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Université de Paris III – Sorbonne Nouvelle


Réunion ELCA - 5 mai 1999

 

 

Activités, et représentations métalinguistiques
dans l'acquisition d'une langue étrangère


1.La portée du terme métalinguistique

1.1. Code linguistique / activités

1.2. Typologie des activités et formulations métalinguistiques

1.3. Analyse (réflexion) / contrôle

 

2.      Activités métalinguistiques dans différents modèles d'apprentissage

2.1. Modèle systémique : Entrée, (Intake), (traitement), Connaissances, Sortie

ex. Modèle de Frauenfelder et de Porquier 1979

-         Intake : Prise/ saisie (cf. Py)

-         Connaissances implicites/ explicites (cf. Krashen, Frauenfelder et Porquier)

 

2.2. Modèle d'approche psychologie cognitive : Modèle de traitement de l'information

-         Processus contrôlés / automatique

-         Connaissances déclaratives/procédurales

 

2.3. Modèle connexionniste

 

2.4. Modèle composite

-         Modèle systémique + Modèle de traitement de l'information + Modèle de Levelt + Modèle de Pienemann

 

3.      Thèmes de discussions

3.1. Définition terminologique : Connaissances déclaratives/procédurales, procéduralisation

3.2. Apprentissage implicite/explicite

3.3. Utilité de l'apport ou de la réflexion métalinguistiques dans l'acquisition


1. La portée du terme métalinguistique :

1.1. Code linguistique / activités : La langue sert à désigner des référents extralinguistiques physiques (maison, Paul), conceptuels (notion, idée) et aussi à parler des expériences. Mais elle sert aussi à parler de la langue elle-même. C'est cette fonction là de la langue qu'on appelle la "fonction métalinguistique", depuis Jakobson (1963). Au niveau du lexique, des termes comme mot, phrase, expression, parler, dire ou verbe, adjectif, sont des mots métalinguistiques. Les discours directs ou rapportés sont aussi métalinguistiques. Le métalinguistique dans un sens strict concerne les termes ou expressions au niveau du code. Par exemple, Josette Rey-Debove travaille sur les formes linguistiques qui renvoient à elles-mêmes, fonction dite autonymique (Cheval est un mot masculin), et Jacqueline Authier-Revuz travaille sur cette fonction métalinguistique dans les usages de la langue, qui se manifeste notamment dans des séquences qui traduisent la conscience qu'a un locuteur de décalage entre le sens qu'on veut communiquer et les expressions utilisées ("On est allé dans une auberge, si on peut appeler ça une auberge, enfin un local" dans Authier-revuz 1993)

 

Pour les psychologues, métalinguistique renvoie aux processus cognitifs de gestion consciente sur des objets langagiers et sur leur utilisation. Dans la linguistique de l'acquisition, on s'intéresse à ces activités métalinguistiques qui désignent effectivement ces activités cognitives qui relèvent de l'attention, la réflexion portée sur les formes langagières, et de l'analyse et des manipulations des formes (Huot et Schmidt 1996).

 

1.2. Typologie : Les activités métalinguistiques ont fait l'objet de plusieurs classements.

 

D'abord, Antoine Culioli (1968/1990) a distingué épilinguistique et métalinguistique : épilinguistique est une activité métalinguistique non conscient, qui laisse des traces telles que glose, correction. Le métalinguistique est une activité délibérée et consciente.

 

Klein (1981) distingue aussi la réflexion en temps réel, la réflexion sur le fonctionnement des langues et des règles en général, et les jugements linguistiques. Plus tard (1986/1989), il divise la réflexion en temps réel, en deux : le monitoring pré-verbal, et rétroaction (feed-back) qui est autocorrection.

 

Bouchard et Nuchèze (1987) ont distingué cinq formulations métalinguistiques, selon le niveau de la langue qui fait l'objet de réflexion ou de la manipulation métalinguistique : formulations métalocutoires, métalinguistiques, métadiscursives, métacommunicatives, méta-interactionnelles.

 

Py (1995 dans Vasseur et Arditty 1996) distingue réflexion et conceptualisation. Cette opposition correspond en fait à celle entre contrôle et analyse. La réflexion concerne la résolution de problème de communication en temps réel, et la conceptualisation est liée à l'intégration au système linguistique (et implique décontextualisation).

 

Danon-Boileau (?) oppose, quant à lui, les mécanismes (procédures) métalinguistiques aux représentations (théories) métalinguistiques, en précisant qu'il n'y a pas d'ordre fixe entre ces deux éléments.

 

1.3. Analyse (réflexion) / contrôle : Comme on a pu le voir dans ces classements, on peut faire la distinction entre les activités métalinguistiques qui interviennent lors de la production (orale ou écrite) réelle, et celles qui interviennent hors la situation de communication. Dans le premier cas, c'est le monitoring ou le contrôle dont le rôle consiste à surveiller la bonne réalisation phonétique, morphologique, syntaxique, discursive, pragmatique du message, en fonction des connaissances de la norme qu'on possède. Les activités métalinguistiques hors situation de communication désigne la réflexion ou analyse du fonctionnement de la langue cible, que fait l'apprenant en général tout seul. Ce travail est à la base de la construction, structuration des connaissances sur la langue cible. Personnellement ce sont ces activités qui m'intéressent.

 

2. Activités métalinguistiques dans différents modèles d'apprentissage

2.1. Modèle systémique : Modèle de Frauenfelder et de Porquier 1979

 

- Intake (Saisie) : Les éléments clé sont Entrée (exposition, input), Connaissances, et Sortie (output). Là où intervient l'activité métalinguistique est l'intake, le passage de l'input au mécanisme interne de l'apprenant. Ce passage demande l'attention focalisée (Huot et Schmidt). Beaucoup de chercheurs disent que c'est la première étape de l'apprentissage. L'intake correspond au fait de remarquer quelque chose dans l'input et de le garder dans la mémoire un moment, tel que l'apprenant l'a perçu ou avec un traitement sommaire. Frauenfelder et Porquier disent qu'entre l'input et l'intake, il y a changement qualitatif dû au filtre de la perception. (Effectivement, la perception filtre l'input. Dans un premier temps, les conditions physiques de la perception jouent le rôle de crible. Et les connaissances antérieures, que ce soit des connaissances du monde et des connaissances de la langue première et d'autres langues filtrent aussi, c'est-à-dire trient et modifient l'input. L'attente de la nature de la tâche à laquelle l'apprenant est confronté constitue également le filtre).

 

Certains distinguent l'intake momentané et l'intake qui devient une connaissance. Par exemple, Py différencie d'une part, "prise", l'intake qui est utilisé juste dans l'espace d'une séquence de communication, comme on peut l'observer dans une séquence potentiellement acquisitionnelle et d'autre part, "saisie" qui est traitée et qui devient une connaissance stable et durable.

 

- Connaissances : L'autre instance d'intervention d'activité métalinguistique est quand l'intake se transforme en connaissances. Frauenfelder et Porquier distinguent, les connaissances explicites et implicites. Ces auteurs reprennent la définition de Reber : l'apprenant a les connaissances explicites quand il est capable de formuler ou reproduire des règles en termes métalinguistiques ou sous forme naïve. Il a la connaissance implicite quand il est capable d'utiliser des règles sans avoir conscience de leur fonctionnement ni même de leur existence. Dans ce passage de l'intake aux connaissances, il peut y avoir conservation de la nature de l'intake (connaissances implicites ou explicites dans l'input restent implicites ou explicites) ou transformation. On peut penser que le travail métalinguistique a lieu notamment dans la transformation de la nature des connaissances : la connaissance implicite en connaissance explicite ou la connaissance explicite en connaissance implicite. Dans le passage de l'implicite à l'explicite, c'est le travail métalinguistique analytique qui intervient. Dans l'autre sens, la connaissance explicite devient implicite, après de nombreuses pratiques qui sont au début contrôlées (cf. Pour Krashen, cette transformation est niée).

 

2.2. Modèle d'approche psychologie cognitive : "La psychologie cognitive a pour objet de comprendre, expliquer, modéliser les activités mentales effectuées par un sujet actif, en vue de s'adapter aux situations" (Fayol 1990). Le modèle qu'on appelle de traitement de l'information est un modèle développé dans cette discipline, qui simule ces activités mentales dans lesquelles le sujet manipule des informations symboliques (c'est-à-dire codé : chiffres, langage, image).

 

- Processus contrôlés / automatique : Dans cette approche, certains processus sont sous le contrôle attentionnel du sujet. Les ressources cognitives étant limitées (c'est un autre élément de base de la psychologie cognitive), une seule séquence contrôlée peut être traitée à la fois. Ces processus demandent du temps pour être activés, mais par contre ils sont relativement flexibles, parce qu'ils peuvent s'appliquer dans de situations nouvelles. Les processus automatiques sont ceux qui ont été acquis par l'exposition aux mêmes éléments de l'input. Ils s'activent automatiquement, dès que ces éléments sont présents dans l'input. Ils sont rapides, et ne nécessitent pratiquement pas de ressources cognitives. Ils peuvent ainsi fonctionner parallèlement avec un processus contrôlé. Mais il est difficile de les supprimer ou de les modifier (McLaughlin 1987 : 134).

Dans ce modèle, à la différence du modèle systémique, la mémoire est un élément constitutif. La mémoire est divisée en mémoire de travail (ou à court terme), et mémoire à long terme. La mémoire de travail contient des éléments qui sont sous le contrôle du sujet. La mémoire à long terme stocke les connaissances automatisées.

De ce point de vue, l'acquisition d'une langue étrangère est une accumulation graduelle d'habiletés automatiques et une restructuration constante de représentation interne (McLaughlin 1987). Pour Gaonac'h (1987) aussi, l'acquisition consiste à automatiser le contrôle tout en respectant la hiérarchie des opérations. Hulstijn (1990) pense que l'acquisition implique le développement du traitement contrôlé vers le traitement automatique.

 

- Connaissances déclaratives/procédurales : Dans cette approche, les connaissances sont différenciées en deux groupes. Cette distinction concerne une question reconnue depuis longtemps, à savoir, savoir quelque chose et savoir comment faire cette chose. Ces notions appartiennent au domaine informatique (programmation procédurale) et Intelligence Artificielle (programmation déclarative).

Les connaissances déclaratives sont stockées sous forme propositionnelle ou définitionnelle. Ces connaissances sont relatives à des contenus (Gaonac'h 1987), et sont stockées dans la mémoire à long terme (Levelt 1989). Elles se distinguent des connaissances procédurales qui elles, sont sous forme d'instruction ou d'ordre (Si les conditions X sont satisfaites, faire Y). Ces connaissances sont, selon Gaonac'h (1987), relatives à des plans d'action et sont ordonnées selon des séquences temporelles.

Ces deux types de connaissances sont souvent identifiés et employés comme étant équivalents des connaissances appelées explicites et implicites. Les connaissances déclaratives sont souvent associées à la conscience et les connaissances procédurales, à l'inconscience. Cette distinction correspond aussi à une autre opposition courante entre savoir et savoir-faire.

L'acquisition d'une habileté cognitive en termes de ces connaissances est perçue comme le passage de l'étape déclarative à l'étape procédurale (De Bot 1996) (cf. Anderson1982). Dans l'étape déclarative, on accumule des faits et des règles isolées. Le traitement est plus ou moins conscient et cette étape prend du temps. Dans l'étape procédurale, les faits et les règles deviennent des procédures (formalisées) par l'usage fréquent. Ce passage d'un stock d'informations à un traitement d'informations automatique est nommé procéduralisation. Et c'est là que réside la différence d'acception d'avec l'informatique. Selon De Bot (1996), les procédures ne se développent pas d'une façon linéaire et sur tout le système de la L2, mais à travers le réglage (tuning) et la restructuration constante. Ce réglage et la restructuration se déclenchent, selon cet auteur, par la non correspondance entre les connaissances déclaratives et les procédurales dans le système et l'input (p. 547).

L'ordre de ces étapes ne fait pas l'unanimité. Pour Anderson (1982), l'étape procédurale vient après l'étape déclarative. (Mais il semble avoir changé d'avis dans Anderson 1993 dans McWhinney : il admet que dans l'acquisition d'une langue maternelle, c'est l'implicite qui précède l'explicite) Pour Bialystok, elles peuvent se développer indépendamment. Certains précisent que la procéduralisation ne consiste pas à automatiser la connaissance (déclarative), mais à automatiser l'application (Paradis).

En acquisition d'une langue 2, la distinction de ces deux types de connaissances est considérée aussi nécessaire, suite à la constatation du décalage entre la conscience d'une règle, et ce dont on a conscience lorsqu'on produit la règle (Bresson). Cette nécessité est aussi basée sur l'observation du décalage entre les règles verbalisées et la production. L'observation de la classe a conduit certains chercheurs à constater le caractère essentiellement déclaratif des règles métalinguistiques présentées par l'enseignant, en fournissant ainsi une explication des difficultés des apprenants : ils manqueraient des "procédures" d'application.

Les connaissances déclaratives correspondent aux connaissances métalinguistiques, les connaissances de règles apprises ou découvertes. Les connaissances prodédurales, au sens d'ordre d'opérations, sont par contre difficiles à identifier (voir thème de discussion).

 

2.3. Modèle connexionniste : C'est un modèle qui est surtout utilisé pour la modélisation de la perception, de la reconnaissance de formes dans le domaine des neurosciences. C'est un modèle directement inspiré du fonctionnement des neurones qui s'activent et s'interconnectent selon les stimuli. Il se présente comme une alternative de la modélisation informatique des processus cognitifs. L'ensemble de neurones qui sont activées forme un patterns ou une configuration, et l'acquisition correspond, dans cette approche, à la formation des patrons qui s'activent automatiquement dans le réseau à la rencontre de traits pertinents dans le stimulus. Il n'y a pas de hiérarchie d'opérations dans ce modèle. Les règles ou les connaissances sont représentées par ces patterns stables, prêts à s'activer.

 

Sur le plan linguistique, c'est la "grammaire cognitive" qui suit cette approche. Le processus d'apprentissage a lieu au niveau subconscient. De ce fait, il me semble que le modèle connexionniste convient à expliquer l'apprentissage implicite ou incident (ou l'apprentissage par association), qui a lieu quand on est exposé fréquemment à un certain élément dans l'input, et qu'on l'a assimilé sans savoir comment, et quelque fois sans savoir ce qu'on sait. Les connexionnistes disent que leur modèle peut simuler l'apprentissage de règles de haut niveau. (Je pense que ramener toute activité mentale au niveau physique est un réductionnisme et dire qu'on peut tout expliquer par la propagation de l'énergie dans le réseau neuronal, l'équilibre de son état, et la probabilité, n'est qu'un changement de niveau de l'objet et n'apporte pas d'autres informations.)

 

2.4. Modèle composite : On peut insérer dans le modèle de traitement de l'information d'autres modèles, compatibles du point de vue de la perspective d'arrière-plan, qui sont spécialisés pour certaines tâches : pour le traitement linguistique, on dispose du modèle de Pienemann (1998), pour la production, le modèle de Levelt (1989).

 

Le modèle de Pienemann est celui d'un module qui explicite les étapes de traitement linguistique de l'être humain. Selon lui, on peut expliquer, par cette architecture même, les observations développementales de l'acquisition d'une langue. Les étapes de traitement sont reliées entre elles, par un rapport implicationnel, et de ce fait, on peut prédire l'apprenabilité d'une structure linguistique par un apprenant d'un niveau donné. D'abord, on choisit un mot (lemma access), ensuite, on le spécifie par des moyens catégoriels comme le nombre, et le genre, la personne (caregory procedures). Ensuite se déclenchent les procédures syntagmatiques qui s'occupent du choix de déterminant avec les phénomènes d'accord avec le nom. La fonction grammaticale du syntagme est déterminée par les règles spécifiques d'une langue particulière. Une fois que la fonction grammaticale est déterminée, le syntagme s'attache au niveau de la phrase et les procédures de construction de la phrase se déclenchent. Les procédures de subordination viennent après.

Le modèle de Levelt est un modèle qui simule les différentes étapes de la production orale. D'après ce modèle, avant de parler, on conçoit un message à communiquer, qui se forme au niveau du conceptualisateur, et ensuite, on choisit des mots et les met dans un ordre et dans une forme grammaticale (Formulator), avant de les prononcer (Articulator). Le monitoring est actif dès le niveau du conceptualisateur. Pour un apprenant d'une L2, le niveau Formulator ainsi que le niveau Articulator, sont sous contrôle.

 

3. Thèmes de discussion

3.1. Connaissances déclaratives, procédurales, procéduralisation : On peut se demander si toute connaissance déclarative a son autre versant opératoire, une connaissance procédurale. C'est du moins ce qui est souvent sous-entendu quand on parle de ces deux types de connaissances. Mais on constate qu'un certain nombre de connaissances déclaratives (métalinguistiques) peuvent être à la fois déclarative ou procédurale : par exemple, la règle "l'adjectif se place en français après le nom" peut être considérée, par sa forme propositionnelle, comme une connaissance déclarative, mais par son contenu qui rend l'application immédiate, peut être considérée comme une connaissance procédurale. Pour De Bot (1996), l'emplacement de l'adjectif est une connaissance procédurale, et maîtrisant une langue, on possède déjà des connaissances procédurales de ce type qu'on peut utiliser pour la L2.

 

La connaissance procédurale est une connaissance de l'ordre des actions qui sont identifiées préalablement. Cela signifie qu'une règle a un ordre à suivre pour être appliquée. Pour une action qu'on effectue dans l'espace, il est facile à comprendre l'idée d'ordre. Mais à quoi correspond cet ordre chez un apprenant ? L'idée d'ordre dans la production linguistique dans une langue quelconque correspondrait à formuler un énoncé qui est d'abord dans un état conceptuel (sémantique) dans une forme linguistique particulière (LM ou LC). Pour ce passage (ex. Bouteille Sur Table), il faut le lexique de la langue dans laquelle on veut s'exprimer (bouteille, être sur, table) et les règles grammaticales (Nom en français s'accompagne d'un déterminant, donc pour bouteille, il faut la ; être sur, est en deuxième position). Le langage conceptuel est souvent le langue maternelle du locuteur. Pour un apprenant coréen de français, l'énoncé conceptuel est Bouteille, Table, être sur. S'il veut exprimer cet énoncé en français, il doit choisir l'ordre des mots, et pour chaque mot, il doit connaître les règles correspondantes et les appliquer.

 

Si on considère que la connaissance procédurale est celle impliquée à une utilisation automatique, la procéduralisation, le processus de l'acquisition de la connaissance procédurale, correspond à la pratique nécessaire à automatiser l'utilisation d'une règle, c'est-à-dire, de la rendre disponible à tout moment. (Cela signifie tout simplement apprentissage). Et ce qui rend possible l'utilisation d'une connaissance linguistique, c'est avant tout, la transparence entre le sens et la forme (et la fonction). Ce n'est qu'en maîtrisant ce rapport, en perçant le sens opaque d'une forme que l'apprenant pourra disposer de cette forme. L'automaticité devient, ensuite, une question de pratique. Dans ce sens, la procéduralisation serait l'apprentissage de réseau de sens-forme de la langue cible.

 

3.2. Apprentissage implicite/explicite : Krashen avait proposé, dans les années 80, deux processus d'appropriation linguistique, l'acquisition, et l'apprentissage : l'acquisition est un processus par lequel un enfant acquiert sa langue maternelle. On apprend la langue par l'utilisation réelle, en communiquant, et en focalisant l'attention sur le sens et non sur la forme. L'apprentissage est le processus par lequel un apprenant apprend une langue étrangère dans une classe de langue. On apprend la grammaire, et l'attention est portée sur la forme. Cette dichotomie, en prenant les noms d'apprentissage 'implicite' et 'explicite' est de nouveau (ou toujours) d'actualité en psychologie cognitive. (Livre de Pinker traduit en français : Libération) Dans cette discipline, il y a un débat sur ces deux systèmes d'apprentissage humain, et de nombreuses expérimentations ont été effectuées. Les controverses tournent autour des conclusions tirées de ces expériences : certains avancent que l'apprentissage implicite donne de meilleurs résultats que l'apprentissage explicite. Certains autres mettent en relation ces deux types d'apprentissage avec la complexité des règles : les règles faciles s'acquièrent (mieux) par l'apprentissage explicite, et les règles complexes s'acquièrent (mieux) par l'apprentissage implicite. Reber qui a fait des expériences avec une grammaire artificielle en a conclu que ce qui est acquis par l'apprentissage implicite, ce sont des connaissances abstraites des règles grammaticales. Etant donné que les sujets n'ont pas pu verbaliser les règles, pour l'auteur, ce processus est inconscient, donc inaccessible. Les critiques ont surgi face à cette interprétation : ce qui est acquis par l'apprentissage implicite n'est pas une connaissance abstraite, mais c'est une connaissance fragmentaire de co-occurrences de deux ou trois éléments.

Dans ses expériences, Robinson (1997) n'a pas trouvé de données qui confirment la supériorité de l'apprentissage implicite pour les règles complexes. Il a constaté, au contraire, une similitude fondamentale dans toutes les conditions d'apprentissage (implicite, explicite, incident). Dans toute condition, l'apprentissage a eu lieu comme conséquence des processus conscients, dont le degré variait selon les tâches. Dans l'expérience de De Keyser et De Graaff, il est apparu que l'instruction explicite facilite l'acquisition. En ce qui concerne la complexité de règles, De Graaff a trouvé que l'instruction explicite est utile aussi bien pour les règles simples que pour les règles complexes.

 

3.3. Utilité ou non des activités métalinguistiques ou des règles dans l'acquisition : Cette discussion a une retombée immédiate sur l'enseignement de la grammaire ou des règles. Certains disent qu'il ne faut pas l'enseigner, certains autres disent qu'on doit l'enseigner mais seulement de manière à faciliter l'intake implicite (R. Ellis 1993, Van Patten 1993 ?). D'autres, qui admettent l'efficacité de l'attention formelle dans le processus d'acquisition, sont pour l'enseignement formel. Les questions qui se posent sont, selon McWhinney (1997), 1) L'enseignement explicite entraîne-t-il la formulation de règle explicite ? 2) La formulation de règle explicite entraîne-t-elle une meilleure compétence ? Dans ce débat controversé, McWhinney (1997) résume le débat en disant que les expériences qui accréditent l'apprentissage implicite disent seulement que certains types d'apprentissages peuvent avoir lieu implicitement, et qu'elles ne disent rien sur la possibilité qu'a l'enseignement explicite pour un apprentissage implicite. Il en tire une conclusion de bon sens qui est que l'accès à des informations pertinentes n'est jamais mauvais à l'apprenant.

 

            Sans faire des expériences avec une grammaire artificielle, on peut observer les situations "naturelles" qui sont observables : pour l'apprentissage implicite, on peut observer les apprenants anglo-saxons qui apprennent une LE dans leur pays, et pour l'apprentissage explicite, on peut observer tout simplement un apprenant français. Dans l'exemple suivant où un apprenant anglophone réfléchit à haute voix pour une rédaction en français sur le thème d'écologie, on peut voir qu'il utilise ses connaissances de sa langue maternelle, notamment la valence ou les arguments de prédicat, qui sont d'ordre sémantique ou conceptuel (photocopie).

 

3.3. Méthodologie : verbalisation

A l'instar de Faerch (dans Bange 1999), on peut considérer en continuum la conscience métalinguistique qui se manifeste dans la pratique, et dans la verbalisation.


Tableau : Faerch 1986 dans Bange 1999 :

 

implicite

 

 

explicite

 

utilisation de règle sans réfléchir sur cette règle

Décision possible du discours d'accord ou de désaccord avec la règle

Description de la règle avec ses propres mots

description de la règle

en termes méta

 

Production

 

pas de distinction (une seule forme)

erreurs non systématiques

distinction stable

 

Verbalisation


jugements de grammaticalité

 

exemples

verbalisation naïve

 

verbalisation méta

 

 



Amsterdam 1997 Ela 1997 Ecole 1997 Bruxelles 1998 Elca 1999 Focal 1999 Marges 2002 Paris 2005

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