dont parle Lee (7, 9) concerne le fait qu’un procès qui a commencé avant est effectif jusqu’au moment de locution, comme pour l’exemple d’attendre en 3-4 et elle lui a dit : je t’attendais. Lee distingue cet emploi de l’imparfait de celui où l’imparfait renvoie le procès dans le passé : « quand on fait une description (...) on sait que l’imparfait n’a pas de rapport avec le présent ». Mais contrairement au premier entretien où elle choisit l’imparfait, malgré ce commentaire théorique, elle choisit le passé composé avant d’accepter les deux formes lors du second entretien.

Cet emploi particulier de l’imparfait est également abordé par Kim lors du premier entretien, lorsqu’elle distingue, suite à la demande de l’enquêtrice, pour ce même procès attendre, l’emploi de l’imparfait et celui du passé composé par la prise en compte ou non du moment de locution dans l’intervalle occupé par le procès : l’imparfait quand le moment de locution est compris dans l’intervalle (« avant et maintenant ») et le passé composé quand il est hors de l’intervalle (« pas jusqu’à maintenant »). Les deux apprenantes mentionnent que cet emploi de l’imparfait s’applique aux verbes d’action. Cette connaissance commune nous conduit à supposer qu’elle est due à l’input métalinguistique qu’ont reçu Kim et Lee, à un moment de leur apprentissage.

Les cas de l’aspect perfect résultatif concernent aussi partiellement la localisation du procès au présent, car le moment repère inclut le moment de locution. Sans que cela soit son centre d’attention, en parlant de l’aspect perfect du passé composé (le passé composé, c’est quelque chose qui est fini), Lee verbalise aussi que le passé composé peut situer le procès partir dans elle est partie dans le passé (elle est partie) dont le résultat est tangible au présent (et elle n’est pas là maintenant) (cf. Extrait 3).

9.2. Les formulations de la localisation du procès sur l’axe du temps

Deux types de moyens d’expression peuvent être distingués : moyens directs et explicites consistant à employer le mot passé, et les moyens indirects consistant à employer un mot ou une expression qui relèvent du passé. Les apprenantes utilisent majoritairement les moyens directs.

Dans les expressions directes, le mot passé est employé dans différents contextes : a) il est utilisé seul pour désigner le temps grammatical ; b) il est utilisé dans un circonstanciel temporel, comme dans le passé ; c) il est aussi employé comme déterminant d’un nom comme dans habitudes du passé.

Quant aux moyens de référence au présent, ils se font directement par le terme grammatical le présent ou indirectement, par le terme maintenant désignant le moment de locution.

Localisation du procès sur l’axe du temps

 

Premier entretien

 

Second entretien

Kang

- circonstanciel temporel : dans le passé (PC, IMP)

- adverbe : hier (PC)

Lee

- nom grammatical : le (un) passé, le présent

- déterminant : N du passé

Kim

- adverbe temporel : maintenant (IMP)

Kang =

- circonstanciel temporel : dans le passé (PC)

 

 

Kim =

- nom grammatical : le passé

- paraphrase

[Tableau 32 : Formulation sur la localisation du procès sur l’axe du temps]

9.3. Opérationnalité

Les verbalisations de la localisation d’un procès sur l’axe du temps ont lieu à la suite de la demande d’acceptabilité du temps non retenu et suite à une intervention de l’enquêtrice non orientée sur la localisation du procès. Mais la plupart des verbalisations ont lieu dans les commentaires généraux, à l’interrogation sur les emplois des deux temps. Ceci montre que le fait de localiser un procès dans le passé ou le présent fait partie des connaissances prêtes-à-verbaliser, disponibles rapidement.

La localisation d’un procès dans le passé est effectuée à bon escient, montrant par là son opérationnalité chez nos apprenantes. Par contre, la localisation d’un procès au présent avec l’imparfait, qui relève d’un autre schéma et qui fait bien l’objet de verbalisation semble encore instable.

10. La notion de durée

Outre les caractéristiques discursives ou aspecto-temporelles proprement dites, la notion de durée sert également à choisir le passé composé ou l’imparfait. Nos informatrices ont recours très fréquemment à cette notion.

Nous observons six types de notion de durée chez nos apprenantes, qu’on peut classer en trois groupes qui se recoupent : a) du point de vue de la localisation de la notion de durée dans l’énoncé, nos apprenantes la détectent dans divers éléments de l’énoncé ; b) du point de vue du type de mesure de la longueur de l’intervalle d’un procès, nos informatrices font référence à la durée absolue et à la durée relative ; c) du point de vue du type de jugement de durée, on observe la durée subjective et la durée objective. Si on ne peut pas faire l’économie de la notion de durée en général dans les phénomènes aspecto-temporels, toutes ces notions de durée ne sont pas opératoires, sauf la durée relative, qui est susceptible de l’être en cas de bonne identification.

10.1. Localisation de la notion de durée dans l’énoncé

10.1.1. Durée dans la sémantique du verbe

Nous avons vu plus haut que toutes nos apprenantes font référence à la notion de durée incluse dans la sémantique du verbe (cf. 5. Type de procès du verbe). Il s’agit d’une durée absolue et nous avons observé que Kim l’utilise de façon systématique notamment dans la seconde période pour choisir l’un ou l’autre temps verbal.

10.1.2. Durée dans d’autres éléments de l’énoncé
10.1.2.1. Détection de la durée

La notion de durée est détectée également dans les compléments circonstanciels temporels comme pendant tout leur voyage, huit mois. On observe ce phénomène chez Kim et Lee pour qui le repérage de la durée ou de la non-durée dans ces éléments déterminent le choix du temps :

 

(Extrait 107) 4-5 Quand ils sont arrivés à Rennes, il pleuvait et il pleuvait pendant tout leur voyage (Kim I, fr.) 

1  E : Hm-hm d’accord et il

2  K : A plu pendant tout leur voyage <hm...

3  E : <Hm-hm là tu as mis <à l’imparfait aussi

4  K : <Oui oui imparfait <aussi

5  E : <Il pleuvait pendant tout leur voyage ++ hm-hm ++

6  K : Ça  cette phrase aussi on doit remarquer le ver/euh adverbe pendant peut-être

7  E : Pen<dant ?

8  K : <Non non (E : tu crois que comme c’est pendant +) oui ici c’est pour pour moi euh + bizarre ? hm difficile ?

9  E : <Parce que pendant XXX aussi la durée

10 K : <Je ne je ne peux pas + <ah... (E : <mais...) ++++ hm.. ++++ elle appelait ah... lui ++ à mon avis je/ au début j’ai mis il pleuvait imparfait ++ <hm...

11 E : <Oui à ce moment là à quoi tu as pensé ?

12 K : ++

13 E : Il pleuvait pendant tout leur voyage tu as pensé aussi à la durée ? + peut-être

14 K : Oui pendant c’est...

15 E : Pendant ça mar<que la durée ?

16 K : <Oui oui la marqu/ oui oui (E : hm) durée c’est pour ça j’ai.. j’ai.. mis imparfait mais ++

17 E : Comment <le professeur a expliqué ?

18 K : <Comme le professeur le\ pendant oui il a remarqué pendant tout leur voyage (E : hm) hm... pendant tout leur voyage + c’est déjà euh... ++ c’est déjà le temps + terminé ++

19 E : Ah oui le voyage est terminé

20 K : Oui oui le voyage est terminé c’est pour ça hm... ++ oui passé composé

 

Kim connaît la bonne réponse (2) et l’enquêtrice rappelle qu’elle avait choisi l’imparfait au moment du test (3). Kim verbalise ce qui a sans doute fondé son choix de l’imparfait et mentionne pendant qu’elle identifie comme adverbe (6), mais elle se reprend en réalisant que ce n’est pas une bonne explication, l’imparfait étant erroné, tout en se montrant perplexe (8). L’enquêtrice continue seule ce qu’aurait pu dire Kim au sujet de pendant, en le reliant à la notion de durée (9), à laquelle Kim venait de se référer pour le verbe précédent pleuvoir dans Quand ils sont arrivés à Rennes, il pleuvait, en utilisant le terme durée. L’enquêtrice réitère cette anticipation (13, 15) face à Kim semble réfléchir et hésiter (12, 14) et Kim l’approuve finalement (16). En mettant de côté les interventions intempestives de l’enquêtrice, on peut néanmoins observer que Kim détectait dans le mot pendant une certaine durée.

Le même repérage de pendant entraînant l’imparfait s’observe encore chez Kim dans le même entretien :

 

(Extrait 108) 6-11 Pendant qu’il téléphonait, la voiture a filé (Kim I, fr.)

1  K : Pendant pendant qu’il téléphonait la voiture a filé

2  E : Ah alors <là (K : oui) tu as mis imparfait

3  K : Oui

4  E : Parce que ?

5  K :  Pendant que (E : <pendant que) <(rire) c’est très (rire) <clair

6  E : <Mais... je me demande si euh... en Corée nous on a appris comme ça (K : hm) c’est-à-dire par exemple... derrière pendant que ou au moment où (K : <hm) <on met l’imparfait <est-ce qu’on a/ (K : <hm-hm) appris comme ça ? <ou..

7  K : <Hm oui

8  E : Parce que moi je me souviens pas (rire) + toi tu as appris comme ça c’est ça ?

9  K : Euh je... moi non plus je ne me... rappelle (E : hm) je ne me rappelle pas ah... ah la conjonction ++++++ dans quelle dans quelle <occasion (E : <hm-hm) dans quelle occasion on doit + on doit... utiliser imparfait... je ne me rappelle pas la euh... la phra/ la conjonction exacte <par exemple (E : <hm-hm) pendant que, au moment où + mais euh... ce que ce qu’il me reste dans ma tête c’est le sens (E : hm-hm) le sens le sens

10 E : C’est-à-<dire (K : <euh.. ) comme il y a pendant c’est-à-dire y a... une durée ? <c’est ça ?

11 K : <Durée oui

12 E : ++ Donc s’il y a une durée on marque <l’imparfait (K : <hm-hm) ++ pendant qu’il téléphonait la voiture +

13 K : A filé (E : hm-hm) oui

 

A la question du pourquoi de l’imparfait de l’enquêtrice (4), Kim mentionne encore le même élément déterminant, pendant que, cette fois-ci (5). L’enquêtrice demande à Kim si cette connaissance vient de son apprentissage institutionnel du français en Corée (6) qu’elle partage avec Kim (8) qui dit l’avoir apprise (9). L’enquêtrice demande confirmation de son hypothèse sur la corrélation entre le terme pendant et l’imparfait, la durée (10), et Kim l’approuve en répétant le mot (11).

Un autre circonstanciel temporel est analysé comme contenant la notion de durée :

 

(Extrait 109) 5-3 Il restait huit mois à l’hôpital (Lee I, fr.)

1 E : Et il restait euh... à à l’imparfait ?

2 L : Hm

3 E : Parce que + c’est long c’est ça ?

4 L : Oui

5 E : Hm-hm tu as choisi donc l’imparfait. (L : hm) + Mais tu crois que c’est un cas où on peut aussi euh... mettre le passé composé il est resté + huit mois à l’hôpital

6 L : Mais ça s’est suivi par... + <il est sorti de...

7 E : <Quand il en est voilà il est sorti. On sait qu’il est sorti (L : hm) maintenant. + Donc il y a une relation entre le fait qu’il est sorti et + le fait qu’on sait qu’il est sorti et (L : oui) ++ Bon tu dis que c’est parce qu’il est sorti après que... on peut mettre l’imparfait, c’est ça ?

8 L : Hm.... <hm... (E : <il restait huit mois) ++++ (E : quand il en est sorti) + il re/ il restait huit mois. (E : hm) Euh pendant... depuis huit mois et le fait qu’il est sorti, (E : hm) ça coupe le durée la durée. (E : hm-hm)

 

L’enquêtrice anticipe et teste à la fois son hypothèse sur ce qui fonde le choix de l’imparfait de Lee (3) que celle-ci semble approuver (4). L’enquêtrice interroge ensuite sur l’acceptabilité du passé composé (5) et Lee le trouve inapproprié (6). Car la fin du procès rester, apportée par la phrase suivante (il en est sorti) « coupe la durée » et la durée repérée dans rester huit mois est prise en charge par l’imparfait, conformément à son schéma des emplois du passé composé et de l’imparfait, comme nous l’avons vu dans l’extrait 20 :

 L : Je crois que l’action coupe le durée des... le durée/ le certaine durée + euh... + jusqu’à cette action il y avait quelque situation qui dure depuis euh certain temps et l’action ça coupe tic <comme ça. Et après je sais pas mais... mais je... + normalement ce qui euh.. ah/ normalement je com/ je distingue... l’imparfait et passé compose comme ça.

 

De même, pour ce même verbe, Kim (I) relève le circonstanciel huit mois (extrait 53) pour son choix de l’imparfait.

Un autre élément d’énoncé, la conjonction au moment où peut être interprétée comme contenant une idée de durée, en l’occurrence, une durée courte. C’est le cas de Lee et cette détection entraîne l’emploi du passé composé, comme nous l’avons vu dans l’extrait 40 concernant le verbe arriver dans 6-7 et est tombé juste au moment où une voiture est arrivée : « (...) Ensuite juste au moment où, ça aussi… semble aller bien avec le passé composé. (...) « (Lee II, cor.). La notion de durée n’est pas explicitée.

10.1.2.2. Les formulations de la durée localisée dans d’autres éléments que le verbe

La référence à l’élément contenant la notion de durée se fait la plupart du temps par sa mention ou par une appellation détournée, insérée dans un énoncé qui montre que la détection d’une durée dans l’élément en question appelle un des deux temps.

 

Durée dans d’autres éléments de l’énoncé : passé composé et imparfait

 

Premier entretien

 

Second entretien

Kim

- catégorie grammaticale + mention de l’élément: l’adverbe pendant (IMP)

- mention de l’élément seul : pendant que, huit mois (IMP)

Lee

- mention de l’élément seul : juste au moment où (PC)

Lee

- appellation détournée : la durée (IMP)

 

 

[Tableau 33 : Formulations de la durée dans d’autres éléments que le verbe]

10.1.2.3. Opérationnalité

La référence à l’élément dans lequel nos apprenantes détectent la notion de durée se fait la plupart des cas, spontanément, ou à la suite d’une intervention de l’enquêtrice non orientée sur la durée. Le repérage d’un élément porteur de la durée courte ou longue détermine le choix du temps et ce procédé montre que la notion de durée qui n’est pas pertinente en soi fonctionne comme notion opérationnelle chez nos apprenantes.

10.2. Type de mesure de la durée

10.2.1. Durée absolue

La notion de durée absolue désigne une durée ou une non-durée, considérée seule, comme longue ou courte, sans être comparée à la durée d’un autre procès.

10.2.1.1. Les verbalisations en entretien

La durée absolue peut être à l’origine du choix de temps : le passé composé pour une durée jugée courte, et l’imparfait pour une durée jugée longue. Elle est employée par toutes nos apprenantes et dans les deux entretiens. La référence à la durée longue s’observe plus souvent. Lee a recours à cette notion notamment pour l’imparfait, et Kim et Kang l’emploient aussi bien pour l’imparfait que pour le passé composé.

La référence à la notion de durée absolue (longue) chez nos apprenantes se manifestent dans des expressions ou phrases exprimant une certaine durée :

 

(Extrait 110) 3-3 Quand il a ouvert la porte, elle lui a souri et lui a dit : je t’attendais (Kang I, fr.)

1 K : <XXX Peut-être ce serait mieux ah non

2 E : Quoi ?

3 K : Elle lui.. lui a dit ah oui

4 E : Elle lui a dit ?

5 K : Oui je XXX

6 E : Ah donc là tu changes d’avis ?

7  K : Oui

8  E : Pourquoi ?

9  K : Pas du tout de (rire)

10 E : Donc ça ne se passe pas <ensemble ?

11 K : <Si elle dit (E : hm) elle disait/ c’est-à-dire peut-être... elle disait euh... depuis une heure (rire)

12 E : + Ah... d’accord

13 K : Depuis trois heures

14 E : Si on dit si on utilise le l’imparfait elle lui souriait elle lui disait + ça veut dire que elle dit ça depuis longtemps (K : hm) hm + c’est comme ça que tu comprends ? ou

15 K : ++ Je ne sais pas mais dans ce cas il faut (rire) il faut mettre passé composé (rire) (E : hm) +++

 

Lors de la lecture à haute voix, Kang avait choisi l’imparfait pour dire et dans la séquence d’examen du verbe, elle change d’avis pour le passé composé (3). Comme le choix de l’imparfait pour un autre verbe était expliqué auparavant par la simultanéité, l’enquêtrice demande confirmation à ce sujet (10) et Kang fait alors référence à la notion de durée absolue en donnant un exemple « une heure ou trois heures » : l’emploi de l’imparfait signifierait que le procès dire a une durée indéterminée, mais en tout cas assez importante (11, 13).

Kim fait aussi le lien entre une certaine durée et l’imparfait pour avoir vingt ans dans 5-1 Paul avait vingt ans quand il a eu son accident de montagne : « Hm. Donc là, + Paul avait vingt ans. (E : Il avait vingt ans) C’est ça. C’est l’imparfait parce que le fait d’avoir vingt ans dure un an. (E : hm) « (Kim II, cor.).

Lee invoque directement une certaine durée de l’intervalle, comme on l’a vu dans l’extrait 102 pour heurter dans 6-8 elle l’a heurté violemment. Son choix étant le passé composé, l’enquêtrice lui demande de considérer l’imparfait, et c’est là que Lee fait référence à la notion de durée absolue (celle d’une certaine durée) qu’il véhicule : « ++ Si elle la euh heurtait (rire) euh... ça/ pour moi ça signifie un peu de temps (...) Sinon pendant... certain temps, mais c’est un petit peu bizarre. Ça sera un petit peu bizarre » (Lee I, fr.).

Lee garde la même idée dans le second entretien :

 

(Extrait 111) 6-5 Quand il est arrivé au carrefour, il ne pouvait pas ralentir et est tombé juste au moment où une voiture arrivait (Lee II, cor.)

1 E : Et il n’a pas pu, et ça ?

2 L : Hm ++

3 E : Seul le passé composé est possible ?

4 L : Il ne pouvait pas (E : hm) peut être aussi possible. Mais pour moi, je choisirai il n’a pas pu (E : hm) ralentir

5 E : Hm pourquoi ?

6 L : Si on dit il ne pouvait pas euh… ça veut dire que pendant un moment, il a essayé et a essayé de réduire la vitesse (E : hm) mais c’était impossible. (E : hm <XX) <ensuite il est tombé.

7 E : Hm et il n’a pas pu ?

8 L : Hm… on ne donne pas d’importance à ça, il n’a pas pu réduire la vitesse donc il <est tombé

 

Quant à la notion de durée absolue courte, elle est liée au passé composé. Kim fait référence à cette durée courte par la négation d’une certaine durée ou par un moyen direct. Comme on l’a vu dans l’Extrait 96, le procès avoir son accident dans 5-2 il avait vingt ans quand il a eu son accident de montagne, la possibilité de le mettre à l’imparfait lui semble inapproprié car, entre autres, « c’est pas durée » (Kim I, fr.).

 

(Extrait 112) 1-2 Je dormais quand mon fils m’a téléphoné d’Australie hier soir (Kim II, cor.)

K : Oui là dans cette phrase, (E : hm) le téléphone (E : hm) le téléphone a sonné n’est-ce pas ? (E : hm hm) Le téléphone a sonné. C’est un moment très court. Quand le téléphone a sonné pendant une période très courte, j’étais + j’étais en train de dormir, en entendant la sonnerie du téléphone. Donc ça c’était en cours, l’état (E : hm) où je fais l’action de dormir de façon continue. (E : hm) Ah c’est un état donc ici il y a à la fois l’état et une action en cours.

 

De la même manière, pour Kang, le passé composé indique la durée courte d’un procès :

 

(Extrait 113) 6-3 Un enfant d’une dizaine d’années faisait du skateboard sur le trottoir de la rue Caillaux (Kang I, fr.)

1 E : Alors donc à ton avis donc à quel moment tu dis que on peut pas mettre cent pour cent + imparfait à quel moment ++ euh... tu mets l’imparfait ?

2 K : Euh... un moment temporellement (E : hm) qui est courte (E : + ah d’accord) et... qui se passe très vite (E : hm-hm) ++ comme on on utilise naturellement euh le + le passé composé

3 E : + Attends donc c’est le passé composé qui.. qui marque... <quelque chose qui s’est passé vite

4 K : <C’est-à-dire le passé composé aussi euh... euh... euh le /kâpoze/ le passé composé aussi /dir/ euh le passé composé aussi peut dire (E : hm) le description (E : ah) le description qui se/ qui... qui se/ qui s’est pa-ssé non qui... est temporellement très courte

 

Lors du second entretien, Kang fait référence à la différence de durée absolue pour le procès reconnaître lorsqu’il est mis au passé composé et à l’imparfait. A l’imparfait, le procès aurait une durée plus longue qu’au passé composé :

 

(Extrait 114) 5-6 Quand il en est sorti, il était très faible et très maigre : on ne le reconnaissait pas (Kang II, cor.)

1 E : Y a-t-il une différence de sens ? Entre on ne l’a pas reconnu, et on ne le reconnaissait pas ?

2 K : ++ Euh quand on dit on ne le reconnaissait pas, quand il en est sorti est (E : hm), on parle seulement de l’état l’état où il se trouvait quand il est sorti de l’hôpital, ensuite quand on dit on ne l’a pas reconnu, (E : hm) on ne l’a pas reconnu, ça veut dire que quand on l’a vu la première fois, sur le moment, on ne l’a pas reconnu. (E : hm) C’est-à-dire que le temps est plus court que pour on ne le reconnaissait pas (E : hm) et un peu + hm ++ on l’a pas reconnu sur le moment et puis hm… +++++ Oui. Je pense que c’est ça. (rire)

 

10.2.1.2. Les formulations de la durée absolue

Les formulations de la durée absolue peuvent être directes, exprimées avec des qualificatifs explicites, signifiant « court » ou « long ». Elles peuvent être aussi indirectes, exprimant la durée et la non-durée par divers procédés : exemplification, comparaison ou explicitation de la longueur de la durée.

 

Durée absolue : passé composé et imparfait

 

Premier entretien

 

Second entretien

Kang

- expression d’une certaine durée par exemplification : depuis une heure ou trois heures (IMP)

- expression directe de non-durée : un moment temporellement qui est courte (PC)

Kim

- expression d’une certaine durée par explicitation : un an[181] (IMP)

- expression directe de non-durée : moment très court, pendant une période très courte (PC)

Lee =

- expression directe d’une certaine durée : un peu de temps, pendant certain temps (IMP)

Kang

- expression directe de non-durée par comparaison : le temps est plus court que... (PC)

Kim =

- négation de durée : pas durée (PC)

Lee

- expression directe d’une certaine durée : pendant un moment (IMP)

[Tableau 34 : Formulations de la durée absolue]

10.2.1.3. Opérationnalité

La référence à la durée absolue apparaît spontanément, ou à la suite de la demande de l’enquêtrice de considérer l’imparfait, temps non choisi par l’apprenante, ou encore à une intervention non orientée sur la durée. Elle est verbalisée encore après la demande de différence entre l’emploi des deux temps. Kim se distingue des autres par sa verbalisation spontanée. Mais même si la verbalisation de cette notion n’est pas toujours spontanée chez les apprenantes, la durée absolue, localisée dans le prédicat (verbe et argument) et dans le modal (pouvoir V), jouit d’une certaine opérationnalité, fonctionnant comme notion intuitive.

10.2.2. Durée relative

La notion de durée relative désigne le jugement de durée d’un procès considérée par rapport à celle d’un autre procès.

10.2.2.1. Les verbalisations en entretien

La durée relative est employée par Kang et Lee, en particulier pour l’explication de l’emploi de l’imparfait. Dès le premier entretien, Lee possède la notion de la durée relative impliquée dans les procès à l’imparfait et au passé composé mis en relation, parallèlement à la notion de durée absolue. Une discussion assez longue se déroule sur ce thème à propos du verbe accompagner :

 

(Extrait 115) 2-3 Alors, je l’ai accompagné à la gare (Lee I, fr.)

1  E : (...) Passé composé, c’est quelque chose de... ponctuel donc

2  L : Oui à certain temps à certain point. (...)

3  E : Si le trajet est long, on peut dire je l’accompagnais ?

4  L : Je pense que ça dépend d’un point de vue parce que euh même on... même on utilise passé composé, ça peut être durer euh... pas mal pas mal de durée et pas mal d’heures. Je pense que.. qu’il faut distinguer l’imparfait et passé composé euh.... +++ comment ++ pendant hm/ *non* parmi des... ++ parmi du temps qu’on... cite. Parce que euh... selon ++ si on... hm ça dépend de personnes qui /e/ s’expriment + euh... son opinio/ qui qui ex/ qui expriment son opi/son opinion (coupure) pour quelqu’un on peut utiliser l’imparfait pour.. + pour... + une cer-taine durée mais + plutôt court

5  E : Imparfait pour quelque chose de court ? (L : ouais) Tu dis que ça dépend des gens qui parlent ?

6  L : Oui ça dépend des gens et ça dépend des idées quand on... veut quand on envisage le temps (E : hm) ++ euh... + <hm... (...) <Dans une histoire euh quand on... quand on parle de.. d’histoire, (E : hm) euh l’imparfait peu-vent *non* l’imparfait peut utili/ est/ peut être utilisé pour... cent ou deux cent les/ le temps très long. (E : hm) Et... + en revan/ euh/ et le passé composé peut être... aussi peut être utilisé pour les actions (E : hm) mais qui durent.. assez longtemps. (E : hm) + <C’est-à-dire

7  E : <Par exemple où est la/ la limite ? C’est-à-dire..

8  L : Ou un mois ou deux mois.

9  E : Tu crois juste pour un ou deux mois jusqu’à un ou deux mois ?

10 L : Non non. (E : <(rire)) Y a pas de limite. (E : ah bon ? (rire)) Mais (E : <hm) <euh dans ce cas dans ce cas, (E : hm) hm... l’imparfait... non passé composé ça dure + moins de... moins/ moins d’une... journée + ici

11 E : Ah ici ?

12 L : Oui. (E : hm-hm) C’est-à-dire

13 E : Même si c’est long le trajet ?

14 L : Oui. (E : c’est...) On on peut pas... limiter on/ on peut pas délimiter ? <limiter (E : <hm.. limiter) euh on peut pas juger le temps qui est convenable pour l’imparfait et (E : hm) qui/ (E : hm) hm pour passé composé. C’est <tout à fait concerné ( ?)

15 E : <Hm même si pour toi pour toi donc, il y a une certaine règle ou un principe comme ça c’est pas...

16 L : Il n’y a pas de règle pour juger le temps (E : hm) hm..

17 E : Oui mais comment il faut bien employer...

18 L : Je pense qu’il faut.. comprendre dans le contexte (E : hm ++ hm-hm) +++ (...) Et je... hm.. + ce que... ce que j’ai dit (E : hm) tout à l’heure, c’est pas... + c’est pas le problème de... l’état et de l’action. + (E : hm...) L’état et l’action, ça c’est toujours existe dans certaine.. en histoire ou dans certaine situation. Mais + parfois.. l’action peut être très... ah/ peut avoir très long durée. (E : hm-hm) C’est possible. C’est pour ça je... je <vous ai dit comme ça.

19 E : <Donc dans ce cas là, on utilise le passé composé ou l’imparfait ? Si une action est... dure longtemps

20 L : Même c’est c’est dure/ ça dure longtemps si... + hm + <si c’est (E : <parce que) convenable pour passé composé, (E : hm) il faut... il faut utiliser passé composé.

21 E : Parce que une action qui dure très longtemps, on peut le... on peut le voir comme un <état.

22 L : <Mais... euh c’est... + même si l’action est dure... très longtemps, (E : hm) euh... il faut juger par rapport l’état + qui est.. qui/ oui qui continuait depuis/ par rapport il faut + comparer avec l’imparfait. (E : hm) +++ Vous ne com/ + prenez pas (rire) ce que je + je dis (rire)

 

Lee avance en 4 que les durées liées au passé composé et à l’imparfait sont à envisager l’une par rapport à l’autre. Tout au long de l’interaction, Lee affirme la non-pertinence de la durée absolue (4, 6), ce qui va de pair avec la notion de durée relative. Elle tombe à un moment dans le piège en donnant un seuil de durée objective en deçà de laquelle on emploierait le passé composé et au delà de laquelle on utiliserait l’imparfait (8). Mais elle se corrige aussitôt et dit qu’il n’existe pas de durée objective de temps mesurable qui dicterait l’emploi des deux temps (14, 16). L’opposition qu’elle établit entre la durée absolue et la durée relative se manifeste encore dans sa mise en relation spontanée entre durée et une autre paire de notions, par ailleurs opératoire chez elle, état/action : l’« action » ne désigne pas forcément un procès court du point de vue absolu, et de même, l’« état » n’est pas quelque chose de long (18). La durée est une vision relative des deux procès en relation, indépendamment de leur durée absolue (22).

Ainsi, le choix de l’imparfait pour pleuvoir dans 4-4 Quand ils sont arrivés à Rennes, il pleuvait et est également justifié par cette notion : « par rapport à cette action [arrivée à Rennes], c’est une durée », en mettant en opposition action et durée. De même, pour rester dans 5-3 Il restait huit mois à lhôpital, Lee l’identifie comme un procès relevant de la durée, par rapport à l’action sortir de la phrase suivante, qui est vue comme un procès court : « le fait qu’il est sorti, ça coupe la durée » (Lee I, fr.).

Lors du second entretien, Lee s’appuie sur une vision relative pour les durées de deux procès dormir et téléphoner dans 1-1, 2 Je dormais quand mon fils ma téléphoné hier soir : « le fait de dormir est une situation relativement à long terme par rapport à l’appel téléphonique » (Lee II, cor.). C’est aussi à cette notion qu’elle fait appel, comme nous l’avons vu dans l’extrait 82, pour expliquer le choix possible du passé composé pour pleuvoir dans 4-5 et il a plu pendant tout leur voyage, pour lequel elle avait choisi d’abord l’imparfait :

L : L’adverbe qui indique le temps, on peut mettre l’imparfait ou le passé composé selon ce qu’on pense de l’adverbe. (...) Si on considère le « pendant quelque chose » comme une durée courte, par rapport à un autre événement qu’on raconte, la… durée courte, si elle est concrète, on peut dire il a plu, ou si cette durée est liée à l’autre hm… ++ (Lee II, cor.)

 

Cette notion apparaît chez Kang notamment dans le second entretien, comme on l’a vu dans l’extrait 21, dans son commentaire avant l’exercice :

K : Le passé composé, quand il y a eu une action quand il y a eu un point c’est-à-dire, XX Il y avait un état par exemple, je dormais, j’étais fatigué, ou alors je regardais quelque chose, et des trucs comme ça, et puis à ce moment là, des événements qui se sont produits en coupant [cette situation]. Bien sûr, ces événements prennent du temps depuis leur développement jusqu’à la fin mais par rapport au déroulement de l’imparfait, et à l’état de l’imparfait euh… c’est relativement court et momentané (Kang II, cor.)

 

On note que c’est la notion de durée relative qui est jugée opératoire dans l’emploi du passé composé et celui de l’imparfait, malgré la durée absolue qui existe (« ces événements prennent du temps depuis leur développement jusqu’à la fin »).

Cette notion est utilisée pour l’explication du choix de l’imparfait pour le verbe ouvrir :

 

(Extrait 116) 3-1 Quand il ouvrait la porte, elle lui a souri et lui a dit : je t’attendais (Kang II, cor.)

1 E : Bon là, si on regarde quand il ouvrait la porte, tout à l’heure, tu as dit que l’imparfait marque + un état (K : hm) ou, et là qu’est-ce que c’est ? cet imparfait ?

2 K : Ici, l’imparfait (E : hm) + quand il (bas) +++ Ça aussi ça explique une situation, une situation quelconque. (E : hm) +

3 E : Quoi ? La situation d’ouvrir la porte ?

4 K : Oui. (E : hm…) Comment dire, + c’est un peu trop court (E : hm) mais quand même ça explique la situation, ensuite (E : hm) elle (E : hm) lui a souri et puis elle a dit. (E : hm)

5 E : (...) Quand il ouvrait, ça établit une situation ou un état ?

6 K : Oui oui

7 E : Mais au début, tu as dit que le passé composé, ça concerne en général les actions/ Mais ouvrir, ce n’est pas une <action ?

8 K : <C’est… une action mais un temps/ c’est-à-dire ça peut être une différence de notion de temps relative. (E : hm) + Je te l’avais dit tout à l’heure. (E : hm) Elle sourit, elle/ ah dit quelque chose (E : hm) tout ça euh… +++

 

Kang explique d’abord son choix de l’imparfait par la fonction discursive du procès (explication de la situation) (2) qui est jugée plus pertinente que la durée absolue (« c’est un peu trop court mais ») (4). L’enquêtrice introduit à ce moment-là une autre notion proposée auparavant par Kang, celle d’action, liée à l’emploi du passé composé, en disant que la prise en compte de cette notion est contradictoire avec son choix de l’imparfait (7). Kang réplique comme Lee que ce qui est plus pertinent que la notion d’action, qui est toujours valable, c’est la « notion de temps relative » existante entre le procès à l’imparfait et les autres, sourire et dire, au passé composé (8).

10.2.2.2. Les formulations de la durée relative

Les verbalisations contiennent la référence à deux procès par la nature de la notion elle-même. Kang et Lee emploient les termes relatif ou relativement ou encore par rapport à pour exprimer la relativité des durées des deux procès. Ces durées mises en relation sont qualifiées par les adjectifs, court et long (ou par le nom durée).

 

Durée relative : passé composé et imparfait

 

Premier entretien

 

Second entretien

Lee

- relativement long terme

- par rapport à cette action, c’est une durée

Kang

- action, événement, c’est relativement court et momentané

- notion de temps relative

 

 

Lee

- durée courte par rapport à un autre événement

[Tableau 35 : Formulations de la durée relative]

10.2.2.3. Opérationnalité

La référence à la durée relative apparaît lors d’une réponse à une question non orientée de l’enquêtrice ou à sa demande de considérer le temps alternatif non choisi. Mais Kang et Lee en parlent aussi dans un commentaire général, montrant que cette notion de durée relative est facile d’accès pour elles. Dans ces verbalisations théoriques, la notion semble régir l’emploi de l’imparfait et du passé composé. Mais l’application sur des exemples concrets montre son opérationnalité partielle : tantôt elle sert à justifier une combinaison de temps non adéquate, tantôt le repérage d’un procès court se fait d’une façon erronée.

10.2.3. Relativité de la vision des locuteurs

La notion de durée relative concernant les procès à l’imparfait et au passé composé correspond, en contexte de production, en une notion de relativité entre locuteurs : le choix entre le passé composé et l’imparfait, en tant que porteurs de la notion de durée ou d’autres, dépend en fait du locuteur. Par rapport aux autres notions auxquelles font référence nos apprenantes pour le choix du temps, c’est une métarègle.

10.2.3.1. Les verbalisations en entretien

Toutes les apprenantes expriment cette notion, mais plus particulièrement Lee et Kang. Lee fait le plus souvent référence à cette notion. Dès le premier entretien, elle avance que le choix entre le passé composé et l’imparfait dépend en fait du locuteur, comme on l’a vu dans l’extrait 115 : « Ça dépend de personnes qui expriment son opinion. Pour quelqu’un, on peut utiliser l’imparfait pour une certaine durée mais plutôt court. (...) Ça dépend des gens, ça dépend des idées quand on envisage le temps (...) » (Lee I, fr.).

En effet, le locuteur jouit de la liberté dans le choix de temps, dans le sens où c’est lui qui choisit les perspectives dans lesquelles il place les procès, eux-mêmes sélectionnés par lui : il peut choisir de montrer un procès dans sa situation finie par rapport au moment repère ou un procès déjà entamé dans son état continuatif ou en déroulement par rapport au repère. Ainsi, on peut dire avec Namenwirth (1995) que l’étape ultime dans l’acquisition des temps en français est la maîtrise de jeux de mise en perspective des procès.

Mais cette notion de relativité par mise en perspective des procès en relation semble subir un glissement de sens et semble être interprétée par Lee comme une liberté d’interprétation de la durée d’un procès. Par exemple, pour le verbe rester dans 5-3 Il est resté huit mois à l’hôpital (extrait 82), pour lequel elle a choisi le passé composé, elle dit lors du second entretien qu’on peut mettre l’imparfait, si « on insiste sur la durée huit mois » ou « si on met l’accent ou si on s’en préoccupe » (Lee II, cor.). Par contre, la relativité entre locuteurs chez Kang lors du premier entretien ne porte pas sur l’interprétation de la durée d’un procès comme chez Lee. Elle parle de la différence d’intention du narrateur notamment du point de vue discursif :

 

(Extrait 117) 6-1 Hier, un accident se produisait au carrefour (...) (Kang I, fr.)

1 E : Oui mais est-ce que/ que/ quelle impression ça te donne ? si on dit euh hier un accident se produisait au carrefour est-ce que tu... + tu as une <impression\

2  K : <Ah j’ai l’impression que <je... (E : <hm) j’étais là-bas <et... (E : <hm-hm) et...

3  E : Donc tu as tu regardais ?

4  K : Hm-hm

5  E : Tu... tu vois l’accident c’est <ça ?

6  K : Hm (E : hm) ++ ou je je pense que quand j’ai... j’étais là-bas (E : hm) pendant ++ ah non quand un accident est/ et quand un accident s’est produit (E : hm) j’étais là-bas et... puis euh j’ai regardé (E : hm) eh +++++ <XXX

7  E  : <Donc c’est quand on utilise le... l’imparfait tu as cette impression là + c’est ça ?

8  K : Hm-hm

9  E  : + Et un accident alors quand on dit donc comme tu as mis là un accident s’est produit c’est-à-dire que... tu n’étais pas là ?

10 K : + Si

11 E : + Donc là aussi tu peux être là ?

12 K : Hm-hm mais j’ai pensé <p/ (E : <mais quelle est...) c’est pas c’est pas c’est... le le temps + ah non hm... l’existence (E : <hm) <hm/ mon existence c’est... c’est pas important (E : hm) + (E : <donc qu’est-ce qui...\) <mais c’est... ça ++ si on /metr/ im/ l’imparfait ou passé composé c’est ça dépend de ++ de narrateur (E : hm-<hm) <qui voudrait montrer

13 E : <Qui voudrait monter quoi donc qu’est-ce/ euh dans quelle... ++ quand <on utilise

14 K : <Si on... on veut met/ on veut mettre... <hm...... hm......

15 E : <Imparfait ça veut dire qu’on veut... montrer quoi par exemple ?

16 K : La vitesse la vitesse ou.. le.. hm ++++ je ne sais pas * comment on dit la tension ?* (rire)

17 E : Hm... *la tension* c’est... quelque chose de tendu + c’est le la tension hm <tension hm

18 K : <La tension + <la vitesse

19 E : <Quoi ? quand on utilise le... passé composé ?

20 K : Non + impar<fait

21 E : <Imparfait ? ah... c’est-à-dire on a + il y a la tension on ressent la tension +++

 

Le choix de l’imparfait ou du passé composé dépend du locuteur (12) et l’imparfait indique en particulier l’intention du narrateur de montrer la « tension », la « vitesse » dans le récit (16).

Lors du second entretien, Kang parle de la relativité mais d’une autre nature :

 

(Extrait 118) Commentaire après l’exercice (Kang II, cor.)

1 E : Euh… après cet exercice, le passé composé, c’est, quand il y a une action, cette action a lieu, par exemple, quelqu’un est parti, n’est plus là, ou quelque chose comme ça, et en tout cas, le résultat est

2 K : Oui. C’est ça mais (E : hm) ce qui… est important, en tout cas, si on veut dire ainsi, c’est toujours relatif. (E : hm) Comme tu l’as dit tout à l’heure, on peut utiliser le passé composé, le passé composé, (E : hm) l’imparfait, l’imparfait aussi. (E : hm) Et l’imparfait est dans la phrase principale, (E : hm) le passé composé est euh… c’est quoi ? le…

3 E : Subordonnée

4 K : Oui dans la phrase subordonnée, comme ça. C’est pas systématisé de cette manière, mais (E : hm) selon le contenu, le contexte de toute la phrase, (E : hm) ça peut varier. (E : hm) Je pense qu’il faut donc d’abord lire la phrase.

 

L’enquêtrice aborde une valeur du passé composé, celle du perfect résultatif qui était implicitement mentionnée par Kang avant l’exercice et qui a été formulée à plusieurs reprises durant l’exercice (1). La relativité dont parle Kang (2) ici, c’est celle de l’emploi des temps, notamment celui de la combinaison des temps dans les phrases complexes, leur choix dépendant des locuteurs.

Cette notion de relativité entre locuteurs devient un moyen de justification commode de la double acceptation (le passé composé et l’imparfait jugés tous deux acceptables) à laquelle nos apprenantes aboutissent au fil de l’interaction. Ainsi, Lee qui juge acceptable l’emploi du passé composé du verbe avoir mal, pour lequel elle avait choisi d’abord l’imparfait, fait référence au choix du locuteur :

 

(Extrait 118) 6-16 il a réussi à partir lui aussi ; pourtant il a eu mal sûrement ! (Lee I, fr.)

1 E : Alors pourtant il avait mal ++ (L : sûrement) sûrement hm-<hm. (L : <hm) Pourtant il avait mal sûrement + donc là ça...

2 L : Il avait mal ou il a eu mal (E : <hm-hm) <Ça marche tous les deux (E : ah ) je crois

3 E : Tous les deux <oui ? (L : <hm) Pourtant il a eu <mal sûrement

4 L : <C’est... <hm... (E : <hm-hm) c’est par rapport ++ euh les gens qui parlent qui /deskriv/ (E : hm-hm) + cette situation. (E : hm-hm)

 

Lee prend l’initiative de considérer le passé composé et le trouve acceptable aussi (2). La double acceptation est expliquée par le fait que le locuteur choisit l’un ou l’autre temps verbal selon ce qu’il veut exprimer (4). Lee réitère la même analyse dans le second entretien pour le même verbe :

 

(Extrait 120) 6-16 L’enfant s’est retrouvé tout seul, il a eu peur et a réussi à partir lui aussi ; pourtant il a eu mal sûrement ! (Lee II, cor.)

1 L : Hm sinon, les deux sont possibles.

2 E : Où ? tous les deux ? il a eu et il avait ?

3 L : Hm (E : hm) Selon comment on voit la situation, comment on la voit relativement (E : hm) il avait mal sûrement, ou il a eu mal sûrement. (E : hm).

 

Selon Lee, c’est la vision de la situation du locuteur qui déterminerait le choix du temps, le passé composé ou l’imparfait, sans préciser ici quelles sont ces visions différentes.

La même réponse est donnée par Kim aussi qui hésite entre restait et est resté (5-3 il est resté huit mois à l’hôpital), après avoir choisi spontanément restait comme dans le premier entretien (cf. l’extrait 68) : « Oui je pense que les deux sont possibles, là aussi selon les points de vue. (rire) » (Kim II, cor.).

10.2.3.2. Les formulations de la relativité de la vision des locuteurs

C’est en paraphrases que les apprenantes expriment la relativité entre locuteurs, dans lesquelles on trouve des expressions avec le verbe dépendre, ou des mots comme points de vue, relativement, relatif.

 

Relativité de la vision des locuteurs : passé composé et imparfait

 

Premier entretien

 

Second entretien

Lee

- ça dépend des gens

- c’est par rapport les gens qui parlent

- si on insiste sur la durée

Lee =

- selon comment on voit la situation, comment on la voit relativement

Kang

- ça dépend de narrateur

Kim =

- les deux [temps verbaux] sont possibles selon les points de vue

 

 

Kang =

- c’est toujours relatif

[Tableau 36 : Formulations de la relativité de la vision des locuteurs]

10.2.3.3. Opérationnalité

Comme la notion de durée relative, la référence à la relativité entre locuteurs est verbalisée à la demande de considérer le temps non retenu, ou à la demande de confirmation de la double possibilité de choix, ou encore à la suite d’une intervention de l’enquêtrice non orientée sur la notion. Kang et Lee en parlent dans un commentaire général, ce qui indique que c’est, pour elles, une connaissance métalinguistique accessible, prête-à-verbaliser. A la différence de Kang et de Kim, Lee y fait également appel spontanément dans les deux entretiens.

Par la verbalisation précise de cette notion, nos apprenantes montrent qu’elles savent que le choix du passé composé ou de l’imparfait pour un procès est un choix du locuteur, que ce soit dans une phrase simple ou complexe. Mais elles ne savent pas réellement ce qui motive les différents choix du locuteur. Cette incomplétude des connaissances les conduit à faire l’hypothèse que ce qui motive le choix de l’un ou l’autre temps chez les locuteurs, c’est tantôt leur interprétation subjective de la longueur de l’intervalle du procès, tantôt les valeurs discursives différentes perçues. Ceci montre qu’une connaissance métalinguistique qui ne comporte pas de conditions d’emploi reste inopérante.

10.3. Types de jugement de durée

Du point de vue du jugement, nous observons deux types de durée : durée objective, durée subjective. La durée objective correspond à la durée relative que nous avons examinée, car le jugement de la durée d’un procès comme plus long ou plus court par rapport à la durée d’un autre procès est un jugement objectif. Par contre, la durée subjective recoupe la durée absolue, dans le sens où le jugement d’une durée comme longue ou comme courte du point de vue absolu dépend en fait du jugement du locuteur.

10.3.1. Durée subjective

Les durées absolue et relative étant déjà examinées, nous présenterons un cas particulier de durée subjective observé chez Kim.

10.3.1.1. Durée subjective ressentie par l’actant

Outre la durée absolue assignée par le locuteur, on observe chez Kim un exemple où elle introduit la dimension subjective de l’actant pour le jugement de durée d’un procès :

 

(Extrait 121) 6-5 Quand il est arrivé au carrefour, il ne pouvait pas ralentir et est tombé juste au moment où (...) (Kim II, cor.)

1 K : Ensuite ralentir, donc le fait qu’il ne pouvait/ n’a pas pu ralentir [djul-il-su-ka ôp-ôt-ta], ça veut dire qu’il voulait depuis un moment ralentir mais (E : hm) il voulait ralentir depuis un mo/ juste le moment/ ah ce n’est pas juste le moment mais, le fait qu’il voulait réduire ralentir est (E : hm) je pense qu’il a dû faire des efforts pour ralentir. (E : hm) Un peu. La seconde, c’est une seconde mais ici c’est une seconde un peu longue (E : hm) donc

2 E : Donc l’imparfait ?

3 K : J’ai mis l’imparfait. (E : hm hm hm).

 

La durée objective du procès ralentir est courte (« une seconde ») mais du point de vue de l’actant, en l’occurrence, du garçon qui fait des efforts pour ralentir, il s’agit d’une « seconde un peu longue ». Cette interprétation contraste avec celle de Lee (cf. extrait 111) au sujet de l’emploi de l’imparfait pour ce même verbe : Lee attribue réellement une certaine durée objective au procès (« il a essayé pendant un moment »), alors que Kim place la durée non sur le plan objectif, mais sur le plan psychologique et subjectif de l’actant.

10.3.1.2. Les formulations de la durée subjective

L’interprétation d’une durée subjective ressentie par l’actant est exprimée par Kim en une paraphrase mettant en contraste la durée objective et la durée ressentie par l’actant, relié par le connecteur marquant l’opposition mais.

Durée subjective

 

Premier entretien

 

Second entretien

 

 

Kim

- c’est une seconde mais c’est une seconde un peu longue

[Tableau 37 : Formulations de la durée subjective]

 

La notion de durée est sans doute universelle et on ne peut effectivement pas en faire l’économie lorsqu’on parle des phénomènes aspecto-temporels. Mais cette notion, fréquemment utilisée par nos apprenantes sous différentes formes, est une source de confusion et d’erreurs. Parmi diverses notions de durée, celle de durée relative et celle de la relativité entre locuteurs se présentent chez nos apprenantes comme des principes généraux d’emploi des deux temps. Elles rendent en effet mieux compte des phénomènes aspectuels que toutes les autres notions examinées. Mais si ces connaissances sont disponibles et prêtes à être verbalisées par nos apprenantes (comme le montre leur verbalisation dans les commentaires généraux), elles ne sont pas encore opérationnalisées, montrant par là une des difficultés du processus d’appropriation : transformer des connaissances générales (de type déclaratif) en connaissances manipulables, applicables dans des cas concrets, par l’acquisition de règles procédurales (notamment les conditions d’emploi).

11. Autres valeurs

Nous observons d’autres types de verbalisations, à caractère idiosyncrasique, qui apparaissent lorsqu’on demande de considérer l’autre forme verbale non choisie, et de comparer les emplois des deux temps. Il s’agit d’impressions ou effets ressentis, ou des interprétations personnelles liées à l’emploi du passé composé ou de l’imparfait, notamment en contexte de reconnaissance. Les deux temps peuvent faire l’objet d’une verbalisation séparée, ou commune dans une approche contrastive. Nous présenterons ici quelques unes de ces nombreuses verbalisations.

11.1. Effets du passé composé

11.1.1. Objectivité et autres

L’objectivité se présente chez Lee et Kang comme une caractéristique représentative du passé composé parmi celles véhiculées par ce temps verbal. Le degré d’objectivité est jugé plus élevé par rapport à celui véhiculé par l’imparfait. La verbalisation de cette caractéristique, observée dans le premier entretien, s’accompagne souvent de celle d’autres caractéristiques.

Concernant l’emploi du passé composé pour le verbe réussir à partir, Lee verbalise les interprétations personnelles suivantes :

 

(Extrait 122) 6-15 L’enfant s’est retrouvé tout seul, il a eu peur et a réussi à partir lui aussi (Lee I, fr.)

1  E : Et... il a réussi + à partir lui aussi (L : oui) C’est-à-dire là maintenant c’est un acteur qui fait une action ? (rire) (L : (rire)) <ou...

2  L : <Oui c’est une... c’est le fait hm... ++ objectif (E : hm-hm)

3  E : + C’est-à-dire ça veut dire quoi ? C’est-à-dire, si on mettait il réussissait + à partir lui aussi + ce n’est pas objectif ?

4  L : ++ Hm hm ++ Oui c’est plus précis.. (E : hm-hm) pré-cis ?

5  E : Hm-hm

6  L : Et plus.. simple (E : hm-hm) (rire) + hm.. +

7  E : Plus simple ? C’est-à-dire <par rapport à quoi ?

8  L : <Hm +++++++++

9  E : Il a réussi (bas) il a réussi (bas) Il réussissait à partir lui aussi.

10 L : C’est le/ c’est la terminaison de... cet accident, ça se termine (E : ah d’accord) cet accident (E : hm-hm) + hm...

11 E : Donc c’est pas possible de mettre à l’imparfait, parce que l’imparfait c’est.. + le paysage c’est ça ? (L : oui) pas la XXX de l’histoire

12 L : + Hm hm.. +++++++ C’est pas la peine de mettre imparfait ici <je crois. (E : <hm-hm) +++

 

En faisant référence à la métaphore des acteurs dans le théâtre dont parlait Lee, l’enquêtrice demande confirmation sur le rôle du passé composé (1) et en guise de réponse, Lee parle de l’objectivité (2) que véhiculerait le passé composé, et du caractère plus précis (4) et plus simple (6) que ne le donnerait sans doute l’imparfait.

Cette objectivité que véhicule le passé composé est également perçue par Kang dans la suite de l’extrait 117 :

 

(Extrait 123) 6-1 Hier, un accident se produisait au carrefour (...) (Kang I, fr.)

1  E : (…) Et alors que là le passé composé il y a moins tension c’est ça ?

2  K : Hm... + hm... +++ peut-être on pourrait dire que s... ça me donne l’impression (E : hm) que un narrateur est (E : hm) troisième personne

3  E : Euh quand on met le... passé composé ? hm...

4  K : Et... (coupure)

5  E : Donc tu crois que ++ quand le narrateur la troisième personne l’utiliserait plus souvent le passé composé ? + qu’est-ce que tu cherches là ?

6  K : (K cherche dans le dictionnaire) (rire) ce que je cherche c’est... (E : hm) (rire) c’est un mot que j’ai oublié (rire) (E : hm ouais) pendant les vacances (rire) j’ai XX te demander ((rire) ++ je/ je ne sais pas je XXX cette question (rire) hm... + hm... voilà (rire) (E : hm) c’est plus objectif

7  E : C’est plus objectif ?

8  K : Oui

9  E : Ah quand on utilise le passé composé c’est plus <objec\

10 K : <Par rapport/ par rapport... <imparfait (E : <ah..) par rapport par rapport cette cette phrase (E : oui) mais + on sait bien que... s/ dans ces phrases là (E : oui) on utilise que le.. + le... passé composé (E : que le passé composé) l’imparfait c’est c’est vraiment rare

11 E : (...) + Donc on a l’impression que ça s’est passé très vite ? ou (K : <hm) <quelque chose comme ça ? hm alors que avec le passé composé s’est pass/ s’est produit hier un accident s’est produit

12 K : C’est plus <objectif (E : <euh...) parce que tout le monde + a regardé ou a vu euh... un accident (E : hm-hm) et... c’est un accident qui est déjà fait (E : hm-hm) et ++ et... naturellement qui.. qui est fini (E : hm-hm) (rire) hier (E : hm-hm) voilà (rire)

13 E : Hm donc avec l’imparfait + euh... donc c’est pas tout le monde n’a pas vu alors l’accident (K : non non) donc c’est plutôt moi tout... tout seul ?

14 K : Je pense que euh... + la personne <qui (E : <hm) regarde l’accident (E : oui) c’est... tout le monde (E : oui) euh... si on /metr/ le <passé composé (E : <le passé composé hm-hm) c’est tout le monde (E : oui) mais si on /metr/ euh... l’imparfait (E : oui c’est <plutôt) <c’est... c’est moi ou c’est une personne <ah (E : <qui) particulière <qui regarde (E : <hm-hm hm) avec son intention (E : + hm-hm) avec son impression (E : hm-hm d’accord) (rire)

 

Nous avons vu dans l’extrait 117, pour Kang, l’emploi de l’imparfait témoigne de l’intention du narrateur de donner dans le récit la tension et la vitesse sur le plan discursif. Dans la suite de l’interaction ci-dessus, Kang verbalise un sentiment que lui donne l’emploi du passé composé : le narrateur est une tierce personne (2). Il s’agit d’une distance qu’elle ressent entre le narrateur et l’événement qu’il relate, qu’elle qualifie d’objectif, plus loin, à l’aide d’un dictionnaire (6). Cette objectivité du passé composé est liée au fait que « tout le monde a vu l’accident » (12), alors que l’imparfait donne une vision plutôt subjective, d’« une personne particulière » (14).

Le caractère objectif lié à la vision commune de plusieurs témoins d’un événement s’observe encore au sujet de trois procès au passé composé arriver, ne pas pouvoir ralentir et tomber du même récit :

 

(Extrait 124) 6-4, 5, 6 Quand il est arrivé au carrefour, il n’a pas pu ralentir et est tombé juste au moment où une voiture arrivait (Kang I, fr.).

1 E : Donc ensuite quand il est arrivé au carrefour il n’a pas pu ralentir et tombé sur l’avenue d’Italie + bon là tu as mis tout au passé composé hein + c’est-à-dire est-ce que c’est une description ou pas ? + <XX

2 K : <Description (E : oui) et... en même temps c’est\

3 E : Ça se passe rapidement c’est ça ?

4 K : Oui c’est un description oui ça se passe rapidement (E : hm) en même temps c’est un f.../ + c’est un fait réel (E : hm...) et +++ (E : <quand il est arrivé) <qui s’est/ qui s’est passé hier (E : hm-<hm) <et/ on a vu (E : hm-<hm) + <on a vu tous (E : hm-hm) ensemble +

5 E : On a vu tous ensemble c’est-à-dire le narrateur et ++ qui ? qui on ?

6 K : C’est-à-dire les f/ on est tout le monde qui<... (E : <hm) qui était là (E : hm) et... +++ voilà + oui voilà c’est... c’est plus objectif

 

Le fait que l’accident est un « fait réel » (4) contribue pour Kang au caractère objectif (4, 6) du passé composé.

11.1.2. Les formulations des effets ressentis pour le passé composé

Les différentes valeurs interprétatives ne rentrent pas dans le mécanisme de choix du temps verbal. Elles sont exprimées par des adjectifs, souvent dans une construction avec le présentatif c’est qui peut inclure la structure de comparaison plus-(que). Outre la verbalisation du caractère objectif, Kang explicite également ce qui rend un procès objectif.

 

Effets ressentis en situation de reconnaissance pour le passé composé

 

Premier entretien

 

Second entretien

Lee

- c’est (le fait) objectif

- c’est plus précis

- plus simple

 

 

Kang

- le narrateur est 3e personne

- plus objectif : un fait réel ; on a tous vu ensemble; tout le monde a regardé un accident

 

 

[Tableau 38 : Formulations des effets ressentis pour le passé composé]

11.2. Effets de l’imparfait

Seule Kang verbalise des effets ressentis de l’imparfait, et ce dans les deux entretiens.

11.2.1. Caractère vivant, vitalité

Pour Kang, l’emploi de l’imparfait donne un effet discursif particulier au procès. Nous avons déjà vu dans l’extrait 117 que Kang parlait de la tension et de la vitesse que véhicule l’imparfait. Elle fait référence de nouveau à ces notions discursives pour le verbe tomber :

 

(Extrait 125) 6-6 Quand il est arrivé au carrefour, il n’a pas pu ralentir et tombait sur l’avenue d’Italie juste au moment où une voiture arrivait (Kang I, fr.)

1 E : + Il est tombé + sur l’avenue d’Italie ++ est-ce qu’on peut dire et IL TOMBAIT comme ça ?

2 K : Oui aussi dire si... <si le narrateur (E : <XXX oui) + <le désire (E : <c’est-à\) <si le narrateur (E : <ah bon) le désire (E : hm-hm) pour montrer la vitesse et la/ la... la tension

3 E : Ah... d’accord c’est-à-dire quand on dit et il tombait c’est-à-dire il tombe plus... vite c’est ça ? <XXX que

4 K : <Non non (E : non ?) la vitesse c’est-à-dire la vitesse de... cette histoire euh... la vitalité ? +

5 E : La vitesse de cette histoire ? (bas) + la vitalité ?

6 K : Ah/ quand le narrateur (E : oui) donne la vitalité (bas) (rire) ou cet/ à cette histoire (E : hm) comme/ comme/ comme si euh... cet accident se passait (E : <hm) <euh... à côté/ autour d’eux...

7 E : Ah... c’est pour donner plus de... de sens de réalité (K : hm) c’est comme si + c’est ça ? (K : hm) hm... donc si on veut exprimer ça on peut mettre euh... à l’imparfait ? (K : hm) hm et.. <si on met le\

8 K : <Ça dépend de de l’intention de narra<teur

 

L’enquêtrice interroge sur l’acceptabilité de l’imparfait pour tomber et Kang le trouve acceptable si l’intention du narrateur est de montrer les fameuses vitesse et tension (2). L’enquêtrice demande des précisions sur la vitesse en proposant une possibilité d’interprétation du mot (3) et Kang répond qu’il s’agit en fait de la vision de l’événement et introduit un autre terme pour la décrire, la vitalité (4). Face à une demande implicite de précision par répétition et intonation montante de l’enquêtrice (5), Kang tente d’expliquer en quoi consiste la vitalité (6) : celle-ci se manifeste quand le narrateur montre un événement dans son déroulement. Cette intention du narrateur qui rejoint la notion de relativité entre locuteurs, est prise en charge par l’imparfait.

Kang accepte l’imparfait pour courir aussi pour la même raison :

 

(Extrait 126) 6-10 Ce passant courait à la cabine téléphonique d’à côté (Kang I, fr.)

1 E : Le verbe ici c’est courir + euh... ce passant a couru dans la cabine d’à côté + donc on ne/ est-ce qu’on peut dire courait ? (K : +) ce passant courait ? dans la cabine téléphonique

2 K : Oui c’est la même raison on peu/ on pourrait + mettre

3 E : Oui ?

4 K : + Pour donner la vitalité (E : ah...)

 

De même, pour le verbe ressortir dans 6-17 Quand l’homme est ressorti, il n’y avait plus personne, l’usage de l’imparfait (ressortait) donnerait de la vitalité mais Kang pense que, dans ce cas là, il faut mettre les autres verbes aussi à l’imparfait.

Cette analyse s’observe toujours dans le second entretien chez Kang au sujet du verbe pleuvoir :

 

(Extrait 127) 6-2 Hier il s’est produit un accident au carrefour de la rue Caillaux et de l’avenue d’Italie. Il pleuvait (Kang II, cor.)

1 E : Ensuite il pleuvait (K : Il a plu) Hm il a plu ? Quand est-ce qu’il a plu, il a plu après l’accident ? ou alors\

2 K : Donc il a plu hier soir, (E : hm) ah il a plu hier, (E : hm) c’est correct. (E : hm) Mais quand on dit il pleuvait, là, le/ ça donne un effet qui rend cette situation, la situation elle-même de ce… passé, cette situation de l’accident (E : hm) plus vivant, comme si ça se passait maintenant. (E : hm) + Ça la fait comme ça + euh + revivre, l’imparfait. (E : hm)

3 E : Donc en mettant il pleuvait, à l’imparfait, ++ l’accident devient + plus vivant ?

4 K : Non c’est-à-dire quand on décrit avec réalisme l’événement du passé euh… quand on donne ce genre d’effet, il pleuvait il pleuvait il pleuvait ++

5 E : Hm. Ensuite quand est-ce qu’on fait reviv/ C’est-à-dire pour donner, pour rendre plus vivant les choses, euh… je vois qu’on n’utilise pas l’imparfait n’importe quand hein ? (K : hm) En tout cas, on verra ça.

 

Le choix de Kang pour pleuvoir étant l’imparfait, l’enquêtrice demande à quel moment il a plu par rapport à l’accident (1). Kang localise ce moment dans un moment repère, hier sans préciser davantage (2). Elle explique l’effet de l’imparfait dans ce contexte, qui consiste à « rendre plus vivant » le procès, pour aboutir finalement à une généralisation du rôle discursif de l’imparfait (2, 4). Cette impression de vitalité ou de  réalisme, tout comme la durée absolue (durée longue) (cf. Riegel et al. 1994), vient en fait de l’aspect imperfectif qui se définit en une relation particulière entre le moment repère et le moment de la situation, lorsque le premier se situe entre les deux bornes du second : vu du repère situé ainsi au milieu d’un procès, celui-ci est vu dans son déroulement, comme le désigne l’étiquette présent dans le passé.

11.2.2. Les formulations des effets ressentis pour l’imparfait

Kang a recours aux noms et aux paraphrases pour exprimer les effets qu’elle ressent de l’imparfait. Les paraphrases servent à expliciter la notion exprimée par les noms.

 

Effets ressentis pour l’imparfait en situation de reconnaissance

 

Premier entretien

 

Second entretien

Kang

- nom : vitesse, tension, vitalité (de l’histoire)

- paraphrase : comme si cet accident se passait autour d’eux ; une personne particulière regarde avec son intention avec son impression

Kang

- paraphrase : rend cette situation plus vivant comme si ça se passait maintenant ; ça fait revivre ; on décrit avec réalisme l’événement du passé

[Tableau 39 : Formulations des effets ressentis pour l’imparfait]

11.3. Effets contrastifs du passé composé et de l’imparfait

Les effets interprétatifs du passé composé et de l’imparfait sont également verbalisés en même temps, de façon contrastive. Kim et Lee prennent cette démarche comparative, Kim dans le premier entretien et Lee, lors du second entretien. Lee compare davantage les deux temps. Il semble que ces effets ressentis relèvent essentiellement d’intuitions, et non d’un enseignement quelconque.

11.3.1. Vitesse

Contrairement à Kang, chez qui le terme vitesse est utilisé métaphoriquement, Kim l’emploie au premier degré, comme vitesse d’action. Elle y fait référence de façon contrastive dans l’emploi du passé composé et de l’imparfait pour un même procès :

 

(Extrait 128) 6-12 Pendant qu’il téléphonait, la voiture a filé (Kim I, fr.)

1  E : Pendant qu’il téléphonait la voiture + (K : a filé) hm-hm (K : oui) + la voiture a filé ++ justement on peut pas mettre la voiture filait ? ++ pendant que il téléphonait la voiture filait XX à l’imparfait la voiture filait

2  K : Ah oui ça aussi <c’est...

3  E : <Tu penses que c’est possible ?

4  K :  Oui

5  E : Parce que quelle différence de sens pour toi ?

6  K : Hm pour moi quelqu’un a parlé de.. d’un accident (E : hm-hm) d’un accident de voiture + hier (E : hm-hm) + hier il y a un il y a il y avait un accident de voiture mais quelqu’un euh euh il me semble que quelqu’un a parlé a parlé (E : hm-hm) de l’accident aujourd’hui (E : hm-hm) c’est pour ça ah euh... ++++ déjà <la voiture

7  E : <Parce que c’est quelque chose qui s’est passé ? qui était pass/

8  K : Oui c’est ça oui il s’est passé (rire) (E : hm-hm)

9  E : Mais... le passé... imparfait aussi (K : oui) ça raconte quelque chose <qui est passé (K : <hm hm hm hm) + donc quel qu’est-ce qui fait la différence ? ++ par exemple si on dit pendant qu’il téléphonait la voiture euh non la voiture filait + à l’imparfait (K : hm) et + la voiture a filé

10 K : + Le la voiture a filé entre eux (E : hm) le la voiture a filé et... la voiture filait (E : hm) euh il/ pour moi il y a il y a une différence (E : hm-hm) c’est... c’est ma pensée propre (E : <hm-hm) <c’est ma pensée XX (rire) (E : ouais ouais) euh... pour moi il me/ euh... quand on utilise euh passé composé (E : hm-hm) euh dans ce cas là euh... le chauffeur de la voiture (E : hm-hm) euh n’est pas n’est pas + n’est pas pressé + de filer

11 E : Ah quand on utilise la voiture filait ?

12 K : <Filait oui <imparfait

13 E : <C’est-à-dire il conduit lente<ment ?

14 K : <Il conduit lentement (E : <hm) malgré son... faute sa faute (E : hm hm) oui mais la voiture a filé (E : c’est-à-dire) oui

15 E : Vroum (avec le geste)

16 K :  Rapidement oui (rire)

17 E : Ah oui c’est ça que tu ressens comme <différence ?

18 K : <Oui oui oui oui

19 E : D’accord + donc tu as mis euh

20 K : Oui <filait

 

L’enquêtrice demande si l’imparfait est possible pour filer (1) et il lui semble acceptable (4). On lui demande donc la différence entre les deux emplois (5), Kim commence à parler du contexte de la narration du récit : une personne parle de l’accident de voiture d’hier (6). L’enquêtrice comprend que Kim fait référence au fait que l’événement est du passé (7), ce que Kim approuve (8). L’enquêtrice attire l’attention de Kim sur le fait qu’un événement exprimé à l’imparfait marque le passé, de la même manière que le passé composé (9). Et c’est à ce moment-là qu’elle parle de la différence de vitesse, en la présentant comme une idée à elle (10). La vitesse lente est associée d’abord au passé composé par erreur, et l’enquêtrice demande si l’idée de lenteur n’est pas liée à l’imparfait (11). Kim le confirme en répétant la forme verbale et en mentionnant le temps (12). L’enquêtrice reformule l’explication de Kim (13) et celle-ci la répète en guise d’approbation, et commente le cas du passé composé. Le connecteur mais annonce un contenu opposé à celui de l’imparfait et ce qui permet à l’enquêtrice de l’anticiper, qui s’exprime à l’aide d’un onomatopée accompagné d’un geste (15) que Kim traduit en mots en l’approuvant (16). Cette idée de vitesse, tout comme l’idée de durée et celle de vitalité, nous semble aussi une impression résultante de la différence entre la vision globale (aspect perfect) et partielle du procès (aspect imperfectif).

11.3.2. Volonté, intention

Lee saisit également le caractère volontaire et non volontaire de l’agent d’un procès exprimé au passé composé et à l’imparfait :

 

(Extrait 129) 3-4 Quand il a ouvert la porte, elle lui a souri et lui a dit : je t’attendais (Lee II, cor.)

1  L : Le fille voit le garçon

2  E : Reconnai/ + elle a souri

3  L : Et elle a souri (E : hm) Ensuite + elle dit je t’ai attendu [-ôt] (E : hm) je t’ai attendu [-ôt] plutôt que je t’attendais [-ko it-ôt]

4  E : Hm ah ici c’est mieux je t’ai attendu [-ko it-ôt] ?

5  L :  + On pourrait dire les deux

6  E : On peut dire je t’attendais aussi ?

7  L : Hm.

8  E : On peut dire je t’attendais (L : hm) et je t’ai attendu ? (L : hm) + Hm alors quels sont les sens ? quelle est la différence de sens ? entre je t’attendais et je t’ai attendu

9  L : Si on dit je/ je t’attendais (E : hm), ah non je t’ai attendu (E : hm) semble hm… + plus ++ hm… + volontaire que je t’attendais (E : + volon<taire) <un peu (E : hm…) Je crois que j’ai parlé la dernière fois des choses dynamique ou passive quelque chose comme ça. (E : hm) +

10 E : Avec le passé composé, j’attendais (L : hm) avec une intention certaine d’attendre ?

11 L : Euh j’ai l’impression qu’il y a plus de volonté

12 E : Il y en a beaucoup plus et si on dit je t’attendais ?

13 L : ++ C’est un peu vague/ + C’est (E : hm) un peu vague

14 E : Hm euh <on est pas sûr qu’il vienne ?

15 L : <Il peut venir comme ne pas venir

16 E :  Mais on a attendu pour voir, c’est ça ? (rire)

17 L : Ou alors… hm ++ hm + oui (E : hm) ++

 

Pour le verbe attendre, et pour les autres verbes de la phrase d’ailleurs, Lee semble accepter les deux temps (« on pourrait dire les deux. (rire) dans chaque parenthèse (...) même si la relation change »). Mais dans les premiers choix effectués, elle choisit l’imparfait pour attendre (quand il a ouvert la porte, elle lui souriait et lui a dit : je t’attendais). Dans la séquence qui s’est déroulée en coréen, ce sont les expressions coréennes qui font d’abord l’objet de son jugement d’acceptabilité. Lee dit préférer je t’ai attendu (-ôt) à la même phrase avec -ko it, marqueur de l’aspect imperfectif (3). L’enquêtrice reformule (4) et Lee dit que les deux temps sont acceptables (5). A ce moment-là, l’enquêtrice passe tout naturellement en français, en mentionnant l’acceptabilité de l’imparfait (6), et Lee l’approuve (7). Cette séquence où s’effectue le glissement de langue dans le jugement d’acceptabilité montre que les deux protagonistes établissaient, peut-être sans qu’elles s’en rendent compte, la double équivalence entre le -ôt coréen et le passé composé français et entre le -ko it-ôt et l’imparfait. L’enquêtrice demande la différence de sens (8) et c’est là que Lee parle du caractère volontaire plus marqué dans le passé composé que dans l’imparfait (9, 11, 13).

Cet effet du passé composé est abordé encore après l’exercice, dans un commentaire général :

 

(Extrait 130) Commentaire général après l’exercice (Lee II, cor.)

1 L : (...) Pour l’imparfait, c’est pas tellement, le passé composé semble avoir plus de volonté, je te l’ai dit ? <n’est-ce pas ?

2 E : <Volonté, c’est-à-dire la volonté de la personne (L : hm) qui fait l’action ? hm.

3 L : Hm. C’est-à-dire, pour la volonté, c’est pas que ça doive réussir ou non, mais c’est hm… plus intentionnel. (E : hm)

 

Dans cette séquence, l’enquêtrice a la confirmation qu’il s’agit de la volonté de l’agent du procès (2) et apprend aussi que la volonté signifie plutôt l’intention (3).

11.3.3. Actif ou dynamique vs. passif

Lee saisit encore d’autres dimensions du passé composé et de l’imparfait lors du second entretien.

 

(Extrait 131) Commentaire après l’exercice (Lee II, cor.)

1 E : Alors là par rapport aux idées que tu avais avant, bon, il y a pas mal de cas similaires. (L : hm) L’arrière-plan dont tu as parlé, ensuite, les événements, il y avait des cas où il y avait les deux. (L : hm) Ensuite y avait des choses différentes de tes idées ?

2 L : C’est-à-dire, <et puis (E : <c’est forcément différent mais) ensuite hm… quelque chose d’actif, ou plutôt hm + *dynamic* ou alors un arrière-plan comme quelque chose qui semble suivre son chemin, quelque chose qui semble + passif, qui suit son chemin. +++

 

L’enquêtrice demande à Lee si, après l’exercice, elle éprouve des changements par rapport à ses idées initiales (1). Comme l’enquêtrice parle des événements et de l’arrière-plan, qui constituent une part importante des idées de Lee sur le fonctionnement du passé composé et de l’imparfait, Lee continue sur ce thème et apporte d’autres aspects qu’elle ressent pour les deux temps dans leur rôle discursif : le passé composé, marquant l’avant-plan, se caractérise comme actif ou dynamique, et l’imparfait, marquant l’arrière-plan, comme passif.

Au cours de l’exercice, Lee avait déjà mentionné le caractère dynamique notamment pour une série de procès au passé composé. Pour les verbes du récit 3, lorsqu’ils sont tous mis au passé composé, la phrase lui semble plus dynamique que lorsqu’ils sont fléchis à l’imparfait ou aux deux temps alternativement : « Ensuite si/ autre… euh un autre/ Si on dit comme ça Quand il… ouvrait la porte il lui a souri et lui a dit je t’ai attendu + Cette phrase semble plus… dynamique ».

11.3.4. Précis vs. flou

On peut encore observer chez Lee d’autres expressions reflétant ce qu’elle ressent du passé composé et de l’imparfait. D’une part, comme nous l’avons vu dans l’extrait 122 (Lee I, fr.), le procès au passé composé est senti comme « plus précis » que celui à l’imparfait (6-15 il a réussi à partir vs. il réussissait à partir). D’autre part, le procès à l’imparfait, notamment, une série de procès à l’imparfait lui procure une sensation du flou :

 

(Extrait 132) Commentaire après l’exercice (Lee II, cor.)

1 L : Quand on utilise plusieurs fois l’imparfait de suite, c’est que c’est pas un passé dont j’ai un souvenir très clair (E : hm) et dont je parle maintenant et qui est segmenté et bien rangé. ++ C’est plutôt un passé qui peut être un peu comme une habitude, ou qui est comme s’il était couvert d’un film + qui donne une image trouble. C’est ce que je ressens, même si on ne peut pas parler comme ça sur le plan grammatical

2 E : Hm. C’est-à-dire le regard qui voit ce passé.

3 L : Ce n’est pas quelque chose de certain, ou de clair (E : hm). Quand on regarde un moment, par exemple, dans un film, il y a des séquences en noir et blanc, ou filmées avec un filtre qui donne des images floues pour donner de la nostalgie, (E : hm) j’ai ce genre de sentiment aussi. (E : hm) + Ce n’est pas comme dans l’exercice six où les imparfait et les passé composé sont mélangés et sont utilisés en alternance. Quand on n’utilise que l’imparfait (E : hm) pour une vraie description, j’ai ce genre de sentiment.

11.3.5. Formulations des effets ressentis contrastifs pour le passé composé et l’imparfait

La plupart des verbalisations contrastives sur le passé composé et l’imparfait sont produites par Lee et elles sont formulées en paraphrase dans lesquelles l’adjectif joue un rôle clé.

Effets ressentis contrastifs en situation de reconnaissance pour le passé composé et l’imparfait

 

Premier entretien

 

Second entretien

Kim

- vitesse : le chauffeur de la voiture n’est pas pressé de filer (IMP) / la voiture a filé rapidement (PC)

Lee

- volonté, intention : PC plus volontaire que IMP; PC plus de volonté vs. un peu vague (IMP) ; plus intentionnel (PC)

- actif vs. passif : actif, dynamique (PC)/qqch qui semble suivre son chemin, passif (IMP)

- précis vs. flou : pas un souvenir très clair, bien segmenté et bien rangé ; pas certain, clair, image trouble, image floue (IMP)

[Tableau 40 : Formulations des effets ressentis contrastifs pour le passé composé et l’imparfait]

 


12. Pour récapituler

Nous présentons ici le tableau récapitulatif sélectif des notions examinées et de leurs formulations :

 

Premier entretien

Second entretien

Aspect perfect

- borne droite : (c’est) terminé/fini/passé/fait

- changement d’état : ne V plus

- V passé + état résultant

- borne droite : fini/accompli

- changement d’état : ne V plus

- V passé + état résultant

- négation de l’imperfectif

Imperfectif

- en train de V

- négation du perfect (pas fini)

- paraphrase (avec mots : état continu, durée)

- suffixe : -ko it-ôt (en train de V)

- négation du perfect

- paraphrase (avec mots : continuer, continuellement, déroulement)

Chevauche-ment partiel d’inclusion

- portion a : avant, depuis N

- b : toujours

- a+b : avant et maintenant aussi, durée

- a+c : état, durée, situation, avant et après aussi

- a : état, déroulement

- a+c : état, déroulement, avant et après aussi, situation long terme

Rôle discursif local

- avant-plan : action

- arrière-plan : description, situation, état, explication

- événement [sakôn], action ([hengtong] [dongjak]), action

- description [sangwhang myôsa], situation [sangwhang], état [sangthe], explication [sôlmyông], arrière-plan [pekyông]

Double bornage

- termes globalisants : fait ponctuel, un point

- indication de l’extension de l’intervalle : un temps donné [ju-ô-ji-n sikan], temps déterminé [sikan-i jôngha-ô-ji-ô-it-ki ttemune], période donnée [ôttôn kikan tongan-e]

Type de procès du verbe

- allusion : le verbe

- mention d’une caractéristique du procès : agent (PC)

- catégorisation : verbe d’action (PC)

 

- allusion : verbe sourire (IMP), partir donc (PC)

- catégorisation : verbe continu (IMP), verbe de sentiment (IMP), verbe d’action, verbe de perception (PC)

- type de verbe et choix du temps verbal : des verbes qui donnent envie d’utiliser le passé composé (PC), verbes qui peuvent et qui ne peuvent pas finir en une seconde (PC et IMP)

Contemporanéité

- emploi de l’imparfait

- circonstanciel : en même temps

- adverbe : simultanément, en même temps, au même moment [tongsi-e],

- suffixe verbal conjonctif : pendant ce temps [-nûn saï]

Durée relative

- paraphrase : relativement long terme, par rapport à cette action, c’est une durée

- paraphrase : action, événement, c’est relativement court et momentané ; durée courte par rapport à un autre événement ; notion de temps relative

[Tableau 41 : Récapitulatif sélectif des catégories et de leurs formulations]

 


13. Conclusion

Les diverses notions temporelles que nous avions répertoriées dans notre grille d’observation comprennent des valeurs aspectuelles proprement dites selon la définition de Klein et de Noyau (celles qui relèvent de différents rapports entre le moment repère et le moment de la situation), d’autres d’ordre discursif et encore d’autres types de notions (bornage, nombre d’occurrence de procès, durée). Toutes ces notions ne sont pas des catégories opératoires pour l’emploi du passé composé et de l’imparfait, comme le type de procès du verbe et la notion de durée. Dans les conceptualisations de nos informatrices du passé composé et de l’imparfait, ces diverses catégories se retrouvent à des degrés différents de maîtrise.

Les moyens linguistiques que nos apprenantes ont employés pour se référer aux notions sont constitués du lexique (nom, adverbe temporel), des circonstanciels temporels (ainsi que des suffixes et suffixes verbaux conjonctifs en coréen), des phrases avec un présentatif, avec négation, et des paraphrases. Selon les catégories, certains moyens et certaines tournures syntaxiques sont privilégiés.

Les différences individuelles sont observées dans la référence des notions : pour ne citer que les plus notables, Lee porte une grande attention aux rôles discursifs des deux temps, sur lesquels elle s’appuie plus souvent que les autres informatrices pour choisir le temps verbal. Kang est la seule à avoir pris comme notion pertinente le double bornage de l’intervalle dans l’emploi du passé composé. Quant à Kim, elle manifeste une attention particulière au type de procès du verbe qui détermine son choix du temps verbal.

Parmi nos trois critères d’opérationnalité, outre la connaissance de la notion, c’est la systématicité de référence qui est plus déterminante que la précision de la verbalisation : celle-ci n’est qu’une conséquence du degré d’abstraction d’analyse que reflète la systématicité.

Seul un petit nombre de catégories semblent opérationnelles, par la grande disponibilité et la référence adéquate : la vision rétrospective du procès (l’aspect perfect), la localisation du procès sur l’axe du temps (dans le passé et au présent), et les rôles discursifs locaux (avant-plan, arrière-plan). Ce sont en effet des valeurs de base que nos apprenantes maîtrisent déjà en langue maternelle et avec lesquelles elles commencent l’acquisition du français. De plus, les notions non opératoires, la notion de durée et le type de procès du verbe, qui jouent un rôle important dans le choix du temps verbal, semblent être saisies « naturellement ».

Les autres catégories ne sont pas opérationnalisées au moment du second entretien et ce, pour différentes raisons : a) la non-identification de la notion (ex. double bornage) qui entraîne le recours à d’autres notions pas toujours opératoires (ex. localisation de notion de durée dans la sémantique du verbe ou dans d’autres éléments de l’énoncé) ; b) la non-systématicité de référence (ex. chevauchement partiel d’inclusion) ; c) le procédé de repérage non adéquat (ex. différents moyens de prise en compte de la borne droite).

Une des explications de ce phénomène semble être la structure des notions temporelles qui sont reliées entre elles. L’acquisition d’une notion dépend de celle des autres : par exemple, la saisie de la multiplicité d’occurrences peut dépendre de la vision appropriée (compacte ou imperfective) du procès, et le repérage de l’antériorité et de la postériorité est lié au chevauchement partiel d’inclusion.

Si l’acquisition du passé composé et de l’imparfait consiste à identifier ces notions et leurs procédés d’emploi, comment s’acquièrent-ils ? Faut-il une prise de conscience ? Le contact avec l’input, l’accumulation de données linguistiques suffisent-ils ? Si certaines catégories non opératoires semblent bénéficier d’une démarche cognitive « naturelle » (durée, type de procès du verbe), d’autres semblent provenir de l’input métalinguistique (durée relative, relativité de vision des locuteurs). Mais qu’en est-il des notions opératoires qui sont déterminantes dans l’emploi approprié du passé composé et de l’imparfait ? Si le progrès de la vision imperfective d’un verbe transitionnel particulier semble montrer que l’input naturel influence favorablement la conceptualisation, cela ne semble pas être du même cas pour le bornage et le rapport d’inclusion.




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